«Utiliser le terme “éthique” pour qualifier la GPA tient du cynisme pur»

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Par Alexandre Devecchio. LE FIGARO. 1er octobre 2021

ENTRETIEN – Selon la journaliste Céline Revel-Dumas, qui publie GPA, le grand bluff (Éditions du Cerf), la GPA porte atteinte aux droits de l’enfant et constitue une menace pour le corps des femmes.

LE FIGARO. – Dans votre enquête GPA, le grand bluff, vous expliquez que le débat autour de la GPA n’est pas un «petit débat» qui ne concernerait qu’une «minorité». En quoi ce débat 
vous paraît-il fondamental?
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Céline REVEL-DUMAS. – Il règne en France une grande confusion autour de la question de la GPA. Elle est souvent assimilée, à tort, à la défense des intérêts des couples homosexuels. Le débat a ainsi été préempté dans une large mesure par une gauche ultra-libérale qui a fait de la «liberté de procréer» et du «droit à fonder une famille» une conquête sociale pour une minorité considérée comme lésée du fait de l’orientation sexuelle des individus qui la composent.

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Or, les couples homosexuels, s’ils sont de plus en plus nombreux, ne sont qu’une part des couples et des célibataires désireux de recourir à cette pratique. Ce qui est en jeu dans la GPA dépasse de loin les droits et le respect dû à chacun, quelle que soit son orientation sexuelle. La gestation pour autrui entame les droits de l’enfant en lui retirant la mère, procède d’une dislocation et d’une mise sur le marché du corps de la femme et laisse le champ libre à une science sans conscience. La question n’est pas «quels droits pour qui?», mais «quelles limites pour quoi?».

Votre essai est aussi un livre d’histoire. Les partisans de la GPA assurent que celle-ci a toujours existé, dans la Bible comme à Rome. Qu’en est-il réellement?

La GPA inquiète. Elle vient bouleverser nos fondamentaux. C’est l’inaliénable, la chaleur entre une mère et son enfant qu’on déchire. Quel meilleur argument que la tradition pour rassurer les esprits circonspects? À cet égard, une invention des partisans de la GPA mérite d’être relevée tant elle tient de l’absurde: la «GPA traditionnelle». Il y en aurait en effet dans la Bible, à Babylone, dans la Rome antique, ou encore au XIXe siècle. Les faits sociaux d’époques et de lieux très divers sont ainsi «essentialisés», extraits de leur contexte culturel, puis requalifiés. Les femmes esclaves et les enfants volés ou abandonnés deviennent en un tour de main les protagonistes de «maternités pour autrui» présentées comme les ancêtres ou les préludes de la GPA. Une entourloupe intellectuelle qui ne fait que révéler l’indigence des partisans de la gestation pour autrui pour justifier l’injustifiable.Dès lors que la pratique est autorisée, un maillage biomédical et relationnel s’installe et, avec lui, l’impossibilité de contrôler des rémunérations illégales

La GPA existe dans bien des pays, en Asie, mais aussi dans les pays anglo-saxons. Quel bilan peut-on faire de cette pratique dans ces différents pays?

Une kyrielle de législations sont en vigueur sur ce sujet à travers le monde. Les pays d’Asie du Sud-Est ont longtemps laissé libre cours à un marché totalement dérégulé, avant de constater les dégâts choquants créés sur des femmes et des enfants par l’appât du gain. Dans de nombreux autres pays, en revanche, les législations tentent de contenir la pratique.

Au Canada ou au Royaume-Uni par exemple, les «mères porteuses» ne sont pas, sur le plan juridique, rémunérées, mais remboursées d’un certain nombre de frais. C’est en réalité une porte grande ouverte aux rémunérations. En Israël, dans certains États du Mexique ou encore en Ukraine, la rémunération des «mères porteuses» incite par ailleurs des femmes en situation de précarité à mettre en danger leur santé pour répondre aux exigences d’autres personnes, plus aisées. Les dérives sont inévitables, et évidemment inacceptables dans ce domaine de la procréation.

Vous allez jusqu’à parler d’«eugénisme libéral». De quoi s’agit-il?

L’«eugénisme libéral» est l’expression utilisée par le philosophe allemand Jürgen Habermas pour dénoncer les esprits trop zélés désireux d’«améliorer les conditions de vie biologique des individus». Parlons clair, nous évoquons là l’être humain génétiquement modifié. Pour ses défenseurs, car il y en a, principalement des philosophes anglo-saxons, cet eugénisme se distinguerait de l’eugénisme autoritaire – digne des années les plus sombres de l’histoire -, car, n’étant pas le fait d’une politique menée par l’État, mais répondant au désir des parents de protéger ou d’«améliorer» leur enfant.

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Très concrètement, un «tri» des embryons peut être opéré lors de la fécondation in vitro et une manipulation du génome réalisée grâce au diagnostic préimplantatoire (DPI). Le DPI est à la biotechnologie ce que l’uranium est au nucléaire. Vertueux ou potentiellement dévastateur. Très strictement encadré en France pour raisons médicales, il est proposé aux États-Unis pour sélectionner le sexe de l’enfant à naître, mais aussi, pour les plus fortunés et les plus interventionnistes, la couleur des cheveux et des yeux, ou encore la taille du futur bébé.

Selon vous, la GPA éthique n’existe pas. Pourquoi? N’y a-t-il vraiment aucun moyen d’encadrer cette pratique?

Utiliser le terme «éthique» pour qualifier la GPA, quelle qu’elle soit, tient du cynisme pur. Distinguer une GPA qui serait acceptable et une autre qui ne le serait pas est un sophisme destiné, lui aussi, à rassurer. Légaliser la GPA, c’est d’abord accepter l’idée qu’un enfant soit séparé, dès sa naissance, de celle qui l’a porté. Si des femmes acceptent une telle séparation, est-ce pour autant acceptable pour lui? On fait de l’enfant sans mère un enfant tiraillé. Un militant malgré lui. Et dans la bataille du «droit à l’enfant» contre le «droit à la mère», c’est le sans-voix qui perd.

Par ailleurs, les politiques canadiennes et britanniques sont deux exemples saillants de l’échec des modèles prétendument altruistes. Dès lors que la pratique est autorisée, un maillage biomédical et relationnel s’installe et, avec lui, l’impossibilité de contrôler des rémunérations illégales. D’autant qu’un blanc-seing moral donné par l’État n’apportera aux partisans de la GPA qu’une satisfaction très provisoire. Au Canada et au Royaume-Uni, nombreux sont ceux qui militent en faveur d’une rémunération généreuse pour inciter des femmes – selon eux trop peu nombreuses – à devenir «mères porteuses».


* GPA, le grand bluff, Céline Revel-Dumas (Éditions du Cerf, 341 p., 20 €).

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