« Sainte-Marie-au-Pays-des-Hurons », ou l’Histoire à courte vue…

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Dominant le port de Midland, petite ville dans l’Est du Lac Ontario, une gigantesque fresque évoque un épisode marquant de l’histoire de la « Nouvelle France ». Une poignée de Jésuites, envoyés par Louis XIII en 1639, établit au croisement des Grands Lacs et du Saint-Laurent un avant poste qui aurait dû ouvrir à la France la voie vers le grand Ouest du continent. Sauf accident de parcours, naturellement. Il fut baptisé « Sainte-Marie-au-pays-des-Hurons ».

 

J’ai visité Sainte-Marie par temps gris, un jour assez sinistre, comme le fut sans doute l’humeur de ses habitants la regardant se consumer en 1649 lors de la fin précoce de leur belle aventure…

En franchissant les portes du fortin reconstruit, on entre, plus de quatre siècles en arrière, dans le cœur du projet français de la Nouvelle France.

Les Grands Lacs ont été récemment découverts, par des Français : dès 1611, Etienne Brûlé, métis d’Indien et de Français, figure de légende, est le premier étranger à se rendre dans la région, suivi en 1615 par Champlain lui-même qui découvre le Lac Huron et les nombreuses communautés huronnes qui y vivent. La même année, Champlain découvre aussi le Lac Ontario.

Dès 1621, on commence à organiser la traite des fourrures avec les communautés huronnes, et à partir de 1627, sur ordre de Richelieu, la Compagnie des Cent Associés assurera l’efficacité de ce commerce.

En 1639, on continue sur la même lancée : la décision de créer Sainte-Marie, c’est d’avoir une plaque tournante dans cette riche région où les prêtres voient de grandes opportunité de conversion auprès des Hurons sédentaires et les politiques une extraordinaire zone d’échanges et d’influence au carrefour des grandes rivières et des Grands Lacs.

Un petit groupe de Français érige en 1639 les premières huttes rudimentaires en bois élagué. Dix ans plus tard, Sainte-Marie s’est transformé en un village comprenant 22 bâtiments, deux églises, un réfectoire, un hôpital, plusieurs ateliers dont celui d’un forgeron ; on cultivera les champs alentours, notamment avec ce que les Hurons appellent « les trois sœurs » : la courge, le haricot et le maïs originaire du Mexique. Il ya aura aussi une écurie.

Une partie de la mission, qui a été confiée aux Jésuites, est constituée d’un solide fortin de pierre équipé d’une petite pièce d’artillerie, l’autre est un enclos réservé aux convertis autochtones, qui ont leur propre chapelle. En 1648, on compte un total de 18 prêtres missionnaires, qui sont soutenus dans leurs efforts par de nombreux laïcs, frères laïcs, donnés (un terme dérivé du verbe Français « donner », pour désigner ce groupe d’hommes qui offrent leurs services gratuitement aux jésuites), et même une demi-douzaine de soldats pour assurer leur protection. Le total des Français à Sainte-Marie culminera à 66 personnes. Dans le contexte de la Nouvelle-France complètement sous-peuplée de l’époque, c’est absolument considérable.

Le projet a donc réussi, plusieurs petits villages annexes ont été créés, des centaines de Hurons convertis, le commerce des fourrures est en hausse constante du fait de la forte demande en Europe et en Russie : la France est, sur les plans spirituel, économique et politique, bien implantée en Huronie et dans la région des lacs Ontario et Huron.

« Sainte Marie-au-Pays-des-Hurons » est alors telle que nous la voyons aujourd’hui reconstituée : une base solide pour un rayonnement durable dans une région importante, voire essentielle, du Nouveau Monde.

Mais elle est installée sur un volcan. D’autres Européens sont attirés par la réussite française: les Anglais, certes, mais surtout les Hollandais, installés depuis 1524 plus au sud, sur l’île de Manhattan, la future New-York. Ils convoitent le commerce des peaux, notamment le castor qui permet de fabriquer des chapeaux imperméables.

Et bien sûr d’autres Indiens voudraient depuis fort longtemps récupérer les territoires et la position favorable occupés par les Hurons « francisés » autour des Grands Lacs : ce sont les Iroquois, leurs ennemis jurés. Unis par des ambitions convergentes, Hollandais et Iroquois sont donc faits pour s’allier contre Hurons et Français.

On va alors voir se dérouler en 1649 et 1650 la « Guerre des fourrures », restée tristement célèbre pour sa cruauté et ses massacres.

Les Iroquois étaient redoutables. Il aurait fallu, côté français, une détermination sans faille pour assurer la survie des villages hurons convertis et alliés. Au lieu de quoi, on va alors assister à une première version de la « trahison des clercs » : chez les français l’idéologie l’emporte sur l’intelligence : pour des raisons « morales », le clergé français refuse de fournir des armes à feu à ses alliés Hurons, alors que les Hollandais en donnent sans hésiter -et en grandes quantités, aux Iroquois !…Les Hurons, nos alliés, se battront donc avec des arcs et des flèches contre un adversaire équipé de « longues carabines » précises et à longue portée…

La supériorité militaire iroquoise ainsi immédiatement établie, le printemps 1649 voit déferler plus de 1 000 guerriers iroquois, armés jusqu’aux dents sur la Huronie. C’est l’assaut final après des années de haine. Les villages hurons succombent aux attaques. Les pertes du côté des assiégés sont énormes : seulement trois des 400 habitants de Teanaostaiaé échappent à la mort, alors que les Iroquois n’y perdent que 10 guerriers.

Finalement, la plus importante mission, celle de Sainte-Marie, est abandonnée. Ses habitants, Français comme Hurons, se réfugient dans une île du lac Huron. Durant l’hiver de 1649-1650, la famine frappe durement les rescapés, emportant des centaines de nos alliés Hurons. Finalement, en Juin 1650, les quelques 300 survivants Hurons, et les rares Français qui restent, prennent le chemin de Québec, où ils arrivent fin Juillet. C’est la fin de la Huronie; les rares survivants se dispersent et vont quémander asile dans d’autres tribus.

Une partie d’entre eux est escortée par des missionnaires jésuites jusqu’au Québec où, « harkis » avant l’heure, on leur permet de s’installer et où on trouve encore aujourd’hui leurs lointains descendants dans la réserve de Lorette

 

 

 

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Sainte-Marie-au-Pays-des-Hurons ne peut laisser indifférent un visiteur français.

Imaginer qu’au XVIème siècle, à l’autre bout du monde, dans un environnement aussi difficile, au milieu de peuplades hostiles, nos compatriotes furent capables d’implanter si loin de chez eux une présence hautement profitable à nos intérêts politiques, économiques et spirituels est hautement émouvant.

Le village a été remarquablement reconstitué : les archéologues (anglo-saxons…) ont retrouvé les fondations du fortin qui protégeait le village et, en se basant sur les plans conservés aux archives, ils ont rebâti pratiquement à l’identique les bâtiments de bois disparus au XVIème siècle. Les muséographes américains et canadiens excellent à ce type de réalisation, ils l’ont fait à Plymouth , à Upper Canada Village, à Jamestown, à Mystic Seaport…

Mais Sainte-Marie n’est pas un village historique comme les autres, c’est du moins ainsi que je l’ai ressenti, moi le « fou d’Amérique ». Il était l’avant garde d’une extraordinaire épopée qui aurait dû aller à son terme. Il incarnait à lui seul le fabuleux espoir de la «Nouvelle France », ce projet immense et lumineux qui nous donna quasiment toute l’Amérique du Nord.

Or ce projet s’effondra par la faute de gouvernants pusillanimes influencés par une poignée d‘idéologues, qui faisaient en France (déjà !) la pluie et le beau temps : un Voltaire, vieillard impuissant et rageur, ne se privait pas de cracher son mépris pour ces « quelques arpents de neige », qui étaient en réalité, mais il ne pouvait le comprendre, la clé d’un empire…

Un empire d’Outre-Atlantique que nous perdîmes et que tous les efforts des Lafayette ou des Napoléon III ne purent jamais nous regagner.

Or cette chute commença symboliquement ici, dans ce village de Sainte-Marie, quand on refusa d’armer nos alliés, se poursuivit par le désaveu opposé à des hommes de la trempe d’un Radisson ou d’un Chouard des Groseillers, jetés dans les bras grands-ouverts des commerçants Anglais par des administrateurs coloniaux bornés…et se termina, après maint épisodes lamentables, quand le « grand homme » qui repose aux Invalides, stratège génial mais si étroitement européen, décida de vendre la Louisiane pour financer ses campagnes militaires…

Entendons-nous : ce que j’écris ici est seulement une manifestation d’indignation devant l’attitude étriquée des administrateurs face aux défricheurs, à leur manque de vision historique.

C’est le mouvement d’un profond dépit à l’idée de ce qu’aurait pu être la France si elle avait su garder le Nouveau Monde.

 

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Les « longues maisons » des Hurons à Sainte-Marie

 

 

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