« Avec l’autonomie de la Corse, Macron nous mène à la dislocation du pays par ses périphéries »

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Benjamin Morel : "Avec l'autonomie de la Corse, Macron nous mène à la dislocation du pays par ses périphéries"

Benjamin Morel :

Entretien

Propos recueillis par Etienne Campion MARIANNE

Publié le 16/03/2022

Alors que des violences agitent la Corse après l’agression d’Yvan Colonna dans sa cellule par un autre détenu, le gouvernement annonce être prêt à céder à la Corse une autonomie politique. Pour Benjamin Morel, maître de conférences à l’Université Panthéon-Assas, président du conseil scientifique de la Fondation Res Publica, cette déclaration alimente une mécanique dangereuse qui contribue à mettre à mal l’unité du pays. Pour lui, tous les Français devraient s’en inquiéter.

Marianne : Dans un contexte d’émeutes en Corse, le gouvernement est prêt à aller jusqu’à l’autonomie de l’île, a annoncé Gérald Darmanin dans Corse Matin. Le timing interroge, avant la Présidentielle… Quelle est la stratégie du gouvernement ?

Benjamin Morel : Souvenez-vous du geste d’Emmanuel Macron, en février 2018, lors des hommages au préfet Érignac. Il disait alors que l’acte d’Yvan Colonna « ne se justifie pas, ne se plaide pas, ne s’explique pas ». Macron visait explicitement Gilles Simeoni, ancien avocat de Colonna, dont le frère avait été arrêté pour avoir caché l’assassin d’Erignac quand il était un fugitif.

Quatre ans plus tard, on assiste à de violentes manifestations dans les rues corses, en hommage à Yvan Colonna. On caillasse la police, brûle des bâtiments publics. On crie « Français de merde ! » et « État assassin! ». Et voici qu’on se demande où sont passés les mots d’Emmanuel Macron. 93 blessés et 650 cocktails Molotov semblent être une façon comme une autre de montrer son investissement dans une cause politique. C’est en tout cas la position de Gilles Simeoni. Il faut lire son communiqué de presse lunaire du 8 mars, dans lequel il appelle à continuer les manifestations (qui ont déjà sombré dans la violence), demande simplement aux manifestants de « manifester sans s’exposer à des risques physiques » – ne vous faites pas mal ! – et aux forces de l’ordre de cesser de se montrer violentes…

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« Que fait le gouvernement, courageusement… il cède ! »

Imaginez une seconde qu’un gamin de banlieue ait tué un préfet. Imaginez les réactions politiques si de telles manifestations de soutien avaient lieu ! Imaginez enfin qu’un président de collectivité dise cela… Enfin, le lendemain, Gilles Simeoni, qui n’appelle toujours pas au calme, se fend d’un nouveau communiqué où il rappelle les revendications des natios en forme de chantage au calme. Que fait le gouvernement, courageusement… il cède !

Comment en sommes-nous arrivés là ?

L’explication semi-officielle, semi-officieuse, est qu’il faut sauver le soldat Simeoni qui serait un natio gentil, autonomiste, dépassé par sa base. Il faut reconnaître que, parmi les natios, c’est le seul interlocuteur à la fois crédible et avec lequel un dialogue semble possible. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que, si les natios sont dépassés par leurs jeunesses, c’est qu’ils l’ont formée. Ils ont fait entrer le militantisme à l’école. L’Université de Corte a choisi de baptiser un de ses amphithéâtres de l’IUT Jean-Baptiste Acquaviva, du nom d’un militant du FLNC « abattu lors d’une action ». Malgré le boycott des représentants de l’État, l’Université a maintenu sa décision. Mais comment peut-on appeler un amphithéâtre du nom d’un militant d’une organisation terroriste, et expliquer ensuite à sa jeunesse, qui y est formée, qu’elle doit être pacifiste ?

J’ai peut-être un esprit continental étriqué, mais j’ai du mal à voir la cohérence… La majorité natio a soufflé sur les braises durant tout ce quinquennat, accusant Paris de tous les maux pour détourner les regards des rapports de Cour des comptes, cruels pour la gestion de la collectivité. Voilà le résultat.

« D’un point de vue politique, le risque est la course à l’échalote et la contagion. »

Gérald Darmanin affirme qu’il y a « une responsabilité de l’État en tant que protecteur des personnes qui sont sous sa responsabilité, en l’occurrence des prisonniers » au sujet de l’agression d’Yvan Colonna, pour se justifier d’avancer sur l’autonomie accordée…

Il y a justement deux sujets. Le premier est un sujet Colonna. Cela n’a pas grand-chose à voir avec l’autonomie de la Corse, en réalité. La défaillance pénitentiaire qui a conduit à cette agression interroge quant à la situation de nos prisons et la qualité de notre système carcéral. Ce qui est arrivé est révoltant et doit interroger l’administration pénitentiaire et la Chancellerie… mais cela ne doit pas faire de Colonna un martyre !

Il y a ensuite une question d’éloignement des détenus corses. Le sujet est un sujet non politique, mais pratique. La prison de Borgo ne permettait clairement pas des conditions de rétention sécurisée. On peut se rouler par terre en hurlant et en niant ce fait, il n’en demeure pas moins là ; et il faut cesser, sur ce point, de jouer les faux naïfs. On peut toutefois poser la question de l’absence de volonté étatique d’investir dans cette prison pour justement faire qu’elle soit renforcée. Cela aurait sans doute pu simplifier les choses, même s’il s’agirait d’un traitement particulier.

« La majorité natio a soufflé sur les braises durant tout ce quinquennat… »

Enfin, Colonna est-il un prisonnier politique ? La réponse est non. Un prisonnier politique est un prisonnier… pour des motifs politiques, comme le nom de la formule l’indique. Or Yvan Colonna n’est pas en prison parce qu’il pensait mal, mais parce qu’il a commis un crime de droit commun. En l’occurrence, il a tué un préfet ! Par ce dernier point, on touche à l’essentiel de la politisation du dossier. Colonna a toujours été vu par les nationalistes, y compris les autonomistes, comme un martyre que l’on ne pouvait pas tout à fait abandonner. C’est ce point que dénonçait en 2018 Emmanuel Macron. C’est ce qui revient ici sur le devant de la scène. Au fond, l’agression de Colonna n’est qu’un prétexte pour avancer des revendications politiques. Ce n’est pas une instrumentalisation très digne, mais, à force d’en faire une icône dans les jeunes générations, cela devient efficace… peut-être un peu trop pour certains vieux natios, qui en abusent.

En quoi est-ce problématique, d’un point de vue républicain, que d’aller vers l’autonomie d’un territoire ? 

Il y a un sujet juridique et un sujet politique.

D’un point de vue juridique, l’autonomie ne veut pas dire grand-chose. En soi, la libre administration des collectivités territoriales peut être vue comme une forme d’autonomie. Si l’on entend l’autonomie législative, formellement seule, la Nouvelle-Calédonie en dispose. Je rappelle que la Nouvelle-Calédonie dispose d’un statut reconnu comme transitoire et colonial (les accords de Nouméa faisant référence à un processus de décolonisation), qu’on y paie en franc Pacifique et pas en euro, et qu’une partie du droit est d’ordre coutumier. Si l’on parle de l’article 74 de notre Constitution, que visent les natios corses, on y trouve Wallis et Futuna, qui n’est pas organisé en communes… mais en royaumes. Trois royaumes en l’occurrence. Voici donc des statuts qui sont des héritages coloniaux. Il y a un côté comique à voir les natios demander à transformer leur île, juridiquement parlant, en possession coloniale quasi assumée… alors que des générations d’anticolonialistes avaient justement pour but d’abolir ces statuts pour en venir au droit commun.

« Quand les autonomistes ont obtenu gain de cause et n’ont plus rien à vendre, ils sont supplantés par les indépendantistes. »

D’un point de vue politique, le risque est la course à l’échalote et la contagion. On sait, car nous sommes instruits par trente ans d’erreurs chez nos voisins britanniques, espagnols, belges ou italiens, que cela ouvrirait un engrenage dangereux. En accordant des statuts particuliers, on stimule le régionalisme. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en Corse. Alors que les Corses avaient refusé une collectivité unique en 2003 par référendum, on a cédé aux natios dix ans plus tard, en l’imposant par la loi. Résultat ? Entre 2010 et 2021, une collectivité unique plus tard, le score des nationalistes corses est passé au premier tour de 27,76 % à 57,70 % des voix.

Emmanuele Massetti et Arian Schakel, dans une étude par régression statistique sur 227 partis régionalistes, montrent que la présence d’un gouvernement local multiplie leur nombre par trois. Dawn Bracanti note aussi pour sa part que la décentralisation stimule le vote pour les partis autonomistes et indépendantistes.

Les autonomistes finissent-ils par être dépassés par les indépendantistes ?

En réalité on analyse aujourd’hui bien deux mouvements en recherche. D’abord, quand les autonomistes ont obtenu gain de cause et n’ont plus rien à vendre, ils sont supplantés par les indépendantistes. On atteint alors un point de blocage avec l’État. Ensuite, on crée un effet de mimétisme entre régions. Historiquement, les Gallois courent derrière l’Écosse, qui rêve d’Irlande. Le Pays de Galles a ainsi obtenu en 2011 un statut similaire à celui de l’Écosse en 2011… qui a exigé et obtenu du coup un nouveau statut d’autonomie supérieur en 2012 que demandent à présent des Gallois. En France, les Corses rêvent de Nouvelle-Calédonie. Les Alsaciens rêvent de Corse, et c’est tout l’objet de la consultation lancée il y a quelques mois par Frédéric Bierry, le Président de la Collectivité européenne d’Alsace. Les Bretons, eux, rêvent d’Alsace et les candidats LR aux régionales sont venus en « visite officielle » à Strasbourg.

« Il s’agit de la dislocation du pays par ses périphéries. »

On assiste ainsi à un double effet d’engrenage. On peut toujours croire dans le spiritisme et à l’esprit français censé nous préserver de cela. Personnellement, entre la mystique et la macrostatistique, je crois plutôt à la seconde. On emprunte les mêmes voies que nos voisins, avec les mêmes conséquences. On peut les trouver désirables, mais il faut arrêter de se leurrer : il s’agit de la dislocation du pays par ses périphéries.

Est-ce un enjeu lié au vieux débat jacobinisme-girondisme ?

Il faut arrêter avec cette querelle jacobins-girondins. L’unité de la loi, et donc l’absence d’autonomie au sens des natios, a été votée lors de la nuit du 4 août 1789 durant laquelle sont abolis les privilèges. Jacobins, girondins, monarchiens, bonapartistes… tout le monde est d’accord là-dessus, sous la Révolution. Y revenir, ce n’est pas revenir sur le jacobinisme, mais sur l’héritage des Lumières. L’unité et l’indivisibilité de la République sont votées par la Convention girondine, et le projet de Constitution girondine reprend ces termes. Par ailleurs, il n’y a rien de plus étranger à la Gironde que les statuts particuliers. Au contraire, les girondins militaient pour une stricte égalité des départements. Paris attaqué par la Gironde, ce n’est pas l’État, mais la commune de Paris qui se veut une collectivité à part, pesant sur les affaires de l’État… tous ceux qui se revendiquent de la Gironde devraient donc s’affoler de ce qui se passe sur ces sujets en Corse, mais aussi en Alsace ou en Bretagne.

« On assiste ainsi à un double effet d’engrenage. »

Les autres références mises en exergue ne sont pas plus porteuses. Tocqueville pense la décentralisation impossible en France si elle est fondée sur des identités ethnoculturelles ; mettant en avant l’homogénéité de la nation américaine. Maurras – même Maurras ! – prône certes le fédéralisme, mais uniquement pour les régions de culture « gallo-romane ». Il pense qu’appliquer aux autres régions (Bretagne, Alsace, Flandres, Pays basque…) son système irait vers la mort du pays. C’est un dilemme qu’il ne résout que parce qu’évidemment la démocratie n’est pas son but, et qu’il faut à la tête du pays un roi autoritaire…

Quelles solutions préconisez-vous ?

Il faudrait commencer par arrêter de se réclamer de sources qui disent l’inverse de ce qu’on entend leur faire dire. Il faudrait aussi cesser d’instrumentaliser les natios et les respecter, car eux au moins sont cohérents avec ce qu’ils sont. On peut projeter des fantasmes parisiens sur les natios et dire qu’ils représentent les petites patries, qui aident à aimer la grande… Sauf que, lorsqu’en 2017 ils imposent à Jacqueline Gourault une photo dont est retiré le drapeau français, ils montrent que leur projet n’est pas compatible avec la République et la nation.

Crédit : Corse Matin

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Les plus importants partis régionalistes français sont membres d’un regroupement nommé « Régions et Peuples Solidaires ». On y trouve Unser Land (parti politique alsacien, qui se fonde sur des principes fédéralistes et autonomistes), l’Union démocratique bretonne (le parti de Paul Molac), Femu a Corsica (le parti de Gilles Simeoni), le Parti occitan, Abertzaleen batasuna, ou le Parti nationaliste basque. L’article premier de la Charte de ce regroupement « Régions et Peuples Solidaires » dispose par exemple que son objectif est de « combattre le centralisme parisien et celui de l’Europe des États ». Son article 11 ? « Permettre aux peuples divisés par des frontières interétatiques, héritages des guerres, de se réunir à la faveur du processus d’unification de l’Europe ». Nous sommes classiquement dans une perspective de fédéralisme européen des régions visant à terme la disparition des nations, perçues comme obsolètes. Au niveau européen, autant ce regroupement que certains partis membres, appartiennent à l’Alliance libre européenne, parti politique européen, alliance de 46 partis politiques régionalistes, autonomistes et nationalistes. Ce dernier prône clairement une Europe fédérale redécoupée sur une base ethnolinguistique. On peut faire dire ce que l’on veut à Gilles Simeoni, mais il est en réalité beaucoup plus honnête que nombre de ses thuriféraires ne le sont avec eux-mêmes.

Par Etienne Campion

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