Nucléaire : ces questions piquantes que la France va bien être obligée de finir par se poser 

POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE

Les prix de l’électricité en France sont les plus importants d’Europe et cela a moins à voir avec la guerre en Ukraine qu’avec les décisions prises sur le nucléaire depuis des décennies, ainsi qu’avec l’extrême précaution appliquée à l’égard de nos centrales. 

Alexis Quentin ATLANTICO. 30 juin 2022

Atlantico : En France, le prix de l’énergie pour l’hiver prochain est déjà deux fois plus élevé que celui de ses voisins, pourtant nous sommes moins dépendants que d’autres aux gaz et pétroles russes grâce à notre filière nucléaire. Le choix de mettre temporairement à l’arrêt une partie du parc est-il responsable de la situation ?

Alexis Quentin : Ce qui est responsable de la situation, c’est qu’en France, contrairement aux autres pays limitrophes, il n’y a pas ou peu de réserves en termes de production pilotable d’électricité. L’Allemagne par exemple a ses centrales à charbon. Les tranches nucléaires arrêtées le sont pour maintenance ou en raison de la corrosion sous contrainte. Dans les deux cas, l’arrêt est justifié.

A quel point la situation actuelle de notre parc nucléaire est-elle le résultat de mauvais choix politiques mais également d’un manque d’anticipation depuis plusieurs décennies ?

Plus largement que le parc nucléaire, c’est le parc de production électrique qui est le résultat de non-choix. Cela fait longtemps que RTE, le gestionnaire du réseau électrique, alerte sur l’absence de marges et que les différents gouvernements qui se sont succédé ont fait le choix de fermer des moyens pilotables (charbon principalement) pour les remplacer par d’autres (ENR et gaz principalement). Climatiquement cela a du sens, mais du point de vue de la sécurité d’alimentation c’est plus discutable. On a longtemps vécu sur l’idée que notre parc domestique et les imports suffiraient, mais tous nos voisins ont aussi eu une politique similaire de fermeture de moyens pilotables. Ainsi, il n’y a plus beaucoup de marges en Europe et cela prendra du temps pour en regagner.

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Est-il possible que l’ASN se comporte avec un excès de prudence dans la mise en maintenance de certaines centrales ? Toutes les centrales fermées avaient-elles besoin de l’être ? 

C’est difficile de parler d’excès de prudence quand on ne connaît pas toutes les pièces du dossier. Je ne suis pas membre de l’ASN ni des groupes permanents d’experts de l’IRSN, je ne peux donc dire s’il y  a excès de prudence dans le cas de la corrosion sous contrainte par exemple. L’ASN prend son travail au sérieux, et il vaut mieux un excès de prudence qu’un excès de confiance.

Serait-il possible, dans un contexte de crise énergétique d’ampleur, de rouvrir certaines centrales actuellement en maintenance (puisque la moitié du parc est à l’arrêt) pour éviter une envolée des prix de l’énergie, avec un niveau de sécurité suffisant ?

C’est déjà la décision prise par le gouvernement concernant la centrale à charbon de Saint-Avold. Pour les centrales nucléaires, en particulier Fessenheim, c’est aujourd’hui impossible. Un certain nombre de pièces ont déjà été démontées et des opérations de préparations au démantèlement ont été effectuées qui rendent la centrale inopérable aujourd’hui.

Quand un centrale est arrêtée pour maintenance, il faut attendre que celle-ci soit de toute façon terminée pour redémarrer. C’est comme si on allait récupérer sa voiture chez le garagiste avant que les réparations soient terminées. Pour les réacteurs arrêtés en raison de la corrosion sous contrainte, il faut d’abord savoir l’étendue du défaut et s’il y a un vrai risque pour l’installation. Il est question ici d’un certain principe de précaution qu’il me parait dangereux de remettre en cause car ce serait mettre le doigt dans un engrenage que de dealer avec la sûreté alors qu’on n’est pas en risque de black out.

Notre philosophie d’emploi des centrales nucléaires devrait-elle être revue pour éviter des situations comme celle que nous vivons actuellement ? 

Je ne comprends pas trop le terme de « philosophie d’emploi des centrales nucléaires ». Ce qui est certain c’est qu’il faut reconstruire un système électrique certes bas carbone, mais surtout capable de passer les aléas climatiques et aussi géopolitiques. A ce titre, le discours de Belfort d’Emmanuel Macron il y a quelques mois semble tracer un changement de voie par rapport aux décennies précédentes. Reste maintenant à passer aux actes.

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Alexis Quentin

Alexis Quentin est docteur en physique et ingénieur dans l’industrie nucléaire. Membre de l’association les voix du nucléaire.

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