NB: MISE A JOUR au 22 août 2019: je me réjouis que dans sa série « Les grandes chasses au Trésor », le quotidien Le FIGARO ait publié un intéressant article portant enfin à la connaissance du grand public cet épisode de l’histoire de la France en Amérique.
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– J’ai dit dans un précédent article le plaisir éprouvé à parcourir le Panhandle et la « Forgotten Coast » du Nord de la Floride.
Je voudrais à présent partager avec vous mes autres découvertes de l’hiver dernier.
– A San Agustin, ( aujourd’hui Saint-Augustine) sur la côte Atlantique, ce fut la rencontre avec la Floride historique espagnole, en contraste frappant avec tout le reste de la péninsule;
– Et surtout, ce fut la grande surprise de découvrir que la France avait eu une relation courte, mais intense avec la Floride au XVIème siècle. Un épisode dont j’ignorais jusqu’au premier mot, mais dont vous allez voir qu’il vaut la peine d’être conté.
La documentation disponible est relativement peu fournie et parfois contradictoire , surtout du côté français, les Américains étant assurément beaucoup plus attachés que nous à ces bribes de passé commun.
Quatre des sites indiqués dans ce récit méritent d’être vus. Trois se trouvent à proximité immédiate de Saint Augustine, destination touristique connue. Le quatrième, moins spectaculaire, est à trois heures de route au nord mais peut se combiner avec la visite de Savannah et Charleston, deux légendaires destinations du « Deep South »…
La Floride du Nord-Est, les côtes de Géorgie et de Caroline du Sud , peuvent donc constituer une originale et fort intéressante destination de voyage qui, alliée aux immenses et magnifiques plages de sable de l’Atlantique, offre une belle occasion de vacances « culturelles et balnéaires « , en hiver comme en été.
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La Floride et la « Méditerranée américaine ».
Remontons à l’époque de la conquête du Nouveau Monde:
– après le premier voyage de Christophe Colomb en 1492, l’Espagne va s’installer rapidement dans cette sorte de « Méditerranée américaine » que constituent, la carte le montre bien, la mer des Caraïbes, le Golfe du Mexique et la barrière des Grandes et Petites Antilles.
Elle s’implante à Cuba et à Porto Rico dès 1511; elle sera au Mexique en 1519, en Colombie en 1538….
Les Espagnols souhaitent faire de toute cette zone un « espace réservé ». C’est en effet par ce chemin, et notamment par le Canal des Bahamas, que transitent l’or et l’argent du Nouveau Monde sur les galions à destination de Séville…
– La légende veut que Juan Ponce de Leon, le premier Gouverneur espagnol de Porto Rico, ait découvert « par hasard » en 1513 la Floride en cherchant la Fontaine de Jouvence , une des innombrables merveilles qu’on attribuait au continent récemment découvert.

La réalité est plus prosaïque: Ponce de Leon, évincé de son poste (fort lucratif) de Gouverneur de Porto Rico par le fils de Christophe Colomb, pistonné par papa, part avec trois bateaux à la recherche de nouvelles opportunités…et « tombe » sur un nouveau coin d’Amérique.
Il baptise sa découverte « Tierra Florida ».
Les Espagnols sont immédiatement conscients de l’importance stratégique de cette découverte: la Floride « boucle » le dispositif géographique de la « Méditerranée américaine » vers le Nord, et pourra exercer à l’avenir un contrôle essentiel sur les communications maritimes. Il faut absolument la préserver des appétits Français et Anglais, fort aiguisés par la découverte du Nouveau Monde.
Dès 1494, à peine deux ans après la découverte de Christophe Colomb, Madrid, prévoyante, a d’ailleurs obtenu du pape Alexandre VI (un Espagnol…) qu’il se livre, en vertu de son autorité religieuse et morale, à un véritable partage du monde: par le « Traité de Tordésillas , Alexandre VI divise les territoires « découverts ou à découvrir« , en deux zones réservées en exclusivité l’une à l’Espagne et l’autre au Portugal, tous deux pays catholiques. Tous les autres candidats à un empire oute-atlantique sont exclus, et notamment la France, la Hollande et l’Angleterre.
Bien entendu, sur le moment, aucun autre État ne reconnait le traité de Tordesillas, mais la suprématie navale incontestable de l’Espagne et du Portugal leur permettra de le faire respecter pendant plus d’un siècle.
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1 – La Floride française: un rêve inachevé…
– Au milieu du XVIème siècle…
….la monarchie française, après avoir découvert le Canada au Nord, ( Jacques Cartier, 1534), rêve de bâtir un empire français en Amérique dite « méridionale ». Depuis la découverte de l’Amérique en 1492, la France, elle aussi, veut une part du « Nouveau Monde »…
Dès 1555, Henri II fait établir par le navigateur Villegagnon une petite colonie au Brésil sur une île de la baie de Rio de Janeiro. Baptisée « La France Antarctique », elle sera de courte durée: les Portugais nous en chassent définitivement en 1560, à peine 5 ans plus tard.
Charles IX, successeur d’Henri II, va alors jeter son dévolu plus au Nord sur la Floride. Il chargera son ministre, l’amiral Gaspard de Coligny, de la mise en oeuvre de ce projet.
Les objectifs seront à la fois de briser le monopole ibérique sur le « commerce des Indes » en contrôlant le canal des Bahamas et ainsi affaiblir économiquement l’Espagne, et de canaliser vers un conflit extérieur les passions d’origine religieuse qui troublent la paix intérieure du royaume. Vieille technique de tous les gouvernants…
Détail important: Coligny était lui même protestant. En cette douloureuse période de confrontations religieuses qui déchirent le Royaume, il va aussi donner à ses projets coloniaux une autre mission, celle de trouver de nouveaux territoires susceptibles d’offrir un refuge aux protestants si en France les choses tournaient mal pour eux.
Il est clair cependant qu’il n’y eut pas d’intention de conquête religieuse dans les expéditions de Floride: pour preuve, l’absence de prosélytisme protestant auprès des Indiens.
Il reste que Coligny confia de préférence à des protestants comme lui l’exécution de ces missions. Ce qui aura, comme nous allons le voir, des conséquences dramatiques face à l’extrêmisme catholique espagnol de l’époque.
Coligny va envoyer successivement vers la « Tierra Florida » deux expéditions, dirigées par deux de ses meilleurs capitaines: Jean Ribault et René de Laudonnière:

– Première tentative: le « Charlesfort » de Jean Ribault
Le capitaine Jean Ribault aborde la côte orientale de Floride le 30 avril 1562 avec 150 huguenots.

Ribault construit , non loin de l’actuelle Savannah, un bastion qu’il nomme «Charlesfort» en l’honneur de Charles IX. Il y installe des colons et retourne aussitôt vers la France chercher d’autres volontaires, des vivres et du matériel.
Mais le projet capote: Ribault, bloqué en Europe par la Première Guerre de Religion, tarde à revenir, les vivres viennent à manquer à Charlesfort, les soldats se querellent, le bastion est abandonné et ses occupants se dispersent. Certains prennent la mer sur une petite embarcation pour regagner l’Europe, mais, encalminés, leurs provisions épuisées, ils en sont réduits au cannibalisme quand, secourus par un vaisseau anglais, ils sont emmenés en Angleterre.
Les Espagnols, qui ont eu vent de la tentative française d’établissement, envoient des forces depuis Porto Rico et rasent entièrement Charlesfort en 1563.
Non seulement le projet d’établissement français a échoué, mais il a mis la puce à l’oreille de Madrid et provoqué l’installation d’une tête de pont espagnole dans la péninsule: sur les ruines de Charlefort, les Espagnols édifient en effet la « Mission Santa Elena« , qui va être la capitale de la Floride espagnole pour 25 ans, jusqu’en 1587.
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De nos jours, l’emplacement de Charlesfort est encore visible près de Beaufort (Caroline du Sud) sur l’îlot de Parrys Island, au confluent de deux rivières, dans la magnifique végétation de Caroline du Sud.
La visite vaut par la beauté des lieux, par son intérêt culturel et par l’émotion historique qui s’en dégage: elle interpelle aussi, car cette tentative française d’implantation dans le Nouveau Monde, qui précède pourtant de 45 ans le premier débarquement anglais à Jamestown en 1607, n’est presque jamais évoquée dans l’historiographie officielle anglo-saxonne de l’Amérique.
Il n’en est que plus intéressant de noter, a contrario, la volonté persistante, dans les Etats du Sud , d’entretenir les souvenirs de cet épisode de notre histoire commune.
Quoi qu’il en soit, l’engouement pour la « Floride française » est réel outre-Atlantique: l’épisode de Charlesfort et celui de Fort Caroline ( voir plus loin) sont enseignés dans les écoles du Sud, des reconstitutions historiques ont régulièrement lieu sur place, des colonnes aux armoiries de la France ont été érigées sur les lieux découverts et un Parc Historique de « Fort Caroline National Memorial » a été créé.
Dans le même esprit, l’Etat de Caroline Sud mène des fouilles archéologiques sur les sites depuis 1980 avec le soutien actif de toutes les autorités locales: en 2017 par exemple, les recherches ont conduit jusqu’a une base des US-Marines, laquelle a accepté de céder en partie son terrain pour permettre la poursuite des travaux.
Enfin, tout récemment en 2018, la justice américaine a attribué définitivement à la France l’épave de la « Trinité », le bateau-amiral de Jean Ribault, coulé par les espagnols en 1565 et retrouvé par peu de profondeur au large de Cap Canaveral en 2016 par une société de chasseurs de trésors qui en revendiquait la propriété à des fins commerciales.
Voici les deux seuls articles dans la presse française à ce sujet:
********NB: MISE A JOUR au 22 août 2019: voir l’article du quotidien Le FIGARO sur cr sujet:

A une heure de route de Charlesfort, il ne faut pas manquer un arrêt à Savannah, puis deux heures plus loin, à Charleston, les deux « perles du Deep South » dont je vous propose quelques photos pour vous mettre l’eau à la bouche:
SAVANNAH:
CHARLESTON:
![Charleston 1 24 South Battery c.1790? This house is the remaining western half of an 18th century double tenement. The eastern half was demolished by Nathaniel Russell Middleton for construction of his house at 22 South Battery. This half was remodeled in 1870 for George S. Cook, the noted photographer. The architect for the remodeling was John Henry Devereux. • 22 South Battery c.1858 -- This Italianate house was built c. 1858 by Nathaniel Russell Middleton, a planter. • 22 SOUTH BATTERY, NATHANIEL RUSSELL MIDDLETON HOUSE Constructed 1857-58 Nathaniel Russell Middleton, who served as city treasurer and later as president of the College of Charleston, built the substantial three-and-a-half-story house at 22 South Battery in 1857-58 after demolishing a portion of an eighteenth-century double tenement on the site. Middleton, the grandson of wealthy merchant Nathaniel Russell, married Anne DeWolf of Bristol, Rhode Island. This stuccoed brick house is fronted by a three-story piazza with fluted Doric columns on the first floor and fluted Corinthian columns on the upper stories. Each window on the second and third floors of the piazza opens through transomed French doors. The elegant second-floor double drawing rooms retain their original plasterwork and are reached via an impressive side staircase. There was extensive earthquake damage in 1886, and Middleton's detailed specifications for repair work to the South Battery house still survive. The house at 24 South Battery boasts Italianate and Gothic Revival detailing as well as some Victorian period decorative painting. • 20 South Battery c.1843 -- This large mansion was built c. 1843 by Samuel N. Stevens, a prosperous factor, and remodeled and enlarged in 1870 for Col. Richard Lathers. The remodeling was designed by architect John Henry Devereux, in the Second Empire style. Col. Lathers, a native of Georgetown, S.C., went to New York in 1847 and became a millionaire as a cotton broker, banker, insurance executive and railroad director. After the war, in which he served in the Union forces, he returned to Charleston to help rebuild South Carolina. He invited military and political leaders from the North and South to receptions in his mansion, hoping to bring about a reconciliation. According to tradition, he gave up the attempt and returned to New York. He sold the mansion in 1874 to Andrew Simonds, a prominent local banker. The mansion is a private residence, with a small hotel in the basement and outbuildings. http://www.batterycarriagehouse.com/history.htm • 20 SOUTH BATTERY, STEVENS-LATHERS HOUSE Constructed circa 1843; altered 1870; partially restored 1970s, 1990s Samuel N. Stevens, a factor in partnership with John and William Ravenel, purchased this property in 1843. Stevens's house stood three stories tall with a Tshaped floor plan and piazzas on the front elevation facing South Battery; the original front door stood in an ell toward the western rear of the first elevation of this porch. Colonel Lathers, a native of Georgetown, S.C., went to New York in 1847 and made a fortune in banking insurance, railroads, and other pursuits. By tradition, Colonel Lathers decided to assist in the reconstruction of his native state after the war, so he moved to Charleston. The Charleston Courier stated on March 31, 1870, that Colonel Lathers's residence on South Battery was "in [the] charge of Mr. J. H. Devereux." Architect John H. Devereux's enlargements for Lathers included a substantial addition with a large frieze and cornice with supporting brackets and a fish-scaled slate mansard roof with an arched tripartite dormer projection. The top floor of the dwelling housed an exceptional library described by a visitor as "filled with books and engravings." Receptions were held in the house for important Union leaders, including Gov. Horatio Seymour of New York and William Cullen Bryant. After attempting for nearly four years to restore goodwill between men of the North and the South, Lathers sold the house and returned to New York. Since the 1970s the main house and dependency have been utilized as a private residence and as an inn. http://www.batterycarriagehouse.com/history.htm](https://artofuss.files.wordpress.com/2019/07/charleston-1-.jpg?w=320&h=212&quality=80&strip=all)

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– Seconde tentative: Laudonniètre et la tragédie de Fort Caroline.
Deux ans après l’échec de Charlesfort, une nouvelle expédition est menée en 1564 , toujours à l’initiative de Coligny, par le capitaine René de Laudonnière, qui était déjà le second de Ribault lors de l’expédition précédente de 1562.

Sa flottille part du Havre le 22 avril 1564, forte de trois navires et trois cents hommes.
Laudonnière établit une nouvelle colonie à l’embouchure d’une rivière qu’il baptise Rivière de Mai, sur un site aujourd’hui à 20 minutes de la ville floridienne de Jacksonville.
Les colons, toujours des huguenots pour la plupart, lient aussitôt des relations amicales avec les indiens Timucuas, qui vont les aider à construire rapidement un fort triangulaire, le Fort Caroline. Une collaboration qui semble augurer un bon démarrage de l’entreprise.

Mais les soldats de Fort Caroline font preuve d’indiscipline, se soulèvent par deux fois contre Laudonnière, se querellent avec les Timucuas, et tentent même, malgré leur chef, de s’emparer d’établissements espagnols situés dans les îles proches. Ils sont défaits et l’interrogatoire des prisonniers permettra aux Espagnols de comprendre que les Français, malgré l’échec de Charlesfort, sont revenus en Floride.
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Nous avons vu que, du côté français, la dimension religieuse de ces expéditions vers la Floride était absolument secondaire. Il n’y eut d’ailleurs pas de prosélytisme protestant auprès des Indiens de Floride.
Il en allait tout autrement du côté espagnol: dans leur esprit et au terme même du Traité de Tordesillas, le Nouveau Monde devait être protégé des « hérétiques » et demeurer à jamais dans la foi catholique. Ce qui explique en bonne partie l’impitoyable cruauté des officiers et soldats de Philippe II pour nos compatriotes.
Informé que les Français protestants sont de retour sur sa chasse gardée, puis qu’un renfort de six navires conduits par Jean Ribault vient de prendre la mer à Dieppe avec de nouveaux colons, du matériel et des vivres, pour renforcer Fort Caroline, le roi Philippe II depêche en grande urgence une flotte de cinq navires et un fort contingent d’hommes de troupes.
Il met à sa tête Pedro Menendez de Avilès, capitaine général de la flotte des Indes, soldat d’élite, homme sans états d’âme, avec une double mission:
- Eradiquer les « hérétiques » Français qui ont osé mettre le pied sur des territoires catholiques attribués à l’Espagne par le traité de Tordesillas,
- Fonder ensuite une colonie assez forte pour asseoir définitivement la présence espagnole sur cette partie de l’Amérique et dissuader à tout jamais de nouvelles ingérences.
– Menendez est sur place début Septembre 1565. Il fait voile immédiatement vers Fort Caroline.
Les Français vont alors jouer de malchance mais aussi de maladresse: alors qu’ils se portaient au devant de Menendez pour l’arrêter, leurs bateaux sont pris dans un ouragan et s’échouent.
Or ils avaient groupé le gros de leurs forces sur leurs navires et trop dégarni Fort Caroline…
Menendez, informé, profite de l’aubaine: il lance une incroyable attaque par voie terrestre à travers forêts, marécages et crocodiles, sous une tempête tropicale hurlante…et le 20 septembre 1565, il s’empare par surprise, en pleine nuit, de Fort Caroline mal défendu par trop peu de soldats et une petite poignée de colons.



Il ne fait pas de quartier: les soldats et colons Français sont tous massacrés à l’exception d’un groupe qui s’échappe en bateau vers le Sud.
Ce groupe, rattrapé par la tempête qui continue de faire rage, s’échoue à l’embouchure d’une rivière ; il est alors rattrapé par Menendez de Avilès qui le fait à son tour massacrer le 12 octobre…
Des 400 compagnons de Ribault et Laudonnière, ( les chiffres varient selon les sources), il ne restera que quelques individus qui prennent la fuite et réussiront par diverses routes à rentrer en France où ils vont raconter la tragédie.
La rivière où a eu lieu le second massacre sera désignée depuis comme le « Rio Matanzas », c’est à dire la « rivière du massacre« .

– Les conditions de ces deux massacres et en particulier du second méritent qu’on s’y arrête.
Devant la large supériorité des troupes espagnoles, les Français avaient décidé de se rendre, après négociation avec Menendez de Aviles.
La tradition de l’époque (comme d’ailleurs de la nôtre) veut qu’en cas de reddition, on laisse la vie sauve à l’adversaire.
Mais Menendez n’en fait rien: il ordonne l’exécution des prisonniers, à l’arme blanche , et en justifiera plus tard très clairement la raison: il ne s’agissait pas de tuer des adversaires militaires, mais « d’exécuter des hérétiques », puisque les hommes de Ribault et Laudonière étaient protestants. Quand la fureur religieuse vient doubler la raison d’Etat…
Les instructions de Philippe II à Menendez de Avilès allaient-elles jusque là ? Rien ne l’indique clairement, mais ce n’est pas impensable quand on connait la violence des convictions religieuses de l’époque.

Le capitaine Jean Ribault a droit à un traitement spécial: il est décapité et sa tête fichée sur une pique à l’entrée du campement espagnol. Sa barbe (celle d’un « luthérien » qui a, de plus, osé défier le traité de Tordesillas…) est envoyée en guise de présent au roi Philippe II …
– A Paris, Charles IX, informé par les rescapés, ne souhaitera pas affronter Philippe II pour des raisons diplomatiques: il essaie de conclure une paix générale.
La reine-mère Catherine de Médicis, en revanche, convoquera à deux reprises l’ambassadeur espagnol et demandera avec véhémence le châtiment immédiat de Pedro Menéndez de Avilés pour sa barbarie envers des hommes mandatés par le roi de France. Mais Philippe II fera traîner le dossier pendant des années, sans finalement lui apporter la moindre réponse.
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Cette sinistre affaire, contraire aux règles élémentaires de la guerre, choquera profondément en Europe, où l’époque n’est pourtant pas aux grandes sensibilités en matières politiques ou religieuses.
Elle donnera même lieu, de la part de huguenots français, à une expédition punitive et à des vengeances de nature « privée » envers les troupes et les prêtres espagnols mais aussi portugais, puisque le Portugal était l’autre bénéficiaire du Traité de Tordesillas ( et accesoirement destructeur, on s’en souvient, de la petite colonie française du Brésil ) .
Pour venger ses coreligionnaires, le corsaire hugueneot Peyrot de Monluc mettra à sac la ville de Funchal dans l’île de Madère ; un autre huguenot, Jacques de Sores, fera noyer quarante jésuites portugais au large des Canaries…

C’est surtout Dominique de Gourgues, gentilhomme Gascon et protestant, que l’histoire a retenu: indigné de voir Charles IX laisser massacrer ses coreligionnaires sans réagir, il organise en avril 1568, à ses frais et en s’endettant lourdement, une expédition à travers l’Atlantique pour aller châtier les Espagnols sur les lieux mêmes du massacre.
Il rase trois forts espagnols dont celui de San Mateo, très symboliquement bâti sur les ruines de Fort Caroline et en massacre les garnisons pour venger Ribault et ses compagnons.
Mais il ne cherche pas à exploiter sa victoire et à créer de nouvelle implantation française dans la péninsule et s’en retourne comme il était venu, l’âme en paix, « justice accomplie ».
En récompense de sa détermination et des risques encourus, il subira à son retour, de la part de Charles IX, celui là même qui avait envoyé Ribault et Laudonnière lui bâtir un empire, mais qui à présent tient surtout à sa paix avec l’Espagne, une disgrâce qui le contraindra à vivre caché pendant cinq ans.
A défaut du soutien royal, Dominique de Gourgues gagnera la sympathie populaire. Il deviendra une véritable figure de référence dans la seconde moitié du XIXe siècle, une époque de nationalisme affirmé: on fera de ses exploits des pièces de théâtre, des feuilletons et même des romans pour la jeunesse.
Puis il retombera dans l’oubli des Français, au point qu’il faut aller aujourd’hui sur les collections de la « New-York Public Library » pour trouver son portrait.
Il faut bien dire que notre époque n’en est pas du tout à honorer les gentilshommes dotés de convictions et soucieux de justice…
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– A la fin de 1565, l’aventure française en Amérique méridionale est terminée.
Après l’échec du projet brésilien de 1555 , puis des deux tentatives de Charlesfort et Fort Caroline, la France va abandonner définitivement ses projets d’établissement dans cette partie du continent américain.
Elle va désormais se tourner, au Nord, vers le Canada où ses entreprises finiront plus tard comme on sait.
L’éphémère « Floride française », dont de nos jours peu de gens savent qu’elle a seulement existé, n’aura donc vécu que trois ans, de 1562 à 1565.
– Aujourd’hui, les vestiges de Fort Caroline, à quelques minutes de Jacksonville, font partie d’un intéressant ensemble historique créé en 1990 par le Service des Parcs Nationaux américains au voisinage immédiat de la réserve historique des indiens Timuaca, un temps partenaires de l’entreprise de Ribault et Laudonnière.
Des reconstitutions historiques (reenactments), comme on aime tant à en faire outre-Atlantique, y sont régulièrement organisées.
La visite permet également, au milieu d’un beau paysage de forêts et de marais, un parcours détaillé de la « Plantation Kingsley », la plus ancienne plantation de Floride, une belle maison de 1798 entourée de ses bâtiments d’exploitation et de 32 cases d’esclaves.
Une visite qui, soit dit en passant, permet de relever un détail généralement passé sous silence dans les manuels d’histoire: dans le Sud des Etats-Unis avant la Guerre de Sécession, certains propriétaires de plantations étaient Afro-Américains…et possédaient eux-mêmes des esclaves en grand nombre.
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Jacques Le Moyne de Morgues:
Le premier dessinateur de l’Amérique ? …
– La courte présence Française dans cette partie du monde, si elle a été un échec politique total, a laissé un témoignage ethnographique très important, le seul de son époque, sur les Amérindiens du XVI ème siècle.
L’expédition de Jean Ribault et Laudonnière comprenait en effet un cartographe-illustrateur de talent, Jacques Le Moyne de Morgue, natif de Dieppe, qui, bien au delà du simple tracé des côtes, s’attacha à la description des amérindiens avec qui les Français étaient en contact.
Jacques Le Moyne fut un des très rares rescapés du massacre de Matanzas. Une grande partie de son travail ayant été détruit par les Espagnols, il s’attela à le reconstituer de mémoire, avec l’aide d’un autre artiste, aujourd’hui fameux, Théodore De Bry. Ces témoignages, minutieux et d’une grande qualité esthétique, sont les seuls descriptifs existants des indiens du Nouveau Monde au XVIème siècle.
Le compte-rendu détaillé du voyage de Le Moyne, Brevis narratio eorum quae Gallis acciderunt in Florida Americae provincia , fut par ailleurs publié en 1591. On pourra en lire une traduction ici: https://earlyfloridalit.net/jacques-le-moyne-narrative/.
Quant à ses oeuvres, dont voici quelques unes, elles sont à présent très recherchées par certains collectionneurs:



En 2012, cette peinture sur bois intitulée « Utina, chef Indien » a été vendue aux enchères à Toulouse pour 160.000 euros à un collectionneur ayant tenu à conserver l’anonymat. Les collectionneurs américains sont les plus friands des oeuvres de Le Moyne.
Si vous souhaitez voir d’autres gravures de Jacques le Moyne sur la « Floride française », un ouvrage intitulé « La colonia francesa de Florida » a été publié par Stockcero , éditeur en Floride. Il est disponible chez Amazon , mais en langue espagnole bien qu’écrit par Jean-paul Duviols, un francophone. Les illustrations en sont superbes…
…et je ne touche pas de royalties !
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2. San-Agustin, la Floride espagnole.
La visite des vestiges de l’épopée française en Floride inclut tout naturellement celle, plus spectaculaire mais bien plus touristique, de SAN AGUSTIN, la ville fondée par Pedro Menendez de Avilès.
-Après avoir accompli sa cruelle mission d’éradication de la présence française sur la péninsule, Menendez s’attaque, dès 1565 et avec l’efficacité qu’on lui a vue, à la seconde partie des ordres qu’il avait reçu de Philippe II : créer un établissement espagnol permanent dans la pénisule.
Il jette les fondations de la ville de San Agustin (aujourd’hui « Saint-Augustine ») et y installe 600 colons, assez, pense-t-il, pour pérenniser la présence espagnole sur la Floride.
Ce sera une indéniable réussite, facilitée bien sûr par le renoncement définitif des Français à leurs ambitions colonisatrices. Il en aurait peut-être été différemment si Dominique de Gourgues avait poussé plus au sud son expédition punitive, mais ne réécrivons pas l’histoire…
Les ennemis des Espagnols ne manquent pas pour autant: les Amérindiens, pas toujours amicaux, mais surtout les Anglais, eux aussi avides de se créer une place en Floride et qui vont au fil du temps multiplier les attaques : le corsaire Francis Drake incendie la ville en 1586, suivi par le pirate Robert Searle, puis viendra un corps expéditionnaire depuis la nouvelle colonie anglaise de Charleston…
Devant l’ampleur des menaces, Madrid décide de fortifier San Agustin.
On entreprend en 1672 la construction du « Castillo de San Marcos », un remarquable ensemble très visité aujourd’hui.
A partir de ce moment, San Agustin, la plus ancienne ville permanente de l’Amérique du Nord, va pouvoir se développer et devenir à partir de 1587 la nouvelle capitale de la Floride espagnole, en remplacement de Santa Anna, anéantie par les incursions anglaises (voir plus haut).
Elle ne va toutefois pas cesser d’être l’objet des attentions régulières de la Royal Navy et passera deux fois en deux sièclesdes mains de Madrid à celles de Londres, avant d’échoir finalement, comme le reste de la péninsule, à la nouvelle grande puissance émergente, ces Etats-Unis d’Amérique devenus indépendants en 1776 et bien décidés à être les seuls maîtres sur «leur » continent.
Après avoir été française, puis espagnole, puis anglaise, la Floride passe donc définitivement en 1819 aux mains des USA dont elle devient le 23ème Etat.
Son premier Gouverneur en sera le général Andrew Jackson, vainqueur de la bataille de la Nouvelle-Orléans contre les Anglais en Janvier 1815, et plus tard septième Président des Etats-Unis en 1829.

– Saint-Augustine aujourd’hui:
« Saint-Augustine » est aujourd’hui le témoin majeur de la présence espagnole en Amérique du Nord pendant 237 ans. Son architecture en porte l’empreinte et constitue un ensemble très homogène et de fort caractère.
La ville a gardé sa physionomie espagnole autant qu’il est possible de le faire devant une certaine propension nord-américaine au « Disney-Landisme ». On ne peut s’y tromper, on est ici dans une superposition de cultures: impossible d’échapper a ce sentiment.
Malgré le remarquable travail de conservation à l’identique, malgré un réel attachement au détail, l’inspiration a été hispanique, mais le résultat final, tout en restant très attachant, est tout de même…un peu hollywoodien.
Vous vous amuserez peut-être, qui sait, de ces attractions inimitables comme les « Ghost Tours » c’est à dire des « chasses-aux-fantômes-pour-rire », organisées la nuit dans la ville ancienne, où on parle un peu de spiritisme, un peu d’histoire, un peu de littérature… Une chose que les américains adorent tout autant que les « reconstitutions » en costumes d’époque, et qu’on trouve aussi à la Nouvelle-Orléans et les autres villes du « Deep South »…
Mais bien sûr personne ne vous oblige à participer.
Le coeur de la ville ancienne a un aspect assez monumental du fait de grands ensembles de style « néo-colonial renaissance espagnol », assurément exotique mais aussi assez indigeste…
A partir des années 1880, on a décidé de « lancer » la Floride et édifié de grands hôtels « baroques » inspirés des palais des conquistadors : le Ponce de Leon, l’Alcazar, le Casa Monica, ont attiré les visiteurs hivernaux vers le « Sunshine State’ » et offrent toujours, à prix d’or bien sûr, le charme et la « romance » de l’architecture d’influence espagnole, notamment aux jeunes mariés qui y accourent depuis le reste du pays.
Les rues pavées, souvent très étroites, aboutissent à la grande « Plaza » comme en Espagne. Saint Augustine est un musée à ciel ouvert où on se plait à tout faire à pied, ou en calèche, notamment pendant les mois d’hiver où le climat est agréable.
Le « carré des vieilles rues« , derrière les portes du XVIIIème siècle, est chaleureux et donne l’occasion d’une agréable flânerie jusqu’au bord de la rivière « Matanzas » où , avec un peu de chance, on peut voir amarré « El Galeon », la réplique de galion du film « Pirates des Caraïbes ».
Les « reenactments » sont nombreux, des lanciers défilent dans les rues, on croise des gens habillés à la mode du XVIème siècle, des calèches… Musées et festivals ne manquent pas, tout est bien sûr extrêmement bien organisé. Bistrots et échoppes de souvenirs abondent.
Les plages sont immenses et la mer superbe, on peut déjeuner ou dîner au bord de l’eau de fruits de mer et de poissons grillés; on peut ausi profiter qu’on est en pays « quasi-hispanique » pour se laisser tenter par la cuisine latino: soupe à l’avocat avec une tortilla, empanadas farcies au bœuf et à la saucisse fumée… Et pour finir, une brioche à la cannelle!
Voilà donc une destination « incontournable » de la région, comme on dit de nos jours, une atmosphère franchement différente de la Floride anglo-saxonne, un « voyage dans le voyage » …à éviter néanmoins en plein été si on n’apprécie pas la foule.
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– Un peu à l’écart de la vieille ville, le Fort de San Marco, vénérable jalon historique, est l’ange gardien de Saint-Augustine. J’ai beaucoup apprécié son dépouillement tout militaire qui échappe à tous les styles et les imitations.
Il a servi face aux Anglais du temps des Espagnols, face aux Indiens pendant les trois « Guerres séminoles » et bien entendu face au Nord pendant la Guerre de Sécession.
Lui est plein de vrais fantômes…
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– « Fort Matanzas », les échos d’un massacre.
A quelques encâblures au sud de Saint-Augustine, ( 20 kilomètres pour être moins « marin » et un peu plus précis.. ) les Espagnols construisirent en 1742 un fort bastion à proximité immédiate des lieux du massacre de 1565.
Cet ouvrage avancé était destiné à repérer et retarder toute approche de San Agustin par le Sud. En venant de l’Océan, on pouvait en effet remonter la rivière vers le nord et prendre San Agustin à revers…Il remplaçait une fragile tour de guet faite de rondins et d’échelles plusieurs fois détruite et reconstruite au cours des années par divers attaquants.
La visite en vaut la peine; le fort et ses environs sauvages de marécages salins donnent une idée assez réaliste de ce que pouvait être le guet dans ces parages hautement paludéens au XVIème siècle.
Un « Fort Apache », pour les amateurs de western ?
On bien une sorte de « Désert des tartares » d’un Dino Buzzati qui se serait perdu sous les tropiques ?…
Ils étaient là un poignée, moins de dix hommes, à scruter la mer au delà de la barre, exposés au soleil d’été dans leurs demi-cuirasses, au vent humide l’hiver et même aux crocodiles dont on peut voir encore quelques exemplaires hanter le « Rio Matanzas ».
Avec sa rudesse purement utilitaire et sans fioritures, Fort Matanzas m’a, comme le Fort san Marcos, un peu reposé des pâtisseries architecturales de Saint-Augustine.
Il est isolé dans un « parc historique » de plusieurs dizaines d’hectares où on peut marcher et faire du kayak au milieu des oiseaux des marais, d’aigles de mer et d’une bande de sympathiques pélicans.
Diverses bornes et panneaux jalonnent les sentiers de sable très blanc , mais on ne sait exactement où eu lieu le massacre, car le dessin de la côte varie sans cesse au gré des ouragans et de forts courants. Les recherches n’ont jusqu’à présent rien donné et peu d’espoir existe d’en savoir un jour davantage.
Fort Matanzas est évidemment un lieu propice à la réflexion: on a du mal de nos jours à imaginer que des européens égorgèrent ici d’autres européens en grand nombre au nom de nuances de pratique qui semblent aujourd’hui bien minces à l’intérieur d’une même foi !
Une leçon à retenir à notre époque de défis religieux renouvelés…
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Compléments bibliographiques:
Je l’ai dit, la documentation sur la « Floride française » n’est pas abondante.
On trouvera néanmoins à l’adresse ci-après une excellente description de toute l’affaire de Fort Caroline, écrite par l’historien américai »n John De Bry, PhD, Directeur du
« Center for Historical Archaeology » de Floride, très attaché à l’étude de la « Floride Française »:
https://www.academia.edu/11319858/La_Perte_de_la_Flotte_de_Jean_Ribault_1565_-_French_Language
https://fr.wikipedia.org/wiki/Dominique_de_Gourgues
En 2012, le Musée du Nouveau Monde de La Rochelle a consacré une exposition à la courte épopée française :
https://postalmuseum.si.edu/indiansatthepostoffice/mural58.html
L’illustrateur et cartographe Le Moyne de Morgues, https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Ribault
https://magazine.interencheres.com/art-mobilier/outina-chef-indien-convoite/
https://www.academia.edu/11319858/La_Perte_de_la_Flotte_de_Jean_Ribault_1565_-_French_Language
https://postalmuseum.si.edu/indiansatthepostoffice/mural58.html
http://virginiahistoryseries.org/linked/unit%203.%20french%20in%20florida.color%20plates.
Bonne lecture….
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Armoiries Françaises et Espagnoles du XVIème siècle.
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