CNews dépasse BFM TV : récit d’une chaîne qui dit non au politiquement correct

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Pour la première fois de son histoire, CNews a dépassé, début mai, BFM TV dans la course à l’audience. Portée par une société française de plus en plus réceptive, elle exprime une réelle volonté de casser la doxa du paysage médiatique français. Récit d’une aventure loin d’être anodine. 

Par  Sébastien Lignier. Publié le 22 mai 2021 VALEURS ACTUELLES

Plus de 800 000 francais se branchent devant Face à l’Info tous les soirs de la semaine. Photo ©STÉPHANE GRANGIER/CNEWSPartager cet article sur FacebookTwitterLinkedIn

La guerre de tranchées dure depuis vingt-neuf jours. Un record dans l’histoire de la télévision française. Devant les locaux d’iTélé, les salariés viennent rappeler une énième fois leur colère… et leurs revendications. Ils ne veulent pas de Jean-Marc Morandini, alors visé par une enquête pour “corruption de mineurs aggravée”, sur leur antenne. Les journalistes de la chaîne d’information affichent leur défiance envers Vincent Bolloré. L’actionnaire principal de Vivendi veut redynamiser un Groupe Canal dans le creux de la vague.

A LIRE [Vidéo] Eric Zemmour : sur CNews, « je fais de la contre-programmation idéologique »

À l’automne 2016 – alors que la grève bat son plein -, iTélé voit son audience chuter à un niveau historiquement bas, avec seulement 0,6 % de part de marché. Bien loin des 2,3 % de sa concurrente BFM TV. Pis, l’arrivée en clair de LCI vient transformer le duel en un match à trois où tous les coups sont permis. Malgré les piquets de grève et les #JeSoutiensiTele brandis fièrement par les derniers réfractaires, la décision est déjà prise : iTélé va disparaître, remplacée par CNews.

Après trente jours de combats, les journalistes rendent les armes. Le 27 février 2017, CNews voit finalement le jour. Sur 120 journalistes présents au départ, il n’en reste plus qu’une vingtaine au lancement de la chaîne. L’aventure s’engage dans un climat de méfiance sans précédent. Serge Nedjar, patron de l’antenne, se rappelle une « période humainement très difficile ».

Quatre ans plus tard, les débuts compliqués ne semblent être qu’un lointain souvenir depuis longtemps oublié. Les mauvaises audiences des premiers mois, un faux départ. Symbole de ce revirement de situation, CNews s’est depuis peu installée dans les locaux de Canal Plus, qui affiche désormais sa fierté de compter la chaîne d’information dans ses rangs. Le vendredi 7 mai, les masques n’étaient pas suffisants pour cacher les sourires d’une rédaction qui apprenait à peine la grande nouvelle : la veille, CNews venait de dépasser, pour la troisième fois de la semaine, sa rivale BFM TV en audience.

Avec 3,1 % de part de marché, le canal 16 de la TNT signe même son meilleur score historique. Des performances loin d’être surprenantes au vu de la récente bonne forme affichée par la chaîne. En deux ans, l’audience moyenne de la grille de CNews a doublé. La semaine précédant la journée de tous les records, seulement 0,1 point d’audience séparait les deux poids lourds de l’information. Derrière, LCI et Franceinfo ne font plus que de la figuration. Et là se trouve peut-être la plus grande source de fierté pour Serge Nedjar et la direction de la chaîne, qui affirme que l’objectif de CNews a toujours été d’être la deuxième chaîne d’information de France. Objectif acquis depuis plusieurs mois et ce, grâce à une recette qui ne laisse personne indifférent.

Face à l’info, figure de proue d’un vaisseau inébranlable

Quelques minutes avant le début des hostilités, l’ambiance est légère. Comme souvent, Éric Zemmour tarde à arriver sur le plateau. En coulisse, il relit jusqu’au dernier moment ses fiches griffonnées sur des petites feuilles A4, cravate détachée autour du cou. À son arrivée en plateau, les rires fusent. L’éditorialiste et ses camarades de jeu de Face à l’info – Marc Menant et Christine Kelly en tête – aiment plaisanter avant les débats du jour. Les discussions animées se prolongent généralement une fois les caméras éteintes. Depuis la rentrée, l’arène de CNews – symbole d’une chaîne à qui tout ou presque semble réussir – bat tous les records. Avec plus de 800 000 téléspectateurs en moyenne tous les soirs à partir de 19 heures, Face à l’info s’est transformé en un mastodonte qui écrase tout sur son passage. Y compris les critiques.

En octobre 2019, à l’annonce de l’arrivée du polémiste, les boucliers se lèvent, les mains se posent sur le cœur. On manque de s’évanouir. Les représentants du personnel de Canal Plus exigent à l’unanimité le départ d’Éric Zemmour. La France insoumise, plus que jamais leader incontesté de la récupération, annonce dans la foulée qu’aucun de ses élus ne sera autorisé à se rendre sur les plateaux de CNews tant que l’écrivain sera employé par la chaîne. Promesse non tenue. La direction fait fi des menaces et maintient Zemmour à son poste. Pari gagnant.

L’émission s’est rapidement rendue incontournable dans le paysage politico-médiatique. La gauche ne daigne pas se déplacer ? Les membres du gouvernement feront l’affaire. Agnès Pannier-Runacher, Marlène Schiappa, Clément Beaune, Alain Griset, Jean-Baptiste Djebbari… : depuis le début de l’année, ils se pressent tous pour tenter leur chance face au fan de Napoléon. Sur les réseaux sociaux, les extraits des passes d’armes font le bonheur des internautes. Dans des échanges semblables à un combat de boxe, les spectateurs font figure de jurés. Ils comptent les points et désignent chaque semaine le vainqueur triomphant. Souvent Éric Zemmour l’emporte. Parfois, à l’image des entrevues avec le philosophe Michel Onfray, l’audience s’accorde volontiers sur un match nul.

La rançon de la gloire

Les polémiques, la défiance et les critiques, la chaîne y est habituée. Certains diront qu’elle s’est fondée dessus. Depuis un an, CNews est devenue la cible à abattre pour une partie des médias bien-pensants. À l’image de Quotidien, l’émission politique phare du Groupe TF1 en confrontation directe avec Face à l’info tous les soirs. Fin avril, elle diffuse un extrait visant à montrer la prédominance du Rassemblement national dans le choix des invités de la chaîne d’information. Le montage, évidemment à charge, entraîne les rires goguenards du petit entre-soi de l’équipe de Yann Barthès, toujours prête à se moquer de la terrible “fachosphère”.

La direction de CNews réfute toute accointance avec l’extrême droite. Le mot d’ordre ? « La pluralité d’opinions », résume Gérald Brice-Viret, directeur des programmes du Groupe Canal. « L’immigration, la sécurité, l’Europe ne sont pas des thèmes de gauche ou de droite mais des thèmes qui concernent tous nos concitoyens », ajoute-t-il. La direction met en avant la présence sur son antenne de Laurence Ferrari, Christine Kelly, Laurent Joffrin ou encore Jean-Pierre Elkabbach, chargé de la toujours périlleuse interview politique matinale jusqu’en 2019. Pas vraiment les journalistes les plus clivants du Paf.

Pour le politologue Jérôme Fourquet, CNews bénéficie, au-delà de sa liberté de ton, de sa volonté de casser les codes d’un paysage médiatique à la bien-pensance solidement ancrée dans les mœurs. La pensée de gauche, en « total monopole », se sent menacée par ce que le sondeur décrit comme un « rééquilibrage idéologique ». Conséquence : la chaîne du Groupe Canal reste déficitaire. Les annonceurs boudent l’heure quotidienne de Zemmour. Le public, majoritairement âgé de plus de 60 ans, et la réputation qui suit le journaliste vedette font fuir les publicitaires. Mais celui-ci attire le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), où des centaines de petits censeurs n’ont rien trouvé de mieux à faire que de remplir un formulaire en ligne pour dicter la pensée correcte. Chez BFMTV, on aime d’ailleurs le rappeler : « Ça ne pourra pas durer. »

L’hégémonie de BFMTV en danger ?

La chaîne d’Altice tenterait-elle de se convaincre elle-même ? Dans les couloirs de BFMTV, on dit être serein pour l’avenir. Les journalistes assurent ne pas s’adapter à leur rivale de plus en plus menaçante. Difficile pourtant de ne pas voir dans les récentes arrivées d’éditorialistes de droite – dont plusieurs journalistes de Valeurs actuelles – une volonté d’aller sur le terrain du canal 16 de la TNT. « CNews n’est plus vraiment une chaîne d’information mais une chaîne d’opinion conservatrice, un peu réactionnaire », jauge un membre éminent de la rédaction de BFMTV, qui affirme que le succès de leur concurrente vient en grande partie de la présence d’Éric Zemmour. La direction de CNews, elle, préfère insister sur la « révolution » Pascal Praud. Avec ses deux rendez-vous quotidiens, l’ex-journaliste sportif, qualifié de « personnalité incarnée, sincère, généreuse et proche de nos concitoyens », symbolise les nouvelles valeurs de la chaîne. Et imposer sa formule à ses concurrents. Dans les couloirs de BFMTV, un journaliste avoue d’ailleurs que sa chaîne cherche toujours « son Pascal Praud ».

Dans ses prises de position officielles, Marc-Olivier Fogiel, le directeur général de BFM TV, insiste sur les forces de sa chaîne et sur sa volonté de ne pas tomber dans la réaction disproportionnée. Ce qui ne l’a pas empêché, le lendemain de la victoire de CNews, d’envoyer un e-mail à ses équipes pour leur rappeler de ne pas se tromper d’ennemi : « Nos vrais concurrents sont les journaux télévisés. » Même si les journalistes mettent en avant leurs propres réussites – BFMTV a lancé une grande campagne publicitaire pour réaffirmer son statut de “première chaîne d’information de France” quelques jours après les scores de CNews -, certains finissent par avouer : « Le succès de CNews et de Zemmour dit évidemment quelque chose du pays. »

Le rejet d’une homogénéité idéologique

Le sondage avait fait grand bruit. Et pour cause : plus de 86 % des Français l’affirmaient à l’Ifop fin avril, la lutte contre l’insécurité et le terrorisme sera primordiale dans leur vote pour la présidentielle. Ces études, et leurs résultats, sont devenues légion. Avec toujours le même constat : le ras-le-bol français progresse. Pour Jérôme Fourquet, la réussite majeure de CNews est d’avoir su s’emparer de ce « climat de droitisation grandissant ». Difficile selon lui de ne pas dresser un parallèle avec la situation outre-Atlantique, où la chaîne d’information conservatrice Fox News hérisse régulièrement le poil fin des progressistes avec son « rejet d’une homogénéité idéologique ». Comparaison que Serge Nedjar continue de nier farouchement. « Le seul rapport avec eux, c’est le mot “News”. On ne travaille ni pour un parti ni pour une femme ou un homme politique », souligne-t-il.

L’élection présidentielle peut-elle permettre à BFM TV de rattraper son retard, ou verra-t-elle CNews prendre définitivement la main ? Jérôme Fourquet prévient dès maintenant : dans la guerre des chaînes d’information qui s’annonce, « tous les coups seront permis ». CNews veut se définir comme celle qui « apporte énormément à la démocratie » dans un paysage audiovisuel concurrentiel unique dans le monde avec quatre chaînes d’information gratuites. Quant à BFM TV, un journaliste préfère nous prévenir, d’un ton qui en dit long : « Le duel Macron-Le Pen deviendra aussi un duel BFM-CNews. »

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