« Hydroxychloroquine : voilà pourquoi l’étude de The Lancet est si critiquée » L’Express.

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Par Victor Garcia,

L’étude publiée dans la prestigieuse revue scientifique souffre de biais méthodologiques qui pourraient remettre en cause ses résultats, une enquête est en cours. L’Express détaille l’origine des critiques.

 

L’hydroxychloroquine (HCQ), parfois associé à l’azithromycine, est-il efficace pour traiter le Covid-19 ou au contraire inefficace, voire dangereux ? Depuis des mois, ce traitement défendu notamment par le controversé professeur Didier Raoult, qui dirige l’IHU – Méditerranée Infection ou encore le président américain Donald Trump, est au centre d’une intense polémique, alimentée notamment par une incompréhension majeure du fonctionnement de la science moderne.

La production d’étude scientifique rigoureuse est en effet un processus lent et complexe. À ce jour, il n’existe toujours pas de données permettant de trancher la question, mais uniquement des hypothèses plus ou moins robustes. Des études publiées par le professeur marseillais et son équipe penchent en faveur du traitement, mais elles souffrent toutes de biais méthodologiques majeurs qui nuisent aux résultats. Et si la plupart des autres études menées sur ce traitement penchent pour son inefficacité, elles ne sont pas non plus déterminantes.

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Une nouvelle étude publiée vendredi 22 mai dans la revue médicale The Lancet est venue apporter quelques éclairages. Ces travaux suggèrent en effet que la chloroquine (CQ) ou l’HCQ, associés ou non à des antibiotiques macrolides, comme l’azithromycine, pourraient non seulement se révéler inefficaces pour traiter le Covid-19, mais également dangereux, voire fatals. Suite à cette publication, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a décidé par mesure de précaution de suspendre « temporairement » l’utilisation de l’HCQ dans tous les essais cliniques qu’elle mène en collaboration avec plusieurs pays.

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Les autorités françaises ont, elles, interdit l’utilisation de l’HCQ pour traiter le Covid-19 en, sauf dans le cadre d’essais cliniques. Depuis, l’étude a été vertement critiquée non seulement par le Pr Raoult, qui n’a pas hésité à la qualifier de « foireuse », mais également par de nombreux autres scientifiques.

Que dit l’étude publiée dans The Lancet ?

Les auteurs, des chercheurs américains et suisses, ont analysé des données médicales collectées entre le 20 décembre 2019 et le 14 avril 2020 auprès de 671 hôpitaux dans le monde. Ils ont identifié 96 032 patients touchés par le Covid-19, dont 85% ont bénéficié de soins courants et 15% d’un traitement à base de CQ ou d’HCQ, avec ou sans ajout d’antibiotiques macrolides, dans les 48 heures suivant le diagnostic. Ils ont ensuite comparé l’évolution de l’état des patients des deux groupes, en prenant en compte la mortalité, mais aussi de potentiels effets secondaires, comme des problèmes cardiaques. La CQ, l’HCQ et les antibiotiques macrolides sont connus pour perturber le rythme cardiaque.

Selon les auteurs, 0,3% des malades bénéficiant des soins courants ont connu des perturbations cardiaques, contre 4,3% et 6,1% pour ceux traité avec la CQ et l’HCQ et même 6,5% et 8,1% pour les patients recevant en plus un macrolide. Pire encore, 9,3% des personnes bénéficiant de soins courants sont décédées à l’hôpital, contre 17% pour les patients sous CQ et HCQ et 23% lorsqu’ils recevaient également un antibiotique. « Nous n’avons observé aucun avantage de l’hydroxychloroquine ou de la chloroquine – avec un macrolide ou non – lorsqu’ils sont prescrits tôt après le diagnostic de Covid-19 », concluent les auteurs.

Pourquoi ces travaux sont critiqués

Cette étude, dite rétrospective, a été menée grâce à la collecte de données déjà disponibles. Ce type de méthodologie permet de mettre en évidence une relation entre des données soit, dans ce cas, la prise de CQ ou d’HCQ associée ou non avec un macrolide, et la survenue d’événements indésirables. Ils ne peuvent pas, en revanche, établir de lien de cause à effet, qui s’obtient grâce à d’autres types d’études, comme les essais randomisés contrôlés (RCT), dans lesquels les patients reçoivent, de manière aléatoire, le traitement ou un placebo, sans que les malades ni les médecins ne soient au courant du médicament ingéré (double aveugle), de manière à éliminer un maximum de biais.

Dans le cas de l’étude du Lancet, non seulement les « soins standards » – soit l’équivalent du placebo – ne sont pas identiques dans tous les hôpitaux, mais les traitements à base de CQ, HCQ et de macrolides ne sont pas donnés de manière aléatoire, ni même en « double aveugle ». Plus généralement, la comparaison des données provenant de centaines d’hôpitaux aux protocoles différents peut créer des biais qui limitent la robustesse des résultats. Il n’empêche que cette étude, qui analyse un très grand nombre de données, possède une force statistique éclairante. Malgré tout, elle ne permet pas à elle seule de trancher la question de l’efficacité, l’inefficacité, l’innocuité ou la dangerosité de ces traitements.

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Outre les faiblesses inhérentes à son protocole, l’étude publiée dans The Lancet est également attaquée pour d’autres failles, sans doute plus importantes, relevée par plusieurs chercheurs spécialisés dans la relecture des publications scientifiques dont certains avaient d’ailleurs vertement critiqué les travaux du Pr Raoult. Les auteurs de l’étude ont notamment décidé d’exclure les patients qui ont reçu de la CQ après leur intubation en soins intensifs. « 3076 personnes ont reçu de la CQ avant l’intubation, mais 1102 (35%) ont reçu de la CQ après intubation et ont été exclus, le taux de mortalité pourrait donc être sévèrement biaisé […] attendons les RCT ! », explique notamment Lu Chen, chercheur au National Center for Advancing Translational Sciences, l’un des 27 instituts appartenant à une agence du département américain de la Santé et des Services sociaux.

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Figure 1 de l’étude du Lancet détaillant le recrutement des patients des deux groupes.

The Lancet/Mandeep R Mehra

Une centaine de chercheurs ont également écrit une lettre ouverte à destination du Lancet et des auteurs de l’étude. Évoquant des « préoccupations à propos de l’analyse statistique et de l’intégrité des données », ils demandent à la société Surgisphere de rendre publique les données médicales – qu’elle a collectées pour le compte des auteurs – et de les faire analyser par une organisation indépendante comme l’OMS.

Une enquête en cours

Dans un communiqué, Surgisphere a défendu l’intégrité de ses données et affirmé qu’elles viennent d’hôpitaux qui collaborent avec elle, mais a refusé de les rendre publiques en raison de leurs « accords d’utilisation ». Interpellé par la communauté scientifique, le fondateur de Surgisphere, le Dr Sapan Desai, également co-auteur de l’étude parue dans The Lancet, a néanmoins reconnu qu’un hôpital situé en Asie avait accidentellement été identifié comme un hôpital australien. Le principal auteur de l’étude, le Dr Mandeep Mehra, a de son côté déclaré qu’il avait contacté Surgisphere pour revérifier avec « la plus grande urgence » les données. « Nous avons demandé des éclaircissements aux auteurs, nous savons qu’ils enquêtent et nous attendons leur réponse », a confirmé la direction de The Lancet, interrogée par The Guardian Australia.

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Même si l’enquête en cours conclut que les biais méthodologiques de l’étude faussent ses résultats, l’efficacité ou l’innocuité du traitement à base de CQ ou d’HCQ ne seront pas pour autant démontrées. En revanche, cela confirmera que la frénésie de publications sur le Covid-19 depuis le début de l’épidémie est particulièrement néfaste pour le débat scientifique, sociétal et politique. Les centaines de milliers de morts provoqués par le coronavirus ont poussé de nombreux spécialistes à prépublier leurs études sur Internet sans passer par la case « relecture et vérification » imposée par les grandes revues. Mais cette urgence sanitaire pourrait également avoir poussé les revues scientifique à une certaine négligence, comme le suggèrent les erreurs de l’étude du Lancet.

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