Guerre en Ukraine : premières conséquences de Bruxelles à Berlin…

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FRONT POPULAIRE. 14 mars 2022

OPINION. Le soubresaut militaire déclenché par l’agression de l’Ukraine par la Russie laisse entrevoir une certaine unité européenne… en apparence. Car en réalité, c’est bien au niveau des États que la mue va s’opérer.

Guerre en Ukraine : premières conséquences de Bruxelles à Berlin

Le conflit russo-ukrainien constitue une rupture historique ; il introduit une nouvelle donne stratégique à l’échelle continentale et planétaire, dont les principaux aspects se révéleront dans la durée. Dans l’immédiat, l’Union européenne (UE) voit dans cette crise majeure une opportunité pour tenter d’exister un peu sur la scène internationale. Mais c’est bien sûr au niveau des États que les changements les plus importants seront observés. Parmi eux, l’Allemagne a déjà pris acte de l’ouverture d’une nouvelle ère et en a tiré des conséquences radicales, en annonçant son réarmement et sa volonté de devenir un acteur géostratégique de poids.

La Commission européenne sur tous les fronts

La guerre en Ukraine donne des ailes à Ursula von der Leyen. À l’offensive des troupes russes, elle a décidé d’opposer une offensive de communication qui en fait l’incarnation médiatique de l’UE, loin devant les très pâles Charles Michel (président du Conseil européen) et Josep Borrell (Haut représentant de l’UE pour les affaires étrangères). Au cœur de ces interventions figure bien sûr le renforcement des sanctions économiques et financières visant Moscou ; mais l’indignation légitime suscitée par l’agression russe donne à la présidente de la Commission l’occasion d’aller au-delà de cette pratique habituelle, comme si la crise devait être aussi l’occasion pour l’UE d’acquérir un peu de la substance politique qui lui fait tant défaut. Rien de tel, après tout, que la confrontation à une grande puissance agressive pour faire quelques pas dans cette direction. Aussi Mme von der Leyen a-t-elle estimé qu’il lui appartenait de plaider en faveur de l’intégration de l’Ukraine dans l’UE, oubliant, le temps d’une déclaration, que son opinion en la matière est nulle et non avenue : la Commission n’est que la gardienne des traités, la procédure d’admission est aussi longue que complexe et l’adhésion de l’Ukraine ne suscite pas un enthousiasme débordant chez nombre de chefs d’État et de gouvernement.

Ursula von der Leyen a également annoncé le 27 février l’interdiction des médias Russia Today et Spoutnik au sein de l’UE, interdiction effective depuis le 2 mars. Avec cette décision scandaleuse, l’UE tombe au niveau du pouvoir russe — qui pratique une politique comparable —, foulant aux pieds les principes d’État de droit et de liberté d’expression dont elle se gargarise par ailleurs. Ursula von der Leyen pense sans doute qu’elle a remporté une victoire en faisant preuve de fermeté face à la « machine médiatique du Kremlin » ; elle prend surtout le risque de voir s’altérer encore un peu plus l’image de l’UE ; quoi que l’on pense des médias incriminés, cette décision traduit en effet un immense mépris pour les citoyens du continent, assimilés à de grands enfants dénués de libre arbitre et de discernement, qu’il convient de protéger de l’influence pernicieuse d’autocrates malintentionnés. Elle montre également le caractère factice de l’attachement officiel de l’UE aux libertés fondamentales, qui constitue ordinairement la justification morale de son existence et une part de son activisme juridique face aux États. L’UE ne défend pas la liberté d’expression, elle en a peur ; elle la voit comme une menace, et la guerre à sa porte justifie présentement qu’elle en réduise le périmètre. À un niveau plus profond, cette décision régressive souligne, si besoin était, l’incapacité politique de l’UE, qui ne se manifeste sur ce terrain que pour sombrer immédiatement dans l’autoritarisme et la censure.

Gagnée par une hubris contre-productive, la présidente la Commission ne pouvait s’en tenir à cette première embardée : il lui a semblé intelligent d’annoncer ensuite que l’UE, « pour la première fois dans son histoire », allait acheter des armes pour les remettre à un pays en guerre, l’Ukraine. La cheffe de la bureaucratie communautaire serait prête à se muer en chef de guerre si les circonstances s’y prêtaient réellement. Ce n’est pourtant pas le cas. Les 450 millions d’euros évoqués proviennent de la mal nommée « Facilité européenne pour la paix », un fonds intergouvernemental de l’UE dont la gestion est à la discrétion exclusive des États membres. Dans les faits, il s’agit surtout, à ce stade, de rembourser les États qui ont déjà annoncé l’envoi de matériel militaire en Ukraine. La fourniture d’avions de combat, un temps évoquée par Josep Borrell, a été rapidement refusée par les trois pays équipés d’avions russes (Mig 29 et Su 25), les seuls que connaissent les pilotes ukrainiens : la Bulgarie, la Pologne et la Slovaquie ont tour à tour rejeté cette idée irréaliste, conscientes des problèmes techniques, logistiques et, surtout, des complications géostratégiques qu’elle pouvait occasionner.

Beaucoup de bruit pour rien, donc, mais la séquence communicationnelle aura tout de même permis au journal Le Monde d’annoncer, sur la base de ce vide, la mue historique de l’UE : qu’une responsable non élue, sans légitimité, multiplie à son niveau les initiatives pour tenter d’inscrire l’UE dans une logique de cobelligérance dans le conflit en cours, voilà ce dont il faudrait se réjouir ; triste illustration des ravages de l’idéologie dans certains milieux…

Une nouvelle puissance au cœur de l’Europe ?

Ainsi donc, la première conséquence majeure pour l’Europe de la crise en cours sera le réarmement allemand. Annoncée par le chancelier Olaf Scholz dans un discours au Bundestag, l’augmentation massive du budget de la défense outre-Rhin va mettre un terme à trente années de sous-investissement chronique qui ont fait tomber à un niveau très bas les capacités opérationnelles de l’armée allemande, comme l’a publiquement reconnu, avec une franchise inhabituelle dans ce milieu, le Chef d’état-major de l’armée de terre. Les esprits qui verraient dans ce sursaut un élément favorable à « L’Europe-de-la-Défense » en seront rapidement pour leurs frais : non seulement la primauté accordée au lien transatlantique ne sera pas remise en cause, mais l’avenir des programmes d’armement franco-allemands (avion de combat et char lourd) est rendu plus incertain encore pas cette annonce. Les industriels allemands auront en effet moins d’intérêts financiers à se lier à leurs concurrents français s’ils ont la garantie d’écouler sur leur sol de plus grandes quantités de matériels ; pour le reste, l’achat de matériels américains permettra de combler rapidement les déficits capacitaires de la Bundeswehr.

Face à cette double réalité industrielle et stratégique, le prêchi-prêcha européiste des dirigeants français ne pèsera pas d’un grand poids ; s’ils n’acceptent pas de sacrifier les intérêts industriels de leur pays pour sauver les projets en cours, il est peu probable que les autorités allemandes se laissent convaincre de leur pertinence…

Dans l’immédiat, le néo-activisme géostratégique de l’Allemagne la conduit à envoyer du matériel militaire à l’Ukraine, comme le font parallèlement de nombreux autres États européens. La RFA se distingue cependant par le choix des matériels livrés qui comprennent notamment 500 Stinger et 2700 Strela, des missiles sol-air portatifs, d’origine américaine pour le premier et soviétique pour le second — un seul autre pays à ce stade fournit du matériel comparable : les Pays-Bas (200 Stinger). Il est étonnant que personne ne s’inquiète à ce stade de ce que cette livraison implique : ces missiles, relativement faciles à utiliser par un seul homme, risquent fort de faire peser dans les années qui viennent un risque réel sur la sécurité du trafic aérien civil en Europe, leur dissémination incontrôlée étant malheureusement plausible. Livrés dans l’urgence à une armée ukrainienne en difficulté, ces stocks de missiles pourraient tout à fait atterrir entre de mauvaises mains. Les Strela livrés par Berlin sont prélevés sur de vieux stocks hérités de la Volksarmee de l’Allemagne de l’Est ; d’une faible efficacité sur les avions de combat modernes (car faciles à leurrer), ils sont en revanche performants face aux hélicoptères et sur des avions civils en phase d’atterrissage ou de décollage. Sans doute leur vétusté rendra-t-elle cependant beaucoup d’entre eux inutilisables. Les Stinger, de leur côté, sont beaucoup plus efficaces, c’est-à-dire dangereux. Livrés en quantité par la CIA aux moudjahidines afghans dans les années 1980, ils ont provoqué la destruction de dizaines d’aéronefs soviétiques. Mais il a fallu ensuite que cette agence lance l’opération MIAS (Missing In Action Stinger), à partir de 1990, pour tenter de récupérer les Stinger non utilisés. Une mission accomplie en partie seulement, en dépit des moyens financiers notables qui lui furent alloués par le Congrès des États-Unis. Trente ans plus tard, l’Allemagne commet donc une erreur comparable, dont l’Europe dans son ensemble devra assumer à l’avenir les conséquences sécuritaires…

Auteur

Éric JUILLOT

Publié le 14 mars 2022

14 commentairesCommenter

purdeyil y a 26 minutes

Très bonne vision longue des « soucis » qui nous attendent;cela n’ a pas l’air d’inquiéter nos princes.. « La cheffe de la bureaucratie communautaire serait prête à se muer en chef de guerre si les circonstances s’y prêtaient réellement. »-Non pas cheffe de guerre ,mais trafiquante d’armes et pourvoyeuse de munition pour transformer les pays du  » glacis » européen en mercenaires et leur territoire en champ de manœuvres…Cette créature escroc est dangereuse…

pozzoil y a une heure

L’apparente unité des états de l’UE n’est qu’une unité de circonstance, une unité « contre » un danger commun, une fois tout cela terminé, tout sera comme avant sinon pire.

EdeTrazegniesil y a 2 heures

Merci à EJ pour ce point d’étape, et ce rappel salutaire : les desiderata de Mme von der Machine ne valent que son opinion, certes éclairée (?) par la fonction, mais nullement avenus. On savait l’UE boulimique, prête à intégrer l’Albanie mafieuse et le Kosovo expurgé de ses chrétiens, mais pas opportuniste au point de vouloir annexer (oui, annexer) un pays en guerre. Le pitoyable de l’affaire est qu’aucun chef d’État-membre n’aura contesté « sa » décision d fermer RT et Spoutnik.>

EdeTrazegniesil y a 2 heures

(Suite II)> La seule bonne nouvelle qu’apporte la volonté de réarmement allemand est la fin du projet commun MGCS (avion de combat FCAS et de char EMBT), cad. celle de « l’Europe de la défense » Qui sait si un jour nous n’aurons pas besoin de notre armée à nous face à… ? Et si l’OTAN, malgré ses ventes juteuses de systèmes d’armes et de F-35, était aussi le grand perdant de l’histoire ? En particulier avec sous son commandement intégré, des armées puissantes, mais désunies par le matériel et la stratégie de défense ?……… 

EdeTrazegniesil y a 2 heures

(Suite I) Et Frau von der Lahyène de se muer en trafiquante d’armes (profession jusqu’alors peu féminisée, il est vrai) à destination de l’Ukraine : bravo à l’ancienne ministre de la Défense de fournir un argument en or à Poutine pour nous envoyer ses missiles, alors que nous ne sommes pas (encore) en guerre ! Que les Mig/SU soient refusés par les pilotes ukrainiens traduit peut-être aussi leur manque d’entrainement en situation de combat, face à leurs homologues russes, pas des blaireaux du ciel. Et l’Immonde de se réjouir de la « mue historique » de l’UE, oui, « triste illustration des ravages de l’idéologie », en effet… >

CHARLES HEYDil y a 2 heures

L’Allemagne et son euroleiter (Von des Leyen) montre ce qu’elle peut faire de pire! Le pauvre Adolphe doit jubiler dans sa tombe!

servadacil y a 3 heures

Je pense que si les français vont élever des moutons dans le Larzac et que nous revenions à la chandelle, il y a une chance que Poutine n’envahisse pas la France et se contente de l’Allemagne pour son outil industriel.

nicolas36il y a 3 heures

Il faut aussi rester réaliste. L’Allemagne n’a quasiment pas d’alternatives énergétique suffisante pour elle . C’était déjà le problème pour Hitler , obligé de prendre des risques militaires énormes pour alimenter son armée et le pays avec le succès qu’on connait. Rien n’a changé . Pour ce qui concerne la défense . au delà de tout les Milliards annoncés , il faut bien 10 à 15 ans pour bâtir un outil militaire efficace. Un pays peut acheter toutes les armes sophistiquées en masse , il faut encore des compétences et une expérience sérieuse pour s’en servir. L’Allemagne de 2022 n’est pas.celle de 1939. 

nicolas36il y a 3 heures

L’OTAN restera le parapluie de la RFA encore pour longtemps et cela sera idem pour toute l’UE. Les USA ont simplement manoeuvrer leurs sujets pour qu’ils investissent dans leur propre défense au lieu de profiter de la leur , bien à l’abris. Les USA préparent une confrontation dans la zone Pacifique pour dans les 10 , 15 ans . Ils ne pourront pas casser l’ensemble Chine Russie tout seul. C’est imparable , et tout le reste est de l’élucubration. 

DENIS MONOD BROCAil y a 3 heures

Eh oui, la folie, comme la violence, est contagieuse. A la folie de Poutine répond la folie « européenne »…

nicolas36il y a 3 heures

Allons y doucement. Le gouvernement de la RFA est en pleine panique .L’Allemagne vient de recevoir deux mauvaises nouvelles : les Russes sont capables d’avancer vers l’Ouest , blindés en tête et c’est eux qui tiennent le robinet de 60% de l’énergie consommée en RFA. Au delà de la grosse géopolitique et des rodomontades de Van der Leyen, il se dissimule le ressentiment et l’aigreur d’une stratégie de domination économique de l’UE qui vient de s’écrouler. 

bretil y a 4 heures

l’Europe de la défense reste une chimère même si l’Allemagne se réarme. La France doit quant à elle renforcer significativement son outil militaire et son industrie de défense si elle veut compter à l’avenir.

antoine89il y a 4 heures

C’est écrit d’avance, et Macron abandonna encore un pan de notre industrie militaire celle-là. L’Allemagne va acheter des F35 Américains pourquoi, parce qu’elle est membre de l’OTAN qui dispose de l’arme atomique aussi Américaine et que pour la balancer en vol, il faut des avions Américains… Donc, notre Rafale, le meilleur avion du Monde… Les pays-bas et autres pays de l’est rattachés à la zone auront des pressions Américaines pour prendre leur matériels… Les US, l’OTAN et l’europe, petit à petit auto-détruit chacun de nos pays d’Europe.. De la à dire que les US…..Et mon petit doigt me dit que les stinger envoyés en zones de guerre, on les reverra. Mais ce n’est que mon avis

nicolas36il y a 3 heures

antoine89. La RFA n’a aucune marge de manoeuvre stratégique vis à vis des USA. Les forces Allemandes sont intégrées à l’OTAN à 100%. Ils ont toujours acheté des avions US en priorité. L’Eurofighter est une exception. Ils vont probablement acquérir des F18 et des F35 car ils n’ont pas le choix ainsi les autres pays d’Europe. Même la Suisse a dû obtempérer. L’UE est un ventre mou mercantile ouvert à tous vent. C’est la conséquence logique de son suicide exécuté au 20 eme siècle .De surcroit , il n’y a plus aucune force morale dans le vieux continent. Une population qui s’auto flagelle et qui rêve de bienveillance dans un entourage de voyous n’a pas fine de se faire piétiner . 


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