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Par Charles Jaigu. LE FIGARO. 30 décembre 2021
GRAND ENTRETIEN – À la veille de l’élection présidentielle, le chef de service en urologie à l’hôpital Cochin propose la vraie réforme que personne n’osera faire.
Pour la première fois depuis longtemps, la politique de santé a été pendant deux ans au premier plan. Et pourtant, la pétition publiée par Le Monde et signée par plus de 2500 médecins de l’hôpital public contre la suradministration et la culture du «bla-bla» donne le sentiment que rien ne bouge. Pourquoi l’avez-vous signée?
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Cette tribune fait un excellent constat. Je ne retiens qu’un chiffre: il y a 34 % d’emplois non soignants à l’hôpital public, soit 20 à 30 % de plus que chez nos voisins. Je partage le diagnostic de mes confrères sur le sentiment général de dépossession de nos missions de soin. L’hôpital d’avant, c’étaient des équipes soudées, heureuses et dédiées aux patients. L’hôpital d’aujourd’hui, ce sont des personnels mutualisés, éphémères et croulant sous les procédures. Le tableau Excel a remplacé les relations humaines.
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Il y a une rengaine souvent reprise par les médias: il faut plus d’argent. Emmanuel Macron, lors du dernier Grenelle de juin 2020, a d’ailleurs distribué une rallonge. C’était la solution?
Le président a eu raison d’augmenter les salaires hospitaliers, qui étaient trop bas et qui, d’ailleurs, le restent. Mais cette mesure oublie les problèmes de fond. Avec 11,3 % du PIB, le budget global de la santé fait partie des plus élevés d’Europe. Le problème n’est pas celui des moyens, mais plutôt de leur mauvaise affectation.
Il faudrait déshabiller le Patient pour rhabiller l’Hôpital?
On pourrait résumer le monde de la santé à un triangle: il y a les soignants, les soignés et les gestionnaires. Or, depuis trente ans, ayant pris conscience de l’augmentation des dépenses du pays en matière de santé, nosgouvernants ont tous fait le même choix. Ils ont décidé de faire porter les efforts financiers uniquement sur lessoignants (numerus clausus, tarifs des généralistes bloqués,salaires hospitaliers gelés, recherche médicale sous-financée, hôpitaux mal entretenus…) tout en continuant à dorloter les soignés. Quant aux gestionnaires, ils ont vu leurs effectifs exploser pendant que ceux des soignants stagnaient.
« On ne peut pas soigner toute la misère du monde aux frais du contribuable français. »Michaël Peyromaure
Le Figaro a révélé récemment que 26.000 étrangers étaient intégralement pris en charge pour des soins lourds et coûteux…
J’ai été choqué de l’apprendre. On ne peut pas soigner toute la misère du monde aux frais du contribuable français. Accueillir des malades ne pouvant pas être traités correctement chez eux serait une source de fierté à la condition sine qua non que les frais médicaux soient pris en charge par leur pays d’origine. D’ailleurs, si les pays en question étaient contraints de payer, ils seraient peut-être plus enclins à améliorer leur propre système de santé.
Vous dites qu’on a dorloté les patients, mais ils ne cessent de se plaindre!
On leur a donné de mauvaises habitudes. L’État achète la paix sociale en saupoudrant l’argent public. Prenez un exemple récent: il n’y a qu’en France où les tests de dépistage ont été totalement gratuits. On ne contrôle pas les arrêts de travail, on distribue des bons de transports sanitaires injustifiés, on fraude à la CMU… Toutes ces dérives sont payées par la Sécurité sociale. Les patients finissent par en subir les conséquences, car ce surcoût creuse les déficits et empêche d’investir utilement. Les déserts médicaux se multiplient, les services d’urgence sont saturés, les lits manquent…
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Donnez-nous un exemple du patient dorloté…
Celui qui va annuler, pour convenance personnelle, et à la dernière minute, une intervention programmée depuis des semaines. Il désorganise le service et pénalise les autres patients qui auraient pu avoir la place. Certes, beaucoup restent respectueux et disciplinés, mais le système fabrique une inconscience «systémique», pour utiliser un mot à la mode. Les gens pensent qu’en matière de santé, tout leur est dû.
N’y avait-il pas aussi trop de dépenses de la part des chefs de service?
Si, bien sûr. J’ai connu des médecins qui gardaient les malades hospitalisés deux jours de plus pour leur dire au revoir le lundi, au retour de week-end. Il n’y avait pas vraiment de contrôle, et la puissance publique payait pour les abus des mandarins sans demander d’explications. Mais ce temps est révolu. Un de mes confrères a bien résumé: «Avant, les gestionnaires étaient au service des soignants ; maintenant, nous sommes au service des gestionnaires.»
« Les 35 heures ont tué la motivation au travail en fonctionnarisant l’hôpital. »Michaël Peyromaure
Les 35 heures sont-elles l’un des problèmes principaux?
Oui, les 35 heures sont une catastrophe. Elles ont généré une pénurie de main-d’œuvre, sans embauches pour lacompenser, à un moment où le vieillissement démographique annonçait plus de pression sur l’hôpital. Lorsqu’on se plaint que nos infirmières soient mal payées par rapport aux pays de l’OCDE, on oublie de dire qu’elles font partie de celles qui travaillent le moins. Enfin, les 35 heures ont tué la motivation au travail en fonctionnarisant l’hôpital. Moins de contact avec les malades, moins de contact avec l’équipe.
Les heures supplémentaires ne sont-elles pas une solution?
Mal payées, elles encouragent finalement peu les personnels. L’hôpital se rabat donc sur une autre solution: les personnels intérimaires, qui lui coûtent une fortune. En voulant économiser sur la masse salariale, l’hôpital s’est tiré une balle dans le pied car les coûts liés à l’intérim ont explosé.
Vous décrivez un monde de Shadoks et de sapeur Camember. Comment en sortir?
Commençons par revenir aux 39 heures, ce qui permettrait de réduire la pénurie de personnel et le recours aux intérimaires. Comme certains agents rechigneront, il faudrait, selon moi, créer un système mixte, qui maintiendrait temporairement les 35 heures pour ceux qui le souhaitent, mais proposerait 39 heures aux autres moyennant une forte augmentation de salaire.
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Dans leur tribune, vos confrères demandent la suppression des pôles d’activité. Êtes-vous d’accord?
Bien sûr, les pôles sont des regroupements de services dont l’intérêt est purement abstrait. Aucun patient ne sait ce qu’est un pôle. Le but caché était sans doute de réduire le nombre d’interlocuteurs pour la direction, qui n’a plus à s’adresser à tous les chefs de service, mais seulement aux chefs de pôle. Le résultat a été de créer une strate supplémentaire et une nouvelle armée mexicaine.
Vous proposez de revenir aux années 1980…
Oui, mais sans redonner les pleins pouvoirs aux chefs de service. Il faudrait qu’ils puissent avoir leur propre budget pour recruter et s’équiper. Cette responsabilisation du corps médical pourrait passer pour révolutionnaire, mais elle existe dans d’autres pays. En contrepartie, les médecins devraient régulièrement défendre leurs choix et leurs résultats devant une commission unique, la CME (commission médicale d’établissement), composée exclusivement des chefs de service et des principaux responsables administratifs. Cette instance existe, mais elle n’est aujourd’hui qu’une chambre d’enregistrement.
« Il faudrait un moratoire sur les normes et les réglementations en tout genre, qui détournent les soignants de leur métier et les découragent. »Michaël Peyromaure
Vous avez parlé du temps passé devant les ordinateurs, comment pourrait-on stopper cette dérive?
Il faudrait un moratoire sur les normes et les réglementations en tout genre, qui détournent les soignants de leur métier et les découragent. Le temps moyen passé chaque jour devant un écran est de deux à trois heures pour les médecins et les infirmières. Au nom de la traçabilité, toutes les consignes, les prescriptions, tous les actes, et bientôt, les horaires doivent être enregistrés par informatique. Et cela, avec des logiciels inadaptés et souvent en panne. C’est tout simplement fou.
Est-ce la faute du bureaucrate qui bureaucratise à tout-va?
En partie… Nous avons plus de 18 agences nationales de santé, 18 agences régionales, des groupes hospitaliers, des groupes hospitalo-universitaires, des groupements hospitaliers de territoire… À cette inflation administrative, il faut ajouter le principe de précaution. Il a pour objectif de réduire les erreurs, mais pour résultat de tout scléroser. La surprotection est incompatible avec le progrès.
Il va falloir forcer les patients à quelques sacrifices…
Beaucoup de patients sont inconscients de la générosité du système. En France, le reste à charge est le plus faible de l’OCDE. Pour responsabiliser tout le monde, il faudrait déjà supprimer le tiers payant. Non seulement parce que les patients ne réalisent plus le coût des consultations, mais aussi et surtout, parce que certains médecins en abusent. Ils multiplient les actes, dans le dos des patients et aux frais de la Sécurité sociale. Dans le même esprit, les patients devraient verser une caution à l’hôpital lors de la programmation des soins non urgents. Enfin, il faudrait aller vers une réduction drastique du remboursement des transports sanitaires qui coûtent 5 milliards par an.
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Et qu’en est-il de la Sécurité sociale?
Pourquoi ne pas supprimer les trois secteurs de la convention médicale? Cela réduirait les fonctionnaires affectés au traitement de cette usine à gaz. Et surtout, cela supprimerait le secteur 3, très peu utilisé par les médecins, ainsi que le secteur 1 (sans dépassement d’honoraires) qui est honteusement imposé aux jeunes généralistes avec une consultation fixée à 25 euros! Tous les médecins libéraux devraient retrouver le droit d’avoir des honoraires libres. Croyez-moi, dans les villes où la vie est chère, les généralistes partant à la retraite pourraient enfin trouver des remplaçants. Et nombre de médecins ne seraient pas obligés d’enchaîner les consultations à faible valeur ajoutée pour gagner correctement leur vie.
P »our la grippe, la cystite, le grain de beauté, l’entorse, l’homéopathie, les douleurs chroniques, mais aussi pour la circoncision ou le changement de sexe, tout serait à la charge du patient. »Michaël Peyromaure
En 2017, François Fillon avait avancé l’idée de ne pas rembourser «les soins de confort». Il s’était pris une volée de bois vert, y compris à droite. Faut-il le faire?
Oui, la situation actuelle n’est pas tenable. À mon avis, il faudrait définir un large panier de soins «essentiels», allant de l’infarctus au cancer en passant par la prévention. Pour ceux-là, tout serait pris en charge à 100 %, comme nos actuelles ALD (affections longue durée). Et pour la grippe, la cystite, le grain de beauté, l’entorse, l’homéopathie, les douleurs chroniques, mais aussi, par exemple, pour la circoncision ou le changement de sexe, tout serait à la charge du patient. Imaginez la simplification du système, et les économies sur les frais de gestion!
La suppression de l’AME est-elle justifiée?
Supprimer l’AME ce serait rendre justice aux Français qui contribuent à la solidarité nationale, ont des petits moyens, et pourtant, doivent s’acquitter d’un reste à charge pour se soigner. Toutefois, on ne peut humainement pas abandonner une personne en danger de mort. Je crois donc qu’il faut maintenir l’accès aux soins urgents. En revanche, je suis favorable au retrait de tous les autres soins. Quant à la CMU, qui consiste à dispenser de frais médicaux les personnes ayant de faibles revenus, elle est également critiquable. Elle crée un effet de seuil au-delà duquel les gens paient, alors qu’ils n’ont pas de gros moyens.
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Et la suppression des agences régionales de santé?
Je doute que le prochain président ose les supprimer! Les ARS pilotent en théorie la santé au plus proche du terrain, mais leur position à mi-chemin entre l’autorité suprême et les directions hospitalières ne leur donne aucune connaissance du terrain. Elles pondent un nombre invraisemblable de normes inapplicables. À mon avis, il faut réduire toutes les couches qui s’interposent entre le ministère et les établissements de santé. Que l’État impose les grandes stratégies et les règles essentielles, mais qu’il délègue le fonctionnement quotidien aux hôpitaux et aux soignants.
On dit souvent que 30 % des actes médicaux seraient inutiles ou redondants. La faute à qui?
Essentiellement aux médecins. À la moindre occasion, ils prescrivent une multitude d’examens sans même déshabiller le malade. Soit par facilité, soit pour se protéger d’une erreur médicale. Parfois aussi, par intérêt financier. Mais tout cela n’est possible qu’à cause des largesses du système. Les pratiques vertueuses ne sont pas valorisées.Combien d’interventions chirurgicales sont-elles faites sans bénéfice pour le patient? Combien de chimiothérapies sont-elles prescrites pour des cancers métastatiques sans le moindre espoir de guérison? Notre Sécurité sociale a été une formidable source de progrès, elle est devenue un puits sans fond.
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