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Par Benjamin Morel et Benoit Vaillot LE FIGARO
16 mars 2022
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TRIBUNE – Le maître de conférences en droit public et l’agrégé d’histoire, président et membre de l’association «Une et indivisible», déplorent que l’exécutif cède à la violence en Corse à quelques semaines de la présidentielle. Un engrenage dangereux se met en place, s’inquiètent-ils.
Le 6 février dernier, la République rendait hommage au préfet Érignac, lâchement assassiné par des nationalistes corses il y a déjà vingt-quatre ans. Un souvenir vif et douloureux piétiné ces derniers jours par une série d’émeutes et d’attaques contre la République. Perpétrés par des jeunes gens, les événements de ces derniers jours sont signe d’un séparatisme grandissant sur l’île, glorifiant les criminels les plus lâches et s’unissant derrière le slogan «Nous sommes tous Yvan» ou «Statu francese assassinu» («État français assassin»). Si l’agression dont a été victime Yvan Colonna en prison pointe une défaillance du système pénitentiaire français qu’il faut dénoncer, elle ne saurait être l’expression d’un quelconque complot de l’État envers l’un de ses citoyens. L’instrumentalisation de ce fait divers érige Yvan Colonna au rang d’icône alors même que celui-ci a été condamné pour avoir abattu dans le dos un homme qui incarnait la légalité républicaine.
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Hélas, la Corse ne peut compter sur un personnel politique responsable et à la hauteur des enjeux actuels. Le président de la collectivité de Corse, Gilles Simeoni, dans un communiqué publié le 8 mars dernier, ne s’émeut absolument pas des violences perpétrées par de jeunes «nationalistes», qu’il a pourtant participé à former. Se limitant à une simple mise en garde sur l’intégrité physique des participants, tout en promouvant la poursuite de la mobilisation, celui-ci a contribué à accentuer la violence des tragiques événements en cours ; un comportement antirépublicain et inacceptable dans un État de droit démocratique.
Le lendemain de ce communiqué qui aurait mérité une réponse ferme de l’État, Le Canard enchaîné nous apprend que le président de la République aurait dialogué en sous-main avec le président de la collectivité de Corse de manière à obtenir le soutien des nationalistes
à l’élection présidentielle en échange de l’autonomie. Les dégradations, les violences et les émeutes suffiront-elles à faire changer d’avis Emmanuel Macron? Ce n’est pas ce que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, laisse à penser. Tout au contraire, il annonce être «prêt à aller jusqu’à l’autonomie» .
La Corse ne saurait s’extraire de la solidarité nationale, car c’est bien celle-ci qui permet à ses habitants d’être soignés de la même manière que les autres Français grâce à la Sécurité sociale, qui permet aux jeunes d’étudier dans les écoles et les universités les plus prestigieuses de France, et qui offre la possibilité de jouir des mêmes droits, peu importe son origine sociale, régionale, sa couleur de peau ou son accent
Non seulement l’État envoie un signal de faiblesse en cédant aux violences, mais, plus encore, l’autonomie remettrait en question le principe même de l’unité et de l’indivisibilité de la République, socle fondamental sur lequel est bâtie notre nation. Interrogés par référendum en 2003, les Corses se sont opposés à la création d’une collectivité unique avec des pouvoirs exorbitants du droit commun, qui leur a pourtant été imposée de manière insidieuse à travers la loi NOTRe.
En réalisant l’inventaire des problèmes corses, combien pourraient être traités à l’échelle de l’île? Il est impensable qu’une autonomie puisse répondre au déficit d’investissement dans les services publics et les infrastructures terrestres et maritimes, en particulier eu égard à la gestion calamiteuse de l’île par les nationalistes. Les dépenses de fonctionnement sont très largement supérieures à ce qui est investi dans l’économie réelle et les services publics, selon l’aveu même de la Cour des comptes. Au sujet de l’accès à l’immobilier en Corse, les nationalistes plaident pour une taxation antispéculation. Or, si cette mesure s’avérait efficace, pourquoi son application devrait se limiter à un territoire particulier, alors que la spéculation immobilière est un problème national partagé par bon nombre de régions, comme la Bretagne ou la Nouvelle-Aquitaine?
Retour à la modération?
La Corse ne saurait s’extraire de la solidarité nationale, car c’est bien celle-ci qui permet à ses habitants d’être soignés de la même manière que les autres Français grâce à la Sécurité sociale, qui permet aux jeunes d’étudier dans les écoles et les universités les plus prestigieuses de France, et qui offre la possibilité de jouir des mêmes droits, peu importe son origine sociale, régionale, sa couleur de peau ou son accent.
Car quelle serait la suite d’une politique de l’autonomie? Un retour à la modération? Alors même qu’une partie de la jeunesse s’organise autour d’organisations violentes prônant l’indépendance, comme la Ghjuventu indipendentista? À l’heure où l’université de Corte renomme des amphithéâtres en l’honneur de terroristes comme Jean-Baptiste Acquaviva et où les seuls syndicats étudiants sont dominés par l’idéologie nationaliste et indépendantiste, on peut en douter.
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Les recherches récentes en science politique au sujet du régionalisme nous enseignent deux choses très claires pour penser la question territoriale en Corse. Tout d’abord, lorsque l’on cède aux autonomistes, ces derniers n’ont plus rien à vendre à part une approche gestionnaire, en opposition avec le récit lyrique des nationalistes plus radicaux. Ils sont alors rapidement supplantés par les indépendantistes. Ensuite, un processus de mimétisme entre régions s’enclenche, contribuant à déliter la nation. À partir de 1997 en Grande-Bretagne, la dévolution (statut spécial accordant des pouvoirs parlementaires et exécutifs aux nations constituant le Royaume-Uni, NDLR) accorde plus d’autonomie à l’Écosse qu’au pays de Galles. Verts de jalousie, les Gallois finissent par obtenir le même statut que l’Écosse en 2011. Les Écossais se sentant à leur tour déconsidérés obtiennent plus d’autonomie en 2012. Aujourd’hui, le pays de Galles rêve d’Écosse, qui rêve elle-même d’indépendance… Les nationalistes corses rêvent du statut de la Nouvelle-Calédonie, parce que c’est un marchepied vers l’indépendance. Aujourd’hui, c’est la Corse qui fait rêver le président de la collectivité européenne d’Alsace, Frédéric Bierry, avec sa consultation visant à quitter la région Grand Est. Et le nouveau statut qu’il a obtenu pour l’Alsace fait rêver les Bretons, dont certains candidats se sont rendus à Strasbourg en 2021.
C’est cette responsabilité que prend Gérald Darmanin ; celle d’ouvrir une boîte de Pandore qui engloutira à terme le pays.