Par Ronan Planchon LE FIGARO
22 juillet 2022
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«L’augmentation du prix de l’électricité en Allemagne se répercute sur le prix de l’électricité en France.» olrat / stock.adobe.com
FIGAROVOX/ENTRETIEN – Sur le plan énergétique, la guerre en Ukraine n’a fait qu’aggraver une situation critique à l’échelle européenne, et notamment en France, affirme le chef d’entreprise essayiste, et expert en politique énergétique Fabien Bouglé.
Fabien Bouglé est expert en politique énergétique. En 2019, il est auditionné par la commission d’enquête parlementaire sur les énergies renouvelables de l’Assemblée nationale, et publie un premier ouvrage au retentissement important: Éoliennes, la face noire de la transition écologique (éd. Du Rocher). Chef d’entreprise dans le secteur financier et culturel, il est également élu municipal (divers droite) à Versailles. Son dernier livre, Nucléaire, les vérités cachées, est publié aux éditions du Rocher.
LE FIGARO. – Pour faire face à la crise de l’énergie, Emmanuel Macron a annoncé, jeudi 14 juillet, «un plan de sobriété énergétique» pour consommer moins de gaz et d’électricité dans les mois et années à venir. Devrons-nous passer Noël à la bougie?
Fabien BOUGLÉ. – Il faut s’attendre à un hiver très difficile. Oui, nous allons manquer de gaz et d’électricité et, en plus, notre facture énergétique va exploser. Depuis 10 ans, nous avons multiplié les mauvais choix: en témoigne la vente d’Alstom et des turbines Arabelle, l’augmentation notable des sources d’électricité renouvelable intermittentes comme les éoliennes, fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, la dégradation politique de l’image du nucléaire, la perte de vision à long terme de notre politique énergétique et la destruction de notre expertise industrielle. De plus, le revirement du président de la République sur le sujet du nucléaire est beaucoup trop récent pour produire des effets immédiats.
Selon les bases de données récemment publiées du ministère de l’Écologie, le nucléaire a représenté en 2021, 75% de l’énergie primaire produite en France à mettre en comparaison avec les seulement 2,4% de l’énergie produite par les éoliennes. Dans le même temps, la politique gouvernementale conduit notre pays à une pénurie énergétique alors que nous disposions du meilleur modèle énergétique décarboné. Nous avons engagé des sommes folles dans les énergies renouvelables et, dans le même temps, négligé l’entretien et le développement de nos centrales nucléaires. Les arrêts de réacteurs nucléaires pour des problèmes de corrosion s’inscrivent dans ce contexte. En 2021, notre pays était exportateur d’électricité, cette année nous allons devoir énormément importer. L’absence de vision à long terme de nos gouvernants, qui n’ont pas vu venir cette crise énergétique, commencée bien avant la guerre en Ukraine, nous conduit dans une situation ubuesque où nous allons pour la première fois depuis 40 ans devoir envisager des rationnements d’électricité.
Ce choc gazier et électrique que nous connaissons n’est pas dû à la guerre en Ukraine, il prend ses racines dans le déploiement sans limite en Europe des énergies renouvelables intermittentes.Fabien Bouglé
RTE, responsable du réseau public de transport d’électricité haute tension en France, estimait bien avant la guerre en Ukraine et la découverte de problèmes de corrosion sur plusieurs réacteurs nucléaires que le risque de pénurie est important tous les hivers au moins jusqu’en 2024. L’invasion de l’Ukraine par la Russie n’a-t-elle pas fait qu’aggraver une situation déjà critique ?
Tout à fait ! La question des risques de coupures d’électricité en France ne date pas de la guerre en Ukraine et, à plusieurs reprises ces dernières années, RTE, la filiale d’EDF chargée de transporter l’électricité, a averti de potentiels risques de coupures d’électricité. Globalement, notre pays peut parfaitement faire face à la demande d’électricité lors des mois de faible consommation comme l’été mais l’hiver, lors des périodes de grand froid la demande explose et nous sommes confrontés à une pénurie d’électricité. Et lors de périodes de grand froid, les éoliennes produisent peu, d’où la nécessité d’importer de l’électricité de nos voisins soit de relancer des centrales au charbon ou au gaz.
Ce choc gazier et électrique que nous connaissons n’est pas seulement dû à la guerre en Ukraine, il prend ses racines dans le déploiement sans limite en Europe des énergies renouvelables intermittentes. Un article de Newsweek du 27 octobre 2021 titré «The wind failures behind Europe Energy crisis are a warning for America» (Les pannes d’éoliennes à l’origine de la crise énergétique en Europe sont un avertissement pour l’Amérique) expliquait comment la politique d’installation d’éoliennes en Europe avait créé le choc gazier que nous connaissons.
La reprise industrielle postcovid en 2021 est intervenue au moment de la chute de production des éoliennes allemandes (baisse de 14% en 2021). Cette situation a contraint l’Allemagne à augmenter fortement sa production électrique avec ses centrales au gaz ou au charbon conduisant à une explosion de la demande de ces matières fossiles. Le souci, c’est que le marché de l’électricité est aligné en Europe sur le mode de production électrique le plus cher, en l’occurrence les centrales au gaz. Comme le prix spot électrique des centrales au gaz a explosé, cette situation s’est répercutée sur l’ensemble des modes d’électricité y compris l’électricité d’origine nucléaire conduisant à une inflation inédite du prix de l’électricité en Europe. La guerre en Ukraine s’est ajoutée dans l’équation mais n’a pas été déterminante dans cette pénurie initiale de gaz et l’augmentation de la facture électrique. Elle a été plutôt un élément de complexification.
Plus on installe d’éoliennes plus on doit prévoir de centrale au gaz ou au fossile en complément.Fabien Bouglé
La décrue de nos capacités de production thermiques a-t-elle été compensée par l’augmentation sensible des capacités éoliennes et solaires intermittentes ?
Il n’y a pas de décrue notable sur le long terme de nos capacités de production thermique. Nous devrions même être davantage dépendants des centrales fossiles en 2022. D’après les chiffres de RTE dans son bilan 2021, la production électrique fossile est restée en France de 8% en 2021. On note une légère augmentation par rapport à 2020, avec un doublement de la production électrique au charbon. Corrélativement et alors que nous avons installé en France 7% de puissance éolienne en plus, nous avons connu une baisse de production électrique de 7% de turbines électrique à vent en prenant en compte l’augmentation de la puissance installée.
En ce sens, développer des renouvelables en France est inutile, surtout dans ce contexte de forte demande. Malgré le développement des éoliennes ou des panneaux solaires, nous ne sommes pas moins dépendants de notre dépendance aux énergies fossiles. Car plus on installe d’éoliennes, plus on doit prévoir de centrale au gaz ou au fossile en complément. C’est la raison pour laquelle il est parfaitement illusoire de croire que l’on va diminuer notre dépendance au fossile en développant les énergies renouvelables intermittentes. Les gaziers et pétroliers comme Engie et TotalEnergie investissent massivement dans les énergies renouvelables intermittentes pour conforter sur le long terme leur marché de fossile. Il est donc parfaitement mensonger de dire que l’on va accélérer l’installation des éoliennes pour compenser la fin de l’approvisionnement en gaz Russe.
Sommes-nous toujours autosuffisants en matière d’électricité ?
En 2021, nous avons été autosuffisants et avons même bénéficié d’un solde exportateur de 43 térawattheures (la différence entre nos exportations et nos importations en Europe). En revanche, nous importons désormais 10 térawattheures d’Allemagne et de Belgique alors que jusqu’à 2019 nos avions un solde exportateur vers ces pays (6 térawattheures en 2018 par exemple). Cela signifie que la fermeture de Fessenheim – qui fournissait à nos voisins une électricité décarbonée – a contribué à nous rendre dépendant de l’Allemagne et en particulier de son électricité au charbon. La France est doublement perdante car elle fragilise sa souveraineté électrique mais en plus avec l’explosion du tarif spot de l’électricité elle accentue la facture de ses importations énergétiques contribuant ainsi au déficit de sa balance commerciale. La France est dans une situation perdante/perdante et la fermeture de la centrale nucléaire alsacienne y a largement contribué. Je crains qu’en 2022, nous soyons dans une situation de forte importation, ce qui serait inédit en France depuis au moins la mise en route du plan Messmer en 1974 qui a vu le déploiement de nos 58 réacteurs nucléaires.
Le marché européen de l’électricité crée donc une solidarité européenne au détriment des pays comme la France qui voit sa facture énergétique exploser alors que son système est parmi les moins cher d’Europe.Fabien Bouglé
Lors de la crise du Covid, nos dirigeants n’ont cessé d’évoquer la «solidarité européenne». En matière d’énergie, existe-t-il une solidarité ? Comment se traduit-elle ? Payons-nous, aussi, les choix de nos voisins européens ?
Aujourd’hui, nous sommes dans une situation d’interconnexion européenne des réseaux électriques et dans un marché de l’électricité européen. L’augmentation du prix de l’électricité en Allemagne se répercute sur le prix de l’électricité en France. Et on l’a vu, le choc gazier a contribué à renchérir en Europe la facture électrique de l’ensemble des pays alors qu’en France grâce à nos centrales nucléaires, le coût de revient de notre électricité est beaucoup plus faible. Le marché européen de l’électricité crée donc une solidarité européenne au détriment des pays comme la France qui voit sa facture énergétique exploser alors que son système est parmi les moins cher d’Europe. C’est donc un épouvantable paradoxe pour la France qui voit son modèle vertueux bénéficier aux voisins européens et en particulier à l’Allemagne. Ce pays voit d’un très bon œil l’augmentation de notre facture électrique, car elle est synonyme d’une baisse de la compétitivité de nos entreprises. Dans un document interne, l’Allemand Agoraenergiwende avait prédit, il y a quelques années, que la baisse du nucléaire français allait assurer la compétitivité des centrales au charbon allemandes. Nous y sommes.
Concernant le marché européen, le Portugal et l’Espagne ont fait le choix, récemment, de quitter le marché européen de l’électricité, ce qui a été autorisé par la commission européenne. Cette décision a contribué à baisser le prix de marché dans ces pays. On le voit: la solidarité a des limites et la France et les Français sont les victimes de ce marché européen qui contribue à l’augmentation de leur facture électrique. La France qui était non seulement vertueuse en termes d’émission de gaz à effet de serre et pour sa facture électrique se trouve enfermée dans un fédéralisme européen relevant de la naïveté. Cela risque de lui coûter très cher. Ce système ne pourra pas tenir et il y a fort à parier que nous allons assister dans les mois ou années à venir à une implosion du système européen de l’électricité.