Christophe de Voogd: «Sous le costume du sarkozysme, le macronisme»

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FIGAROVOX/TRIBUNE – L’historien voit dans la présence au gouvernement d’anciens proches de Nicolas Sarkozy une manœuvre politique plutôt qu’un virage idéologique.

Par Christophe de Voogd
7 juillet 2020
Le Figaro
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* Normalien, agrégé et docteur en histoire, Christophe de Voogd est notamment l’auteur de Réformer: quel discours pour convaincre?(Fondapol, 2017).


Quelle que soit l’opinion que l’on porte sur Emmanuel Macron, force est de lui reconnaître une remarquable maîtrise du temps politique: second tour des municipales fixé au 28 juin pour ne pas encourager outre-mesure, en temps de Covid, la participation dans un scrutin fort mal engagé et pour permettre également une exfiltration glorieuse d’Édouard Philippe ; clôture des travaux de la Convention citoyenne pour le climat ; nouveau premier ministre ; nouvelle équipe gouvernementale… Le président aura fixé à sa guise le calendrier, jusqu’à choisir avec une précision d’horloge – ne s’en dit-il pas le «maître»? – le moment exact de l’annonce de la composition du gouvernement: trois longs jours après la nominationde Jean Castex, afin de garder les médias en haleine, et juste à temps pour les «20 heures» d’un lundi soir.

 

Même utilisation optimale du temps avec l’annonce de ses grandes orientations pour la fin du quinquennat fixée au 14 juillet, c’est-à-dire au terme ultime du délai qu’il avait lui-même indiqué pour ce faire. La France se plongera ensuite dans les vacances et les difficultés politiques, inévitables, seront reportées à la rentrée. Le résultat n’est pas mince, si l’on songe que le 28 juin avait d’abord signifié l’échec électoral retentissant du parti présidentiel. Cet art de reprendre la main et de gagner un temps précieux n’est pas nouveau chez Emmanuel Macron, si l’on se rappelle la lumineuse idée du grand débat – il est vrai, après un moment de flottement – pour sortir de la redoutable crise des «gilets jaunes». Ou encore l’accélération du déconfinement, répondant à l’urgence d’une économie asphyxiée et, quoi qu’on en ait dit, au vœu populaire, malgré les réticences du premier ministre et du ministre de la Santé.

Le choix de collaborateurs de l’actuel président comme directeurs de cabinet de Matignon et de Beauvau montre que les titulaires seront sous l’étroit contrôle de l’Élysée

Quant à la signification de la séquence actuelle, elle ne sera vraiment claire qu’avec le rendez-vous du 14 juillet. Et encore est-il permis d’en douter, avec un président qui a fait du «en même temps» sa marque de fabrique. Sans doute, le choix de Jean Castex pour Matignon, le faible nombre de ministres de LREM et la promotion des ministres de droite, entre un Bruno Le Maire véritable vice-premier ministre, un Gérald Darmanin puissant ministre régalien et un Jean-Michel Blanquer aux compétences élargies, poussent les commentateurs à conclure à la droitisation du pouvoir. Droitisation qui serait rendue inévitable par le vote écologiste des métropoles naguère macroniennes, la faiblesse structurelle de la gauche et la concurrence du Rassemblement national, lequel ne doit à aucun prix monopoliser les thèmes très populaires de la laïcité, de la sécurité et de l’autorité. D’où la présence au gouvernement d’une droite plus marquée que celle incarnée par Édouard Philippe et où d’anciens proches de Nicolas Sarkozy sont désormais au premier plan, notamment avec le nouveau premier ministre et le nouveau ministre de l’Intérieur.

Mais n’allons pas trop vite en besogne: le choix de collaborateurs de l’actuel président comme directeurs de cabinet de Matignon et de Beauvau montre que les titulaires seront sous l’étroit contrôle de l’Élysée. D’autre part, ni Roselyne Bachelot, chiraquienne historique, ni Bruno Le Maire, candidat à la présidence des Républicains, puis à la primaire de la droite contre Nicolas Sarkozy, ne sauraient compter au nombre de ses partisans. À y regarder de plus près, la présence de personnalités venues tôt ou tard de la gauche est encore abondante: Élisabeth Borne, Barbara Pompili, Olivier Véran sont même à des postes clés. Et la nomination tonitruante d’Éric Dupond-Moretti, lui aussi de sensibilité de gauche, ne doit rien à un quelconque sarkozysme ; elle est, au-delà de la nécessaire réforme de la justice et du coup de com’ d’un choix atypique et populaire, un nouveau coup de boutoir contre le RN, adversaire préféré d’Emmanuel Macron pour 2022.

Le recours à quelques proches de Nicolas Sarkozy pourrait inciter à y voir aussi une manœuvre destinée à couper l’herbe sous le pied de ce dernier

Choix qui indique aussi que le «en même temps» macronien n’est pas mort, loin de là: personnalité difficilement classable, ancien défenseur des innocents d’Outreau comme du très sulfureux Abdelkader Merah, le nouveau ministre a, dans son premier discours, coché «en même temps» l’indépendance de la justice et l’antiracisme, la réforme et le dialogue, l’autorité de l’État et la condition des prisonniers. Enfin, son talent oratoire éblouissant signale – fait peu relevé – la constitution d’une véritable machine de guerre rhétorique autour du président dans la perspective de 2022: deux redoutables bretteurs à la Justice et à l’Intérieur et un nouveau porte-parole, Gabriel Attal, fin communicant, qui ne fera certainement pas regretter l’ancienne titulaire du poste.

Tout, décidément, du calendrier choisi aux nominations, les plus visibles comme les plus discrètes, du premier ministre aux directeurs de cabinet en passant par les ministres délégués, donne à penser que, loin d’un gouvernement sarkozyste sans Sarkozy, nous sommes en présence d’un «gouvernement Macron pur». Il faut se méfier, sur ce point comme sur d’autres, du «sinistrisme» (pour reprendre le terme d’Albert Thibaudet) de notre culture politique et de bien des médias, pour qui toute personnalité qui n’est pas de gauche patentée est considérée comme «de droite».

 

Dans ces conditions, le recours à quelques proches de Nicolas Sarkozy pourrait inciter à y voir aussi une manœuvre destinée à couper l’herbe sous le pied de ce dernier en occupant son espace politique. Le principal intéressé a certes déclaré en 2019 qu’il quittait «définitivement la vie politique», mais il n’a pas exclu, dans d’autres propos, un retour en cas de crise gravissime.

Celle-ci, à l’aube d’un tsunami économique qui succède à un tremblement de terre sanitaire – dont les répliques ne sont d’ailleurs pas exclues – n’a-t-elle pas beaucoup gagné en probabilité?

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