ÉDITO. Une enquête américaine prouve que de plus en plus de personnes taisent leurs opinions par peur qu’on les juge offensantes.
Par Peggy Sastre
Quand on s’émeut des effets socialement délétères du « politiquement correct » et, plus généralement, des atteintes à la liberté d’expression, on s’entend souvent répondre : « Vous dites ça car vous n’êtes qu’un sale vieux réac nostalgique du temps où l’on pouvait dire des trucs racistes à la machine à café et mettre une main au panier de sa secrétaire en toute impunité. » L’argument est séduisant (la preuve, il est répandu), mais peu conforme aux données disponibles. L’enquête Cato révèle ainsi que l’autocensure se moque pas mal des frontières partisanes. Si les républicains sont effectivement les plus nombreux à se réprimer (77 %), elle est autant majoritaire chez les démocrates (52 %) que chez les indépendants (59 %) et les centristes/modérés (64 %).
Rééquilibrage
Culture américaine oblige, l’universalité du problème est également confirmée dans les statistiques ethniques : 65 % des Hispaniques, 64 % des Blancs et 49 % des Noirs choisissent de taire leurs opinions par peur de choquer leurs congénères. La crainte n’est pas qu’une question de politesse : les sondés sont 34 % à droite, 31 % à gauche et 30 % au centre à penser qu’ils pourraient « être privés d’une opportunité professionnelle voire se faire licencier si leurs opinions politiques venaient à être connues ». Et le pouvoir économique n’est en rien une protection : l’autocensure touche 60 % des individus ayant un revenu supérieur à 100 000 dollars et 58 % de ceux chez qui il est inférieur à 20 000 dollars.
Il en va d’une autre antienne désormais psalmodiée à l’envi : la vague contemporaine d’ostracisme pour cause d’opinions divergentes ne serait qu’un juste rééquilibrage, une manière pour les sans voix de se faire entendre. Dans une récente tribune au Monde, c’est l’argumentaire que déroule Laure Murat. Chaudement installée à son poste de professeure de littérature à l’UCLA, elle nous explique que la « cancel culture » (sorte de boycott organisé après une déclaration maladroite sur Internet) n’est que le « dernier recours d’une population sans autre voix que l’Internet » et l’« outil le plus récent d’une contestation politique de plus en plus intense, issue des minorités et de la gauche radicale américaine, s’inscrivant dans le combat des droits civiques et du féminisme, excédées par l’impunité du pouvoir et la passivité des institutions face au racisme, à l’injustice sociale, au sexisme, à l’homophobie, à la transphobie, entre autres ». C’est beau, mais c’est faux.
Des exemples flagrants
Si la « cancel culture » n’est effectivement qu’un mot nouveau pour désigner un phénomène sans doute aussi ancien que l’aptitude humaine à exprimer et censurer des opinions, elle a le goût de cendre des révolutions qui, plus tôt que tard, finissent par passer leurs propres enfants à la casserole, histoire d’avoir toujours un truc à grignoter. Sur Twitter, le compte EverythingOppresses liste depuis la mi-juillet des cas de « cancelling » dépassant de loin l’énième star hollywoodienne qui se flagelle pour avoir commis le très grave péché d’avoir un jour porté des tresses africaines.
À l’heure où j’écris ces lignes, il en est à 165 occurrences, dont les 125 premières concernent le commun des mortels. Ce sont deux femmes forcées à stopper leur activité de restauration ambulante parce qu’elles y servaient de la nourriture mexicaine en étant blanches. C’est un électricien viré manu militari parce que la photo de ses doigts arrondis en « OK » a circulé sur Twitter et qu’on l’a accusé d’être un sympathisant du KKK – il est à 75 % non-Blanc et ne connaissait pas la signification suprémaciste du geste. C’est un cuisinier qu’on licencie pour une blague comportant le mot « esclave ». C’est un étudiant musulman dont on saccage la porte de sa chambre de dortoir pour avoir publié un article satirique sur ses camarades d’extrême gauche. C’est la directrice d’une école canadienne qui se retrouve sans emploi pour avoir fait jouer Le Marchand de Venise de Shakespeare dans son établissement.
C’est tout et n’importe quoi, comme seules savent le faire les purges qui, pour camoufler les psychopathes en roue libre à la manette, se donnent des grands airs de salut public.
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