La « maskirovka », cette duperie militaire à la russe dont raffole Poutine…

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Moscou assure avoir commencé à retirer ses troupes massées aux abords de l’Ukraine. Les Occidentaux, eux, certifient que leur nombre augmente et craignent une invasion.

Le président russse, Vladimir Poutine, le 9 mai 2014, à Sébastopol, en Crimée.

Le président russse, Vladimir Poutine, le 9 mai 2014, à Sébastopol, en Crimée.

afp.com/Alexey Druzhinin

Par Clément Daniez. L’EXPRESS

Publié le 18/02/2022

Depuis le mardi 15 février, Vladimir Poutine prétend avoir amorcé le retrait des troupes russes massées près de la frontière ukrainienne, faisant craindre une invasion. Dans le même temps, l’Otan affirme que les déploiements se poursuivent. Le président américain, Joe Biden, a ainsi déclaré que les soldats russes présents dans la région seraient dorénavant « plus de 150 000 », précisant que « son sentiment » était qu’une attaque surviendrait « dans les prochains jours ». 

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La méfiance des Occidentaux est d’autant plus grande que Moscou a fait de la tromperie militaire sa marque de fabrique. Certes, de telles ruses sont vieilles comme le monde, à l’instar du cheval de Troie évoqué dans L’Odysséed’Homère. Mais en Russie, cette approche porte un nom spécifique : la « maskirovka« , que l’on peut traduire littéralement par « camouflage ». Et elle s’enseigne dans ses académies militaires depuis des décennies. 

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Cette doctrine pousse le cynisme à son maximum : ne jamais admettre ses véritables intentions, et avoir recours à tous les moyens politiques et militaires possibles pour tromper l’ennemi et garder l’initiative. « Les instructeurs russes insistent beaucoup sur cet outil, sur l’importance de la dissimulation et de la surprise dans la guerre, précise Gustav Gressel, spécialiste de la Russie au Conseil européen des relations internationales. La maskirovka est d’autant plus systématique que les autorités russes – et soviétiques avant elles – n’ont pas à rendre de compte au public. » Une différence de taille avec les Etats-Unis, qui avaient prétexté la présence d’armes de destruction massive pour envahir l’Irak en 2003 – un mensonge.  

L'Express

« Les petits hommes verts » de Poutine

L’annexion de la Crimée par le Kremlin, en 2014, est considérée comme un cas d’école de la maskirovka. Ce territoire ukrainien, où se situe l’une des plus grandes bases de la marine russe, Sébastopol, a été assailli, le 28 février 2014, par des militaires cagoulés sans insignes, surgis de nulle part – les fameux « petits hommes verts ».  

« Vladimir Poutine a dans un premier temps nié qu’il s’agissait de Russes, rappelle Gustav Gressel. Avant de leur remettre des médailles quelques semaines plus tard et d’admettre qu’il s’agissait bien de troupes russes, en l’occurrence des forces spéciales, déployées en Crimée juste après leur participation à la protection des Jeux olympiques d’hiver de Sotchi [NDLR : qui s’étaient tenus du 7 au 23 février 2014]. » 

Des soldats présumés russes patrouillent dans une rue de Simféropol, en Crimée, le 5 mars 2014.
Des soldats présumés russes patrouillent dans une rue de Simféropol, en Crimée, le 5 mars 2014.afp.com/Alexey Kravtsov

La création d’incidents servant de prétexte à une intervention militaire fait également partie de la panoplie de la maskirovka russe. Washington dénonce, depuis plusieurs jours, un « scénario » de provocations dans le Donbass, qui servirait d’excuse à l’intervention militaire de Moscou. Les territoires sécessionnistes, où les passeports russes ont été distribués gratuitement ces dernières années, ont ainsi annoncé vendredi 18 février l’évacuation des civils vers la Russie voisine, en prévision d’une invasion ukrainienne. Pourtant, Kiev a répété, le matin même, qu’elle n’avait « pas l’intention de mener une quelconque offensive ». 

Cette trame rappelle le précédent de la Géorgie, en 2008. Après des jours d’échanges de tirs entre les forces locales et celles de la région séparatiste d’Ossétie du Sud, Moscou avait pris prétexte d’agressions contre les Casques bleus russes et les résidents sud-ossètes de nationalité russe pour lancer une offensive aussi rapide que dévastatrice. Tbilissi, qui réclamait à l’époque de pouvoir adhérer à l’Otan, comme aujourd’hui l’Ukraine, avait dû accepter un cessez-le-feu. Et de renoncer, de facto, à reprendre le contrôle des républiques autoproclamées d’Abkhazie et d’Ossétie du Sud, où le Kremlin a implanté des bases militaires. 

Des soldats russes en manoeuvres, le 13 août 2008, dans la région séparatiste d'Abkhazie, en Géorgie.
Des soldats russes en manoeuvres, le 13 août 2008, dans la région séparatiste d’Abkhazie, en Géorgie.afp.com/VIKTOR DRACHEV

« Toutes les opérations intégraient de la tromperie »

L’époque soviétique n’est pas en reste lorsqu’il s’agit de recourir à la maskirovka. Contre l’armée nazie, durant la Seconde Guerre mondiale, les généraux de Staline ont tout autant eu recours à la ruse qu’à l’effet de nombre. « Toutes les opérations intégraient une part de tromperie. Cela a été le cas lors de l’opération Bagration, à l’été 1944, lorsque l’armée russe a dérouté les Allemands et éparpillé leurs forces à coups d’attaques momentanées », rappelle l’historien Lasha Otkhmezuri, auteur, avec Jean Lopez, d’une biographie sur l’un des acteurs principaux de cette victoire, le maréchal Joukov, aux éditions Perrin. 

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La désinformation ne concerne pas seulement les mouvements de troupes. En 2014, pour masquer son intervention clandestine dans le Donbass, la Russie n’a pas hésité à mettre en place un convoi humanitaire de plus de 250 camions repeints à la hâte en blanc, partis de Moscou le 12 août. Pendant plusieurs jours, les médias se sont focalisés sur cet événement, relaté à la télévision, pendant que des soldats russes « en vacances » et de l’armement, parfois sophistiqué, traversaient autre part la frontière. 

Des femmes observent les camions du convoi humanitaire envoyé par Moscou, au poste frontière d'Izvarino, entre la Russie et l'Ukraine, le 22 août 2014.
Des femmes observent les camions du convoi humanitaire envoyé par Moscou, au poste frontière d’Izvarino, entre la Russie et l’Ukraine, le 22 août 2014.afp.com/Sergey Venyavsky

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Moins d’un mois plus tôt, le 17 juillet, le vol MH17 de la Malaysia Airlines, reliant Amsterdam à Kuala Lumpur, avait été abattu par un missile sol-air, faisant 298 morts. Une équipe internationale d’enquêteurs a conclu qu’il n’avait pu être fourni que par l’armée russe. Mais Moscou a toujours nié son implication. Comme elle a toujours refusé de reconnaître son soutien militaire aux séparatistes prorusses, fidèle aux préceptes de la maskirovka

Clément Daniez

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