Lors d’une conférence, le Premier ministre hongrois a proposé que l’Europe de l’Ouest et de l’Est pratiquent la tolérance mutuelle.
« L’Europe de l’Ouest et l’Europe centrale suivent deux chemins différents », constatait, jeudi, Viktor Orban lors d’une conférence vidéo intitulée « L’Europe non censurée », animée par l’eurodéputé LRFrançois Xavier Bellamy. Sa prise de parole a précédé de quelques heures le discours d’Angela Merkel au Parlement européen qui était d’une tout autre nature alors même que les deux leaders appartiennent à la famille des chrétiens-démocrates européens à travers le PPE.
Le contraste est saisissant. Autant la chancelière a chanté l’unité européenne, autant le Premier ministre hongrois a souligné les différences d’approche d’un bord à l’autre du continent européen.
Orban n’était absolument pas dans l’invective ni dans la provocation vis-à-vis de Bruxelles et il n’a fait, pour une fois, nulle mention du rôle de marionnettiste en chef qu’il prête au milliardaire George Soros vis-à-vis des instances communautaires. C’est un homme détendu, assez affable, qui s’est présenté mercredi devant sa caméra pour retracer les évolutions de l’Union européenne.
« La balance des pouvoirs a changé »
En premier lieu, il insiste sur deux paramètres géopolitiques vitaux et qui se sont dégradés sur trente ans : la natalité qui a dégringolé de 1,8 enfant par femme à 1,5 en 2018, puis les dépenses militaires qui ne correspondent plus qu’à 1,4 % du PIB européen contre 2,5 % trente ans plus tôt. Le vieillissement de l’Europe et sa propension à se désarmer exposent l’Union à disparaître peu à peu des grands acteurs de la planète.
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Orban constate également que la balance des pouvoirs a totalement changé depuis la chute du mur de Berlin. Selon lui, l’adhésion à l’UE était attractive lorsque celle-ci était guidée par un tandem franco-allemand fort et équilibré, avec un Royaume-Uni en force d’arbitrage. Trente ans plus tard, la France est à la peine ; elle a perdu de sa compétitivité ; le Royaume-Uni a quitté l’UE (enfin, péniblement) et l’Allemagne demeure la seule puissance dont on attend qu’elle sauve l’intégration européenne. « Ceci aura des conséquences sur l’avenir de l’Europe, il faut l’avoir à l’esprit », glisse-t-il rapidement.
Crise démographique
Mais la chose essentielle pour lui est la manière dont l’Europe de l’Ouest et l’Europe centrale se sont séparés quand sont survenues les trois grandes crises de la dernière décennie. Lors de la crise financière de 2008, l’Ouest, dit-il, a cherché à « sauver l’État providence » quand les pays d’Europe centrale ont cherché, avant tout, a sauvé l’emploi.
Lors de la crise migratoire de 2015, l’Ouest a, selon lui, voulu résoudre au passage son problème démographique en adoptant une position ouverte vis-à-vis des migrants tandis que l’Europe centrale a souhaité au contraire bloquer la migration pour éviter d’accueillir sur son territoire une civilisation différente, sources de conflits communautaires. C’est évidemment Angela Merkel qu’il vise à travers ce type de propos. Est-ce vraiment la préoccupation démographique qui était au centre des préoccupations de la chancelière lorsqu’elle a ouvert ses portes aux centaines de milliers de réfugiés syriens ? L’indice de fécondité en Syrie est de 2,44 enfants par femmes en 2018. Rien qui ne pourra modifier la tendance au vieillissement démographique de la société allemande…
Le Covid-19 et les frontières
Orban n’a pas développé les différences d’approche entre l’Ouest et l’Europe centrale vis-à-vis de la pandémie Covid-19, mais on devine ce qu’il voulait dire : la fermeture des frontières a été prompte dans les ex-pays communistes tandis que, à l’Ouest, l’idée de rétablir les contrôles aux frontières heurtait la philosophie qui sous-tend le marché unique et la libre circulation. Emmanuel Macron a été, de ce point de vue, le dirigeant européen emblématique de cette réticence à fermer les frontières.
Finalement, après dix jours de crispation et de cafouillage, les pays européens ont rétabli la circulation… des camions de marchandises, indispensable à l’approvisionnement des magasins. La réalité du marché unique et l’interdépendance économique des États membres ont rattrapé tous les leaders, y compris Orban.
L’Europe chrétienne face à l’Europe progressiste
« Pourquoi l’Europe ne se contenterait pas de régler ses propres problèmes et veut toujours changer le monde ? s’interroge le dirigeant hongrois en tirant une dernière observation de son expérience européenne. Nous ne pouvons pas mettre fin au conflit libyen, nous ne pouvons pas mettre fin à la situation ukrainienne, mais, en dépit de notre incapacité à agir, nous voulons dire à nos partenaires internationaux comment ils doivent diriger leur propre pays. Nous disons aux Chinois, nous disons aux Russes, nous disons aux Turcs, nous disons à Israël et même aux États-Unis d’Amérique comment ils devraient diriger leur pays », s’amuse-t-il en soulignant une forme d’arrogance de l’UE. « Ce genre de malentendu sur notre propre situation est un défi sérieux auquel nous devons mettre fin. Nous devrions faire machine arrière et nous concentrer en premier sur nos problèmes internes et peut-être, alors, nous pourrons donner des conseils », conclut-il. Comme l’Autriche, la Hongrie a, en effet, refusé de condamner le projet d’annexion d’Israël sur une partie de la Cisjordanie.
Viktor Orban en vient à considérer que l’Europe se scinde en deux camps aux conceptions opposées. À l’Ouest, un camp progressiste, libéral – à ses yeux, des « marxistes » – qui « promeut le multiculturalisme, qui pousse une politique pro-migrants, qui suit une politique antifamiliale, qui veut se débarrasser du concept d’État-nation, et qui considère comme non pertinent les enseignements du christianisme ». Ce faisant, il opère un glissement du sens des mots qui agace sa propre famille politique des chrétiens-démocrates dont il s’est mis en marge. Si être libéral, favorable à la démocratie, à l’équilibre des pouvoirs, aux droits des citoyens, aux libertés fondamentales héritées des Lumières – autant de valeurs pour lesquels le jeune Orban avait lutté du temps du joug communiste –, c’est être à ses yeux un « marxiste », il pervertit le sens des mots et entretient une confusion déplorable, elle-même dénoncée par ses propres amis politiques de la CDU.
« Mais il y a une autre conception de l’Europe, reprend-il. Une Europe basée sur la culture chrétienne que nous avons en héritage, qui considère comme pertinent les enseignements sociaux-chrétiens, profondément anticommuniste, profamille et qui traite l’identité nationale comme une valeur à préserver. »
« Cessez de nous dire comment nous devons vivre nos vies ! »
Comment faire coexister au sein de l’UE deux conceptions aussi antagonistes ? Orban ne plaide pas pour la césure mais pour le chemin étroit de la tolérance mutuelle. En somme, il faudrait que l’Ouest cesse de chapitrer l’Europe centrale quand celle-ci tourne le dos aux traités européens lesquelles reflètent, si l’on suit son raisonnement, des valeurs surtout occidentales. « Nous devons apprendre de nouveau à tolérer nos différences, lance-t-il. Nous, les Européens d’Europe centrale devons dire aux Occidentaux : cessez de nous dire comment nous devons vivre nos vies ! »
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Néanmoins, le respect de l’État de droit est défendu par ses amis du PPE comme devant être une clause conditionnant le versement des fonds de cohésion du budget européen. Viktor Orban réclame ses subsides mais ne supporte pas l’idée de devoir rendre des comptes. Il réclame un maximum de « souplesse ».
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