ÉDITO. Le président de la République a annoncé un plan de sobriété pour éviter la pénurie d’énergie l’hiver prochain. Ce ne sera pas suffisant.

Par Nicolas Baverez. LE POINT
Publié le 25/07/2022 à 07h00
L’évolution vers une guerre longue en Ukraine ainsi que la multiplication des crimes de guerre des troupes russes interdisent au maître du Kremlin tout espoir d’un allègement des sanctions. S’il ne peut atteindre les États-Unis, qui sont indépendants énergétiquement, il peut en revanche provoquer un choc majeur sur l’Europe. L’interruption des livraisons de gaz russe constituera un séisme pour l’Union, en provoquant une pénurie et une explosion des prix de l’énergie. L’Allemagne est particulièrement exposée, elle continue à recevoir 40 % de son approvisionnement de Russie et devra réduire sa consommation de gaz d’au moins 20 %. Mais tous les pays seront touchés, ne serait-ce que par l’arrêt des exportations allemandes.
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À LIRE AUSSILes Allemands appelés à économiser l’énergie à la maison, sur la route et au travail
L’impact du choc excédera largement le secteur de l’énergie. Sous l’effet de la baisse simultanée de la production et de la consommation, l’économie européenne basculera dans la récession en 2023, tandis que l’inflation sera relancée. La remise en route massive des centrales à charbon, indispensable pour trouver des substituts au gaz, provoquera un désastre écologique avec une augmentation des émissions de dioxyde de carbone. Sur le plan politique, l’approfondissement de la crise énergétique déchaînera les populismes, tout particulièrement en Italie qui va aborder des élections législatives à haut risque alors que Mario Draghi se trouve désormais en sursis et que l’opinion comme la classe politique sont partagées sur les sanctions. Enfin, sur le plan stratégique, les divisions s’accentueront au sein de l’Union, avec la compétition entre les 27 pour accéder à l’énergie et la stocker, comme au sein de l’Otan, en raison de l’asymétrie qui se creusera entre les États-Unis, qui bénéficieront de la demande adressée à leur secteur de l’énergie, de l’armement et de l’agriculture, et l’Europe, très fragilisée.
Sortir du déni
Il est donc grand temps que la France et l’Union sortent du déni et tirent les conséquences de la guerre économique que leur livre la Russie, sauf à renforcer cette dernière dans le conflit ukrainien et à lui donner un avantage décisif dans sa confrontation avec les démocraties. La coupure programmée des livraisons de gaz russe implique non seulement une explosion des prix, mais également une pénurie physique d’énergie qui imposera des mesures de rationnement. Celles-ci ne pourront pas être supportées uniquement par les entreprises, sauf à effondrer la production et augmenter l’inflation, et devront concerner aussi les ménages. Ces mesures doivent être préparées techniquement et assumées politiquement.
À LIRE AUSSISobriété énergétique : une campagne de com en préparationLa France ne peut s’en tenir à un plan de sobriété visant à réduire de 10 % en deux ans la consommation d’énergie grâce à la mobilisation des administrations publiques et des grandes entreprises. Elle doit décréter un plan d’urgence énergétique. Du côté de l’offre, il s’agit de lever tous les obstacles réglementaires, sociaux et fiscaux, pour permettre de maximiser la production, particulièrement d’électricité nucléaire, et de sécuriser les approvisionnements. Du côté de la distribution, il convient de préparer des mesures de délestage qui cherchent à limiter la baisse d’activité des entreprises, au moment où le déficit commercial s’apprête à dépasser 110 milliards d’euros. Du côté de la demande, une campagne d’information des Français doit être engagée immédiatement, comme en Allemagne, afin de commencer dès cet été à économiser l’énergie.
Privilégier la coopération
Simultanément, il faut rétablir progressivement la vérité du prix de l’énergie, qui constitue de très loin le moyen le plus efficace pour réguler sa consommation, réconciliant ainsi sécurité énergétique et transition écologique. Enfin, sur le plan européen, il est indispensable de privilégier la coopération et de réformer rapidement l’organisation calamiteuse du marché européen de l’énergie, qui, dictée par l’Allemagne, a placé l’Union dans la main de Vladimir Poutine. Le général de Gaulle soulignait qu’« être inerte, c’est être battu ». Sa maxime s’applique aussi à la guerre de l’énergie. Cessons d’en parler : livrons-la et gagnons-la !