Marc Baudriller 28 février 2022 BOULEVARD VOLTAIRE

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Le président de la République joue les chefs de guerre sur le dossier ukrainien. Pour les autres candidats à l’Élysée, difficile de lutter contre ce Président martial qui, en Jupiter furieux, menace la Russie de la foudre. Les intentions de vote en sa faveur restent accrochées à 24-25 % depuis des mois et, dans un sondage IFOP pour LCI, Paris Match et Sud Radio de ce 28 février, Emmanuel Macron atteint même 28 % des intentions de vote au premier tour.
Les relations internationales et les conflits armés relèvent des prérogatives directes du chef de l’État. C’est lui qui préside aux destinées de la nation, c’est lui le chef des armées, lui qui tranche et prend les grandes décisions. Surtout, seul le président de la République sait ce qui se passe en coulisses chez les autres chefs d’État, au sommet de l’Europe ou de l’OTAN. Emmanuel Macron est conseillé, renseigné, adossé au ministère des Affaires étrangères et au ministère des Armées. Ses opposants ne s’appuient, eux, que sur leur équipe de campagne. Ils sont nécessairement très loin des détails de la crise.
Enfin, dernier atout pour le chef de l’État, la violence de l’assaut lancé par Vladimir Poutine étouffe tous les sujets intérieurs pourtant majeurs pour l’avenir de la France : les banlieues, l’immigration, la dette, l’agriculture qui souffre. L’ampleur du choc qui résonne en Europe entre la Russie et l’Ukraine rend les Français sourds à tous les autres thèmes. Alors, Le Pen, Zemmour, Pécresse, Mélenchon et les autres assistent impuissants à la mue de leur principal opposant en statue du commandeur.
Du pain bénit pour Macron qui usait déjà de cette image… avec le Covid. On se souvient tous de cette adresse à la nation : « Nous sommes en guerre » ! Utiliser ce mot, c’est une façon de provoquer l’union sacrée, comme en 1914. Il y a là une invitation plus ou moins exprimée à cesser toute critique, parce que le sort de la nation est en jeu. C’est là qu’on atteint les limites de la situation. Car si la France va sans doute souffrir du conflit ukrainien, notamment de mesures de rétorsion russes, notre pays n’est pas en guerre, pas plus qu’au moment du Covid. La France, contrairement à l’Ukraine, n’est pas envahie par une armée étrangère, aucun de nos soldats n’a versé son sang dans cette crise et ni l’Europe ni l’OTAN n’ont l’intention que cela change. Tout l’élan d’affection qu’on peut avoir pour l’Ukraine, si proche de nous, ne fait pas de Macron un chef de guerre. Un diplomate sans grands succès pour l’instant, sans doute, en aucun cas un général vainqueur.
Mais ces évidences glissent dans l’opinion : aucune des failles de Macron ne semble ulcérer vraiment les Français. La vaste révolte des gilets jaunes venue des confins du pays aurait pu écorner sa statue, comme la Manif pour tous a abîmé celle de François Hollande. Les résultats économiques de la période Covid en France qui ne sont pas meilleurs qu’ailleurs en Europe, loin s’en faut, le bond de la dette qu’on avait tant reproché à Sarkozy, le départ sans gloire du Mali, le ratage des sous-marins australiens, tout cela aurait pu coûter cher, politiquement, au président de la République. Mais les mauvaises nouvelles glissent sur lui comme l’eau sur les plumes d’un canard. Rien ne l’atteint. Les grands hebdomadaires le ménagent : ils ne tapent pas chaque semaine avec violence sur Macron comme ils le faisaient sur Sarkozy. Macron a réussi, pour l’instant, à imposer à la nation, de gré ou de force, une forme de fatalisme à grands coups d’odeur de poudre et de vraie-fausse image de chef de guerre. Comment gagner une élection sans faire campagne ?