LETTRE DU MAGHREB. La diplomatie du mercenaire menée par la Russie au Mali peut-elle prospérer ? Retour d’expérience en Libye.

Par Benoît Delmas
Publié le 20/02/2022 LE POINT
Ce qui se trame à Bamako peut-il contaminer Alger ou Tripoli ? Entre djihad, coups d’État à répétition et interventions des paramilitaires Russes, le Mali cumule de nombreux fléaux. Fléaux qui semblent impossibles à encalminer. La crainte ? Que ces démons se jouent des frontières, gangrènent les pays du Nord, ceux qui composent le Maghreb puis traversent la Méditerranée sur des embarcations de migrants. Le Mali fait frontière commune avec l’Algérie, plus de mille trois cents kilomètres. Des groupes djihadistes, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, affilié à Al-Qaïda) et l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS, Daech), assaillent les populations civiles, les forces armées, tout ce qui peut entraver leur avancée. Au point que quelques wilayas de la Mauritanie voisine ont demandé aux populations locales de s’éloigner de la frontière avec le Mali. En filigrane, la crainte d’une contagion terroriste. Crainte à laquelle s’ajoute l’arrivée sur zone de l’armée privée de Poutine. Pour la junte malienne, le remède aux groupes djihadistes et à un coup d’État a un nom : Wagner. Un prix : 1 500/2 000 dollars par mercenaire et par mois. Première commande : mille hommes. Des hommes dont le Maghreb a une connaissance aiguë : ils opèrent en Libye.
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Les légionnaires du Kremlin
À quelques centaines de kilomètres des côtes italiennes, la Libye a été toujours été une terre d’accueil et de financements des mercenaires. Tout naturellement, ce fut un excellent laboratoire pour les Wagner en Afrique. Lorsque ces paramilitaires arrivent, ils bivouaquent, mêlent sécurité et prospection de richesses, formation militaire et combats, crimes et pillages. Wagner intervient au coup par coup dans des pays cassés, en rupture d’institutions, dans la foulée d’un autocrate local, un « combattant de la liberté » soucieux de ses droits à la présidence à vie, à l’invitation d’un rebelle se voulant Raïs à la place du Raïs.
Pour la Russie, c’est une aubaine, l’occasion de s’inviter sur des théâtres longtemps préemptés par la France et autres ex-nations coloniales, l’occasion de se glisser dans les interstices d’un conflit pour y semer une complexité supplémentaire. L’envoi des mercenaires s’accompagne d’une campagne de manipulation sur les réseaux sociaux menée par un bataillon de trolls, technique qui s’avère très efficace au Mali. À leur manière, bottes et kalachs, les Wagner sont les légionnaires rémunérés d’un Kremlin de l’ombre. Cette diplomatie du mercenaire, c’est la création d’Evgueni Prigojine. Du paquetage au repas, l’oligarque est omniprésent dans les marchés liés à l’armée russe. Il est le Jacques Borel et le Cardin d’un million de militaires à nourrir et à vêtir, des contrats publics obtenus sous Poutine, son ami. Son armée privée, longtemps tenue secrète, est désormais évoquée en conférence de presse avec le président russe. Poutine parle « d’entreprise privée ».
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Les leçons de la Libye
Pourtant lorsque Wagner s’implante en Libye, elle bétonne à bas bruits le terrain pour la Russie officielle. Les retraités de l’armée russe forment ses rangs aux côtés d’autres recrues, des intermittents de la guerre, des ex-prisonniers que le casier judiciaire empêche de devenir militaire. Wagner est un cheval de Troie moscovite invité par un potentat en devenir, une junte qui a peur de succomber à plus putschiste qu’elle. Ainsi de la Libye.
Dans les tumultes de la révolution d’un pays abîmé par quarante ans de dictature Kadhafi, une partition se dessine entre Est et Ouest. Grandes et moyennes puissances investissent dans le conflit, les réserves de pétrole sont alléchantes (neuvièmes au monde), l’emplacement stratégique (face à l’Europe à quelques heures de bateau). La Russie appuie le maréchal Haftar, kadhafiste tombé en disgrâce, passé par les États-Unis avant d’accepter roubles et retraités du GRU, devises des Émiratis et soutien du maréchal Sissi.
Au plus haut de son intensité, la mission Wagner représentait trois mille mercenaires. Ce qui est un budget. L’expérience Wagner sur le terrain libyen permet plusieurs constats : son apport paramilitaire n’a pas été décisif. Haftar s’imaginait en leader incontesté de son pays, il demeure un homme fort de l’Est, ni plus ni moins. Il a échoué à conquérir la capitale Tripoli, les vidéos conquérantes des mercenaires (convois disciplinés de trucks lourdement armés) auront relevé de la promotion d’entreprise.
Autre leçon : quand la Russie a glissé le pied dans la porte, il n’est pas question d’en partir. En Centrafrique comme en Libye, on note parfois des transferts de mercenaires d’un pays à un autre. Dans le sillage des mercenaires, une succession d’exactions, de crimes documentés actuellement par l’ONU en Centrafrique et en Libye. La Russie veut avoir une influence en Afrique, le continent du siècle. Une influence signifie une base militaire, des relais. Moscou exporte du blé, du pétrole, du gaz. La chevauchée des Wagner rejoint le catalogue des possibilités.