Sous les feux des projecteurs pour ses liens étroits avec le chef de l’État, la firme McKinsey n’est pas le seul cabinet de conseil mis en cause par le rapport du Sénat sur le recours à ces acteurs privés.
Par Baudouin Nicolas VALEURS ACTUELLES
Publié le 6 avril 2022 à 18h00

Les récentes révélations du Sénat sur le recours aux cabinets de conseil par l’État empoisonnent la fin de campagne d’Emmanuel Macron. Photo © Isa Harsin/SIPA
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Dans un communiqué de presse publié mercredi, le Parquet national financier (PNF) a annoncé avoir ouvert le 31 mars une enquête préliminaire pour blanchiment aggravé de fraude fiscale à l’encontre du géant américain McKinsey. Une décision qui intervient après les remous provoqués par un rapport au vitriol du Sénat sur l’influence des cabinets de conseil. Les auteurs de ce rapport accusent notamment les entités françaises de McKinsey d’optimisation fiscale agressive. De fait, la firme n’a payé aucun impôt sur les sociétés entre 2011 et 2020, cependant qu’elle a dégagé un chiffre d’affaires de plusieurs centaines de millions d’euros.
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Une mauvaise publicité dont les autres acteurs du secteur se seraient bien passés. D’autant que ces dernières années, certains d’entre eux ont été largement sollicités par l’État. Entre 2018 et 2021, les dépenses en conseil par les ministères « ont plus que doublé, avec une forte accélération en 2021 (+45 %) », notent les sénateurs dans leur rapport du 17 mars. Sur la même période, 20 acteurs du secteur, sur les 2 070 comptabilisés au total, ont concentré 55 % des missions de conseil – leur nom : A. T. Kearney, Accenture, BearingPoint, Oliver Wyman ou encore Roland Berger.
McKinsey ne représente que 1 % des dépenses en conseil par les ministères. Schéma issu du rapport sénatorial du 16 mars 2022.
Contrairement à d’autres pays européens, la France recourait naguère aux cabinets de conseil dans des proportions beaucoup moins importantes. En 2018, à titre de comparaison, l’Allemagne a dépensé 3 143 milliards en conseil contre 657 millions pour la France. En 2021, les dépenses de cette dernière ont bondi à 1, 065 milliard d’euros ; une « estimation minimale », selon la commission sénatoriale. En effet, l’ensemble des commandes passées par les différentes administrations de l’État reste inconnu.
Toujours selon les sénateurs, un recours aussi massif à des consultants privés fait peser plusieurs risques majeurs pour l’administration française. La commission alerte ainsi sur « un risque de dépendance de l’administration vis-à-vis des cabinets de conseil ». Or le rapport constate précisément un « écart » entre la prudence affichée par l’État concernant le recours à de tels cabinets et le fait que ces acteurs privés sont devenus indispensables aux administrations.
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Quand elle ne balaie pas la polémique d’un revers de la main, les justifications avancées par la macronie sont souvent bien maigres : un renforcement ponctuel des moyens de l’État, un besoin de compétences dont ne dispose pas l’administration, etc.
Des missions « pro bono »
Reste que ce recours à des cabinets étrangers n’est pas anodin. La fuite d’informations sensibles est un risque plausible. Un risque d’autant plus important que les offres de missions gratuites (pro bono) sont désormais monnaie courante. Le rapport sénatorial tire la sonnette d’alarme à ce sujet : « Dénuées de tout régime juridique, ces prestations peuvent être “récupérées” pour les besoins de la stratégie commerciale des cabinets de conseil, dans l’optique d’améliorer leur réputation. »
Ces missions pro bono concernent « surtout le secteur économique », note le rapport, avec l’Élysée et Bercy qui en sont les deux principaux bénéficiaires. Lors de l’examen final du rapport, le 16 mars 2022, le sénateur Patrice Joly dénonce quant à lui le fait que les cabinets font « preuve d’un véritable entrisme avec la pratique du pro bono et la confusion constatée entre les responsables politiques et les instances dirigeantes de ces cabinets. Comprenez qu’il y a un fort risque de conflits d’intérêt. Leur rôle croissant renvoie à la défiance vis-à-vis des fonctionnaires et particulièrement des grands corps. »
Les cabinets de conseil dans la tourmente
Pour autant, le recours à des cabinets de conseil n’est pas un problème en soi. Dans une tribune publiée le 15 février 2022 sur le site d’Eurogroup consulting, le président et le directeur général du cabinet français se défendent : « Nous, cabinets de conseil, intervenons toujours dans un cadre. Jamais en lieu et place de l’État mais bien à son service. » Plus loin : « Notre rôle est de compléter cette expertise et de l’éclairer […] L’utilité des cabinets de conseil s’éprouve dans le rythme accru des mutations et des crises auxquelles nos sociétés font face, et devant lesquelles l’État se doit de rester une institution en mouvement. »
Pour sa part, la commission sénatoriale exhorte l’État à « en finir avec l’opacité des prestations de conseil ». Les sénateurs proposent par exemple d’interdire « les prestations pro bono, en dehors du mécénat dans les secteurs non marchands (humanitaire, culture, social, etc.) ». Enfin, ils préconisent « la destruction systématique des données confiées aux cabinets de conseil à l’issue de leur mission, sous le contrôle de la CNIL ».