Transnistrie: c’est ici que Poutine mobilise les prochains séparatistes

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Par LENA. Article de « Die Welte » In « LE FIGARO« 

1 1 mars 2022

VU D’AILLEURS – La Moldavie est la deuxième Ukraine de l’Europe. Le pays est une cible stratégique importante pour Poutine. Et — tout comme l’Ukraine —, il est déstabilisé par une république séparatiste prorusse à l’est : la Transnistrie.

Un des manifestants a apposé un «Z» réalisé à l’aide de ruban adhésif sur sa veste. « Russie, Russie », s’écrient les femmes et les hommes en agitant des drapeaux blanc-bleu-blanc. Des voitures sont garées au bord de la route, un «Z» placardé sur leurs vitres — un signe distinctif qui orne les véhicules militaires russes en Ukraine ces jours-ci. Tous ceux qui arborent un «Z» montrent qu’ils sont du côté du président russe Vladimir Poutine dans sa guerre d’agression contre l’Ukrain

Les personnes rassemblées ici en ce dimanche midi n’ont aucun doute à ce sujet. Tiraspol est la capitale de facto de la république séparatiste prorusse de Transnistrie, située aux confins du petit État de Moldavie. Il s’agit d’un des talons d’Achille de l’Europe, une faiblesse dont on prend douloureusement conscience ces jours-ci.

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La Transnistrie s’est séparée de la République de Moldavie au cours d’une guerre civile menée dans les années 90, époque où le pays lui-même a déclaré son indépendance vis-à-vis de l’Union soviétique. Depuis, des soldats russes sont stationnés sur place. Les deux camps s’étant accommodés du statu quo faute de solution, le conflit est longtemps resté gelé. Mais la guerre en Ukraine a tout changé.

En Moldavie, on craint de plus en plus que les hommes de Poutine ne s’arrêtent pas à la frontière. D’après l’armée ukrainienne, Moscou souhaite créer un corridor terrestre reliant la Crimée aux territoires séparatistes à l’est de l’Ukraine, mais aussi à la Transnistrie à l’ouest. Seuls 60 kilomètres séparent la pointe sud-est de la Moldavie de la ville portuaire ukrainienne d’Odessa.

La statue du commandant en chef russe Alexandre Souvorov, monté sur un cheval de guerre, pose un regard sévère sur les manifestants de Tiraspol. C’est lui qui a fondé la ville en 1792. Aujourd’hui encore, il est considéré comme l’un des plus grands généraux russes. Moins combatifs, mais tout aussi vigilants, des policiers et militaires surveillent eux aussi la manifestation.

La barista prépare du café au lait. Elle a peur, dit-elle, parce qu’elle a entendu dire que la Russie allait envoyer des troupes sur place. Elle finit par taper quelque chose dans une application de traduction et pose son téléphone portable sur le comptoir: « Je suis pour l’Ukraine »

Au bout d’une bonne heure, les quelque cent poutinistes enroulent leurs drapeaux russes comme sur commande et quittent la place en petits groupes. Deux hommes se dirigent vers un café tout proche et en sortent avec des gobelets en carton fumants.

À l’intérieur, la barista prépare du café au lait. Elle a peur, dit-elle, parce qu’elle a entendu dire que la Russie allait envoyer des troupes sur place. Elle finit par taper quelque chose dans une application de traduction et pose son téléphone portable sur le comptoir. «Je suis pour l’Ukraine», a-t-elle écrit.À LIRE AUSSIComment l’armée russe déploie sa stratégie sur le sol ukrainien

La Transnistrie fait certes partie de la Moldavie en termes de droit international, mais elle a tout d’un pays étranger. Ses habitants parlent russe, paient en roubles plutôt qu’en leus moldaves, ont leurs propres passeports et leur propre président. À Tiraspol, une statue de Lénine se dresse à chaque coin de rue, et le drapeau transnistrien arbore la faucille et le marteau. Un morceau d’Union soviétique, en plein cœur de l’Europe.

Ceux qui souhaitent se rendre en Transnistrie doivent s’armer de patience. Depuis Chisinau, la capitale moldave, une route nationale criblée de nids de poule permet de rejoindre Varnita. Les voitures sont contrôlées à deux checkpoints, l’un gardé par des policiers, l’autre par des soldats.

Le village jouxte directement la zone tampon entre la Moldavie et la Transnistrie. Un autre checkpoint. Contrôle des passeports. Ensuite, un trolleybus emmène les passagers de l’autre côté du Dniestr. La zone située au-delà du fleuve échappe au contrôle des autorités moldaves. Ici, ce sont les séparatistes qui font la loi.

Par crainte d’une attaque depuis le sol transnistrien, les Ukrainiens ont fermé leur frontière avec la région séparatiste. Il y a quelques jours, ils ont également fait sauter un pont qui reliait leur pays à la Transnistrie

Une femme blonde d’une soixantaine d’années attend à un arrêt de bus, un sac à provisions à la main. Pour elle, c’est une bonne chose que les manifestants aient témoigné leur soutien à Poutine. «La Russie est sanctionnée de toutes parts», nous confie-t-elle. « Mais nous, le peuple de Transnistrie, nous soutenons la Russie. » Tout le peuple ? Elle rit. «Tous les habitants de Tiraspol ne peuvent pas descendre dans la rue en même temps.» Puis le bus arrive.

Au début de la guerre en Ukraine, l’armée russe a effectué des manœuvres militaires en Transnistrie. Sur place se trouvent quelque 1500 soldats russes, auxquels s’ajoutent entre 10.000 et 15.000 paramilitaires fidèles à Moscou.

La Moldavie, en revanche, est tournée vers l’Ouest ; le jeudi 3 mars, le gouvernement a d’ailleurs déposé à la hâte une demande d’adhésion à l’UE. Le lendemain, Tiraspol exigeait la reconnaissance de l’indépendance de la Transnistrie.

Par crainte d’une attaque depuis le sol transnistrien, les Ukrainiens ont fermé leur frontière avec la région séparatiste. Il y a quelques jours, ils ont également fait sauter un pont qui reliait leur pays à la Transnistrie.

Sur le marché Zeleny de Tiraspol, des commerçants font la promotion de leurs marchandises : des muraturi — des légumes en saumure typiques de la région —, des pruneaux farcis aux noix et de la zacusca, une tartinade de légumes à base d’aubergine et de poivron. Derrière son stand situé en bordure du marché, un vendeur de 65 ans, dont les cheveux grisonnants sont coiffés d’un béret brun, peaufine son étalage.

La situation économique est difficile, nous confie-t-il, et les problèmes non résolus de la région ne font qu’aggraver la situation. «Prenons des pelles et créons quelque chose de nouveau au lieu de tout démolir», s’exclame-t-il.

Chez lui, le pot de betteraves rouges marinées coûte 30 roubles transnistriens. Il nous confie qu’un bon salaire mensuel se situe entre 4000 et 5000 roubles. Tant la guerre en Ukraine que les sanctions prises contre la Russie affectent la Transnistrie, qui dépend des deux pays sur le plan économique.

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« Il y a de bons et de mauvais Ukrainiens », estime le marchand. «J’entends ce que dit la Pologne . J’entends ce que disent la France et l’Allemagne. Et j’entends ce que dit la Russie. Malheureusement, il y en a qui n’écoutent que l’Ukraine. Je n’aime pas ça», ajoute-t-il.

Il considère que les relations entre la Transnistrie et la Moldavie ne sont rompues que sur le plan politique. «Nous, les gens ordinaires, n’avons pas de problèmes entre nous», assure-t-il. «Nous étions frères autrefois. Ici, beaucoup ont de la famille de l’autre côté. Et parfois, ils se retrouvent.»

Sur le trottoir de la rue du 25 Octobre, à Tiraspol, un musicien a installé un micro. Il gratte sa guitare. Les premiers accords de «Creep», de Radiohead, retentissent. Puis il se met à chanter.

« But I’m a creep

I’m a weirdo

What the hell am I doing here?

I don’t belong here »

« Je suis un pauvre type, je suis un cinglé. Qu’est-ce que je fous ici ? Je n’ai pas ma place ici. »

Avis de transparence : en raison de la situation sécuritaire actuelle, les autorités de Transnistrie n’autorisent actuellement aucun journaliste à se rendre dans leur république séparatiste. Une équipe composée d’une journaliste DIE WELT et de deux reporters de la publication en ligne roumaine PressOne, s’est donc rendue sur place de manière clandestine. Pour leur sécurité, les noms de tous leurs interlocuteurs en Transnistrie ne sont pas mentionnés

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