
– Plus encore qu’avant l’épidémie, on découvre la place de la science dans les politiques publiques. L’épidémie du Covid-19 le montre chaque jour, mais plus fréquemment encore les contre-vérités exprimées par ceux qui tentent d’imposer pour « le monde d’après » leurs croyances partisanes et leurs idées fausses, loin d’être empiriquement démontrées. En effet, de trop nombreuses affirmations considérées comme « évidentes » par l’opinion le sont infiniment moins que celles des bienfaits de l’hydro-chloroquine[1] dont l’action in vivo sur le virus est, elle, clairement établie.
L’esprit ailleurs, on laisse dire que la conduite des voitures électriques serait meilleur marché pour leurs usagers que celui des voitures propulsées par un moteur thermique. C’est faux, même en tenant compte des substantielles subventions qui ont par ailleurs toutes chances de disparaître. Toujours en matière d’énergie, d’autres veulent nous faire croire que la propulsion à l’hydrogène, à large échelle, serait une voie d’avenir. Ceci est avancé alors qu’aucun des problèmes majeurs de ce carburant n’a été résolu, et notamment pas le coût de l’extraction de ce gaz, de son stockage, de son transport et de sa sécurité. Avec force publicités, on enfonce aussi dans le crâne des populations crédules que le gaz méthane est une source d’énergie « propre », pourtant l’épidémie n’aura rien changé au fait que la combustion de ce gaz produit de l’eau et… du gaz carbonique.
Les relais d’opinion, noyés par l’émotion, feignent à leur tour d’ignorer que les entreprises, fussent-elles pharmaceutiques, vivent aussi de la vente de leurs produits. Il faudrait d’ailleurs préciser que, jusqu’au développement économique et scientifique de la Chine, à ma connaissance, aucun médicament majeur de la pharmacopée contemporaine n’a été développé dans un pays communiste.
Lire aussi Kervasdoué – Le coronavirus, révélateur d’une France rigide et lente
« Tout » ne sera pas possible
Enfin, certains élus laissent entendre que dans « le monde d’après » la France pourra vivre en quasi-autarcie. Il suffirait pourtant de regarder vers la Corée du Nord et Cuba pour assez vite se persuader que ce n’est pas vraiment souhaitable. Sans aller jusqu’à cet extrême, on ne rapatriera pas en France des pans substantiels de la production industrielle, sauf si l’on baisse d’au moins 20 % les coûts de production par l’augmentation de la durée du travail notamment, la seule envisageable à court terme, et par la mise à la poubelle de 90 % de la réglementation qui fait courir l’industrie française avec un boulet aux pieds.
À défaut et pour atteindre cette compétitivité nécessaire, il serait aussi envisageable de réduire drastiquement la protection sociale. Mais les éditorialistes n’ont à la bouche ou sous la plume qu’un leitmotiv : renforcer les mécanismes de solidarité. Pourquoi pas ? Mais comment les financer dans le pays où les transferts sociaux sont déjà les plus élevés au monde ? De surcroît, devant la montée du chômage des jeunes, le fait d’augmenter les cotisations sociales accroîtrait encore le coût du travail et ce même chômage, ceci afin de payer la retraite des grands-parents et l’allocation dépendance des arrières grands-parents de ceux qui cherchent un premier emploi.
De même, taxer les riches ne suffirait pas non plus. En effet, pour combler le seul déficit vraisemblable de la protection sociale en 2020 (60 milliards d’euros), il faudrait multiplier par 20 la perte des recettes de l’ISF (3 milliards), tant regrettée par ceux qui ne payent pas cet impôt.
Avec la montée du chômage, l’état des comptes publics, l’inconscience de l’opinion et la fragilité du pouvoir, les mois qui s’annoncent ne laissent prévoir aucune sérénité : « tout » ne sera pas possible. Avis de grand frais à l’automne, annoncerait la météo marine.
Même dans les sciences dures l’opposition existe
Mais, revenons à la recherche scientifique. Précisément, s’il y a une mondialisation qui sort renforcée de ce drame planétaire, c’est bien celle de la recherche. Les équipes du monde entier échangent quotidiennement leurs résultats et leurs données. Ainsi, chaque matin, on peut étudier les cartes et les tableaux mis à jour dans la nuit[2] pour chaque pays et toutes les régions françaises. Échanges de données, de modèles, de résultats, publications d’articles plus ou moins rigoureux… la mondialisation de la science est devenue plus que jamais une réalité quotidienne et le restera.
Lire aussi Kervasdoué : « La santé est entre les mains des financiers »
Ceci est la première leçon tirée par les professionnels ; du côté des non-spécialistes, la surprise est vraisemblablement venue de la découverte que les scientifiques ne sont pas des animaux à sang froid et que tant qu’un consensus n’est pas atteint, tant qu’une proposition n’est pas tenue pour vraie, même dans les sciences dures, peuvent se déchaîner des oppositions frontales, voire passionnées. Néanmoins, la méthode scientifique demeure l’une des deux manières pacifiques que les humains ont découvertes pour trancher leurs conflits, l’autre est la justice, méthode parfois peu agréable, mais pacifique.
En science, il n’y a pas de juge, mais des résultats d’expérience. Toutefois, les expériences ne sont pas toujours possibles et c’est même la règle en santé publique comme en matière d’environnement. Il n’y a qu’une planète Terre et pas cinquante pour tester l’impact de l’espèce humaine sur le climat ou la biodiversité. Quand on ne peut pas contrôler toutes les influences possibles, il devient difficile d’affirmer avec certitude que A est la cause de B, toutes choses étant égales par ailleurs.
Communication politique et communication scientifique
Ainsi, sans vouloir prendre parti dans la controverse, le Lancet[3] ne contredit en rien les affirmations du professeur Raoult, cet article parle d’autre chose. Les auteurs du Lancet ont en effet étudié une base de données de l’OMS créée en novembre 1967. Elle recense les effets indésirables de tous les médicaments. Des médecins de 132 pays l’enrichissent en faisant part de leurs observations, s’ils le jugent utile. L’analyse de cette base présentée dans cette publication porte sur la période allant du quatorze novembre 1967 au premier mars 2020. Pendant ces 52 ans ont été recensées des complications cardiaques, après prescription d’hydroxychloroquine, dans 76 822 cas et après prescription d’azithromycine dans 89 692 cas. La seule conclusion que l’on puisse en tirer, c’est que des complications sont possibles quand ces médicaments sont prescrits. Elles représentent d’ailleurs moins de 1 % des cas reportés. Au surplus, la base de l’OMS n’est en rien représentative, on ne sait pas à combien de patients ces médicaments ont été donnés, sans doute des milliards de fois pour l’hydroxychloroquine.
Lire aussi Hydroxychloroquine : « La science ne se fait pas sur YouTube ! »
Par ailleurs, cet article ne teste pas l’hypothèse du professeur Raoult à savoir que l’association de ces deux médicaments, dès qu’apparaissent les premiers symptômes de l’infection par ce virus, en réduit les effets pathogènes. On peut alors se demander pourquoi un tel article a été publié dans ce contexte anxiogène et pourquoi le ministre de la Santé n’a pas laissé à ses confrères la liberté de les prescrire. Une fois encore, le Lancet publie un résultat d’une très grande banalité : tout médicament, ceux-là inclus, peut avoir des effets secondaires, assez rare semble-t-il dans ces deux cas.
Lire aussi Covid-19 et hydroxychloroquine : fin de partie ?
Quotidiennement, on voit donc diverger la communication politique et la communication scientifique. Les uns disent : « je ne sais pas », comme Sir Peter Ratcliffe, prix Nobel de médecine, professeur à Oxford. « Jusqu’à présent, je ne sais presque rien de la manière dont le virus se comporte et pourquoi il le fait. » Il est pourtant l’un des spécialistes mondiaux des mécanismes d’hypoxie, la privation d’oxygène qui touche certains patients infectés par le Sars-Covid-19. Savoir ce que l’on ne sait pas est la première qualité d’un chercheur, mais les politiques doivent agir alors qu’ils ne savent pas et c’est la première qualité d’un responsable politique que de trancher dans l’incertitude en ayant le courage d’affronter demain ceux qui ne manqueront pas de déclarer : « je vous l’avais bien dit ».
Enfin, pour compliquer le tout, les scientifiques sont en général prudents et ceci à juste titre. Le professeur Raoult reste une exception à la règle. Ils savent qu’il est dangereux de s’avancer quand on n’est pas à 100 % certain ou, plus subtilement encore, quand on est certain de ce que l’on voit, mais que l’on ne comprend pas ce qui se passe. Ainsi, depuis trois semaines, l’épidémie s’éteint progressivement, grâce au confinement, mais pas seulement. On constate donc qu’il existe « un facteur intrinsèque » qui éteint l’épidémie indépendamment du confinement. Autrement dit, en France notamment, elle est en train de s’arrêter en partie toute seule. Pourquoi ? On ne sait pas vraiment, même s’il y a plusieurs hypothèses envisagées, mais n’étant pas démontrées, on ne peut pas l’affirmer.