Le XXIe siècle sera nucléaire ou ne sera pas 

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Notre grand dossier sur le nucléaire français

Gil Mihaely 

– 

7 mars 2022

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Le XXIe siècle sera nucléaire ou ne sera pas
Début de la construction du réacteur EPR de Flamanville, 4 décembre 2007 © JEAN-PAUL BARBIER / AFP

L’épopée nucléaire française est une réussite industrielle et scientifique qui nous permet de produire 70 % de notre énergie. Or, par lâcheté et manque de vision, nos gouvernements successifs se sont acharnés à casser ce modèle d’excellence : libéralisation du marché de l’électricité, dépeçage d’EDF, lois dictées par le lobby vert… ou l’Allemagne. Le nucléaire demeure pourtant la seule source d’énergie capable de diminuer les émissions de carbone sans déclencher une crise économique majeure.


Hors du nucléaire point de salut. Qu’on s’en désole ou qu’on s’en réjouisse, pour notre civilisation, c’est une certitude. L’enjeu est économique et technique, mais avant tout politique : privée de centrale nucléaire et avec 100 % d’énergies renouvelables (EnR), la France aurait beaucoup de difficultés à maintenir un niveau acceptable de création de richesse. Quant à l’État, il ne pourrait pas financer les prestations sociales ni même ses fonctions régaliennes.

En matière de transition énergétique, l’unique stratégie possible conjugue quatre types d’actions. La première et la moins compliquée consiste à économiser de l’énergie. Faire autant, voire plus (chauffer, rouler, fabriquer) avec de moins en moins. C’est essentiel, mais insuffisant. Il faut donc en même temps, autant que faire se peut, remplacer toutes les énergies fossiles par de l’électricité ou du gaz verts, c’est-à-dire produits sans émission de gaz à effet de serre (on dira également « décarbonée »). Bien entendu, la source d’énergie doit être fiable, constante et abordable, ce qui, aujourd’hui, exclut les renouvelables. En effet, celles-ci, notamment l’éolien, le photovoltaïque (solaire) et l’hydraulique, ne peuvent nullement être le composant essentiel, et encore moins unique, de notre mix énergétique, comme on semble le croire en Allemagne. Pour une bonne raison : c’est qu’elles sont intermittentes. Un anticyclone peut mettre à l’arrêt le parc national d’éoliennes en plein pic de consommation de l’hiver de la même façon que le mauvais temps peut cacher le soleil et faire chuter la production du solaire en période chaude sans égard pour les besoins de transport, de l’industrie ou des foyers dans la journée.

Les énergies renouvelables ne peuvent supplanter le nucléaire

Ainsi, paradoxalement, plus la part des EnR dans le mix énergétique d’un pays augmente, plus il faut construire de centrales capables de produire à la demande et rapidement pour assurer la continuité de l’approvisionnement quand les intermittentes sont hors service. Et si ce n’est pas le nucléaire, ce sera le gaz. Ce qu’explique Dominique Finon, directeur de recherche honoraire au CNRS, conseiller spécial du Conseil français de l’énergie et ancien consultant de la Banque mondiale : « Le planificateur ne peut manquer de trouver que, même avec un nucléaire plus cher que l’éolien et le photovoltaïque pour chaque MWh d’énergie produite, ça coûterait moins cher au total de faire à la fois du nucléaire et des EnR parce que les MWh des EnR, produits n’importe comment et n’importe quand, ont bien moins de valeur économique que le MWh venant du nucléaire qui produit à pleine puissance et pendant les pics de manière fiable et prévisible. Les études montrent que, dans les pays dans lesquels l’opinion publique accepte le nucléaire, comme la France, le mix énergétique idéal est composé au maximum de 5 % de photovoltaïque, de 20 % d’éolien et de quelque 70 % de nucléaire, en n’oubliant pas les 10 % de production hydraulique existant. »

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Pour aller plus loin et surmonter les limites techniques des réacteurs actuels (utilisation médiocre de l’uranium 235 fissile, volume des déchets à gérer), il faudra mettre au point de meilleures technologies de fission, capables de servir de base pour la quatrième génération de réacteurs, celle d’après l’EPR construit à Flamanville, comme les neutrons rapides-sodium, les rapides à sel fondu ou les réacteurs à haute température (HTR) appuyés sur un cycle de combustible au thorium, qui ne sont pas encore mûres et ne le seront pas avant deux ou trois décennies, même si on consent d’importants d’efforts. En effet les technologies actuelles de réacteurs à eau légère ont l’avantage d’être performantes et d’avoir accumulé des effets d’apprentissage, notamment en matière de sûreté.

On peut bien sûr espérer une rupture technologique pour satisfaire les besoins en énergie de l’humanité. « On pourrait rêver, explique Dominique Finon, de la fusion nucléaire qui consiste en la fusion de deux noyaux d’hydrogène isotopique pour former un noyau plus lourd, procédé sans commune mesure avec la fission des atomes d’uranium ou de plutonium en usage actuellement, mais ô combien difficile à maîtriser de façon industrielle et commerciale. » Des efforts considérables, notamment la construction du réacteur ITER à Cadarache (20 milliards d’euros), sont actuellement fournis pour maîtriser cette technologie, mais on est encore loin de pouvoir remplacer les réacteurs à fission.

Les contraintes économiques du nucléaire incompatibles avec la finance et les marchés

Nous avons besoin du nucléaire de fission, technique aujourd’hui employée dans nos réacteurs). Mais le nucléaire est une technologie très gourmande en capitaux, exigeant de lourds investissements sur de longues années, incompatible avec la logique de la finance privée. Si la technologie nucléaire a pu se développer, c’est parce que, dans tous les pays, le secteur électrique fonctionnait dans un cadre dirigiste et dans un régime de monopole public. Cela permettait de transférer les risques de surcoûts sur les consommateurs via les tarifs de l’électricité.

La dérégulation des industries électriques a bouleversé ce schéma. Tous les risques sont désormais portés par les producteurs/investisseurs. De plus, les prix sont formés sur des marchés horaires de façon très volatile [voir p.72-74 l’article de Léon Thau). Pour Finon, le plus important est d’admettre a priori que le nucléaire est une technologie d’État. Et une technologie d’État exige une entreprise d’État capable de concevoir des réacteurs, de piloter leur déploiement et d’assurer leur exploitation efficace dans le respect de règles de sûreté très strictes. C’est le cas en France avec EDF, qui reste un atout important pour asseoir une stratégie de transition fondée en grande partie sur le nucléaire. Et, avec un recul de plusieurs décennies, on peut dire que notre électricien historique n’a pas démérité.

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Il faut le marteler, la France possède un atout considérable : une filière nucléaire riche d’une longue histoire et d’une infrastructure très développée. Le nucléaire – civil et militaire – est l’une des plus grandes réussites de notre histoire. C’est ainsi qu’entre 1970 et 1999, date de la mise en service du dernier réacteur, on a construit 58 réacteurs qui produisent 70 % de l’électricité nationale – les deux premiers réacteurs fournissant une partie significative de notre électricité, ceux de la centrale de Fessenheim, ont été raccordés au réseau en 1977. C’est une situation unique au monde, loin devant les deux autres pays nucléaires : la Corée du Sud (30 %) et les États-Unis (20 %).

L’atout historique du nucléaire pour la France

L’acte de naissance officiel de cette filière remonte au 18 octobre 1945, avec la création par le général de Gaulle du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), quatre mois après que deux bombes nucléaires ont anéanti Hiroshima et Nagasaki. La France est alors ruinée, le sentiment national blessé par la défaite de 1940 et les années d’occupation, ses infrastructures détruites et son économie incapable de nourrir sa population ; elle décide pourtant de jouer dans la cour des grands et d’engager les efforts nécessaires pour développer la maîtrise de la bombe atomique et l’exploitation des usages civils de l’atome. Dix ans après, le premier réacteur électronucléaire est construit à Marcoule pour produire du plutonium militaire, mais aussi pour faire de l’électricité (en faible quantité). Dans la foulée entre 1957 et 1965, EDF engrange les commandes pour plusieurs réacteurs du même modèle développé par le CEA.

Le général de Gaulle visite le centre de production de plutonium de Marcoule dans le Gard, créé trois ans plus tôt par le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), 2 août 1958 © AFP

La première période se termine avec la fin de règne du Général en 1969. Pendant ce quart de siècle, le nucléaire civil est un grand projet national dont la logique profonde est de permettre à la France de tenir son rang parmi les sociétés développées à travers la maîtrise de savoirs et techniques de pointe. Ce grand projet national tire vers le haut des pans entiers de la recherche universitaire et privée, et encourage l’émergence de filières industrielles importantes. Les programmes nucléaires ont grandement contribué au développement des ordinateurs tant les besoins de calculs étaient énormes.

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