Au cours d’une conférence de presse musclée, le président turc a distribué les remontrances et les avertissements. Notamment contre la Grèce.

Publié le 07/10/2022 LE FIGARO
« Une nuit, soudain, nous pouvons débarquer. » Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, répète régulièrement cette petite phrase à qui veut l’entendre. Et si nécessaire, il ajoute l’explication de texte. C’est ce qu’il a fait jeudi soir, au cours d’une conférence de presse donnée à Prague, en marge du sommet de la Communauté politique européenne auquel il avait été invité. « Monsieur le président, que voulez-vous dire exactement quand vous dites que vous pourriez venir soudainement la nuit. Allez-vous attaquer la Grèce ? » lui a demandé la journaliste d’une chaîne de télévision grecque. Glacial, le président turc lui a répondu, calmement : « Vous avez bien compris la situation. Cela ne vaut pas seulement pour la Grèce. Quel que soit le pays qui nous dérange ou qui nous attaque, notre réponse sera : une nuit, soudain, nous pouvons débarquer. » Une menace à peine voilée.
Cet aphorisme erdoganien est martelé dans ses discours depuis le printemps. En juin, alors qu’il dirigeait un exercice militaire à Izmir, sur la mer Égée, la simulation de l’invasion d’une île grecque, il avait ainsi menacé son voisin. Sans y mettre aucun conditionnel. Il l’avait déjà utilisé ces dernières années avant des manœuvres militaires dans le nord de la Syrie. Les Loups gris, ses alliés ultranationalistes, l’affectionnent particulièrement.
Une chanson populaire
À l’origine, « Une nuit, soudain, nous pouvons débarquer » est le vers d’un vieux poème turc, une innocente chanson populaire. Mais il renvoie également à 1974, juste avant l’invasion du nord de Chypre par l’armée turque. L’air aurait alors été diffusé sur les ondes de Radio Drapeau, la radio des forces armées, pour revigorer les troupes qui attendaient l’intervention d’Ankara et pour démoraliser l’ennemi, grec en l’occurrence. Athènes prend donc les menaces très au sérieux.
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Devant la presse européenne, à Prague, le « reis » turc a concentré le tir sur le Premier ministre grec Kiryakos Mitsotakis, sans jamais le nommer. Selon plusieurs sources, les deux hommes auraient eu un échange musclé au cours du sommet informel des chefs d’État et de gouvernement, s’accusant mutuellement de provocations. « Aujourd’hui, nous avons participé à un dîner. J’ai fait un discours. Le monsieur était très mal à l’aise, a commenté Erdogan, moqueur. À cause de son inconfort, tout le dîner a été très tendu. Il est monté faire un discours. Et il a dit que nous avions fait des déclarations très dures. Il n’y avait rien de tout cela. (…) La politique grecque est fondée sur des mensonges. Tout est mensonge. Il n’y a aucune honnêteté », a sifflé l’autocrate turc.
Un autre État membre de l’Union européenne, Chypre, en a pris pour son grade. Erdogan a rejeté toute perspective de négociations en vue d’une réunification de l’île, divisée depuis près de 50 ans, mais il a appelé au respect du choix de leur destin par les Chypriotes turcs, dont l’entité séparatiste, au Nord, n’est reconnue que par Ankara… Dans la journée, Erdogan avait aussi rappelé qu’une base militaire pour les drones turcs était désormais installée dans le nord de Chypre. Simple précaution sans doute.
Un tacle à Macron
La Suède, enfin, n’a pas été épargnée. S’il a dit attendre de faire connaissance avec le nouveau gouvernement suédois – « l’ancien est l’ancien » – le chef de l’État turc a maintenu son opposition à l’entrée de Stockholm dans l’Otan. Depuis l’accord de juin qui ouvrait la porte à une adhésion de la Suède et de la Finlande, la Turquie ne l’a toujours pas ratifié. « Tant que les terroristes pourront défiler dans les rues, tant que les terroristes pourront siéger au Parlement suédois, notre vision ne changera pas », a-t-il prévenu au cours de cette conférence de presse. Avec la Finlande, a-t-il précisé ensuite, la situation est différente et le blocage de l’adhésion pourrait être levé.
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Quant à Emmanuel Macron, Erdogan l’a invité à venir en Turquie après le prochain sommet du G20, en Indonésie, pour participer à la conférence des pays turciques. « Je lui ai dit : “Viens ! Mais viens avec ta femme, parce que nos femmes s’entendent bien, mais pas nous” », a-t-il lancé.
Cette participation de la Turquie au sommet de la communauté européenne à Prague, qui devait aider à la réintégrer dans le concert occidental, aura surtout permis à Recep Tayyip Erdogan de régler quelques comptes. Et de préciser les contours de sa relation avec l’Europe. « Aucun projet ne pourra se substituer à l’adhésion à l’UE », a-t-il prévenu. Dénonçant les « obstacles » injustement dressés devant son pays, il a appelé les dirigeants européens à se montrer « visionnaires ». La Turquie d’Erdogan veut avoir son mot à dire dans toutes les affaires de l’Europe : approvisionnement énergétique et alimentaire, sécurité, terrorisme, immigration… Et s’ils l’oublient, le président turc saura rappeler aux dirigeants européens qu’il leur prépare encore quelques bonnes surprises.