Par Ronan Planchon
LE FIGARO 6 octobre 2022
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«Erdogan est encouragé par la faiblesse de la réponse des Européens.» ADEM ALTAN / AFP
ENTRETIEN – Dans un livre nourri et documenté, Franck Papazian explique comment la Turquie exerce un puissant lobbying pour imposer l’islamisme en France et en Europe, profitant notamment de l’absence de réaction de l’Occident.
Franck Papazian est membre du Conseil de coordination des associations arméniennes de France. Il vient de publier Le Régime Erdogan. Une menace pour la France (éd. Versilio/Robert Laffont, 144 p., 18 €).
LE FIGARO. – Dans votre livre, vous expliquez que, dans l’optique de façonner une Turquie de plus en plus nationaliste et expansionniste, Erdogan accroît son réseau d’influence grâce à une diaspora largement acquise à sa cause. Comment expliquer l’islamo-conservatisme de la diaspora turque quand celle d’autres pays semble souvent plus «progressiste» ?
Franck PAPAZIAN. – Parce que depuis 20 ans, Erdogan instrumentalise les Turcs en Europe. Il leur donne les moyens de développer leurs associations en finançant leur développement autour de l’islam radical. Erdogan leur a confié une mission : chaque Turc en France et en Europe doit devenir un ambassadeur de la Turquie. Il soigne sa diaspora, il la finance, il entretient avec elle des relations de complicité. Il l’organise autour de certaines associations comme le Milli Gorus, la Ditib, qui sont en charge de la gestion des mosquées et des Imams radicaux, des écoles communautaristes. La Fédération des Turcs de France a pour but de coordonner cette stratégie et les dirigeants turcs font régulièrement le voyage en Europe pour maintenir la pression. Il instrumentalise les «Loups gris», une organisation ultra-violente, interdite par le ministère de l’Intérieur en octobre 2020 mais dont les membres sont toujours en liberté. On se souvient de la violence des «Loups gris» à l’encontre des Arméniens au cours du second semestre 2020. Ils sont partout, en liberté, aux ordres de la folie d’Erdogan.
Je montre dans mon livre combien la pression de l’islamisme radical est extrêmement forte en France, avec des dizaines de mosquées et d’imams radicaux et des dizaines de professeurs turcs qui viennent tous les ans en France pour « former » la jeunesse franco-turque aux valeurs de l’ultranationaliste turc.Franck Papazian
À l’inverse, Erdogan est contesté en Turquie, notamment par une partie de la jeunesse. Comment expliquer ce décalage entre la puissance du soft-power d’Erdogan à l’étranger et sa réussite mitigée sur le sol turc ?
Ne nous trompons pas, la jeunesse turque moderne qui veut tourner la page Erdogan est encore minoritaire en Turquie. Elle subit le poids de la politique régressive d’Ankara. Elle veut une Turquie moderne, apaisée, libérée, démocratique, respectueuse des libertés individuelles et collectives. Elle rêve d’une défaite d’Erdogan aux prochaines élections de juin 2023.
En France, le soft-power turc se traduit par le financement de mosquées, d’écoles, l’envoi d’imams…
N’oublions jamais d’où vient Erdogan. Il a fait partie de la direction des Frères musulmans. Il s’est construit sur la base de l’islamisme radical.. Il est animé par l’ultranationaliste religieux. Je montre dans mon livre combien la pression de l’islamisme radical est extrêmement forte en France, avec des dizaines de mosquées et d’imams radicaux et des dizaines de professeurs turcs qui viennent tous les ans en France pour «former» la jeunesse franco-turque aux valeurs de l’ultranationaliste turc.
Erdogan a repris à son compte cette citation qui constitue tout un programme : «Les minarets sont nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées nos casernes et les croyants nos soldats.» Et cette citation est une feuille de route pour Erdogan dont le but est de mettre en œuvre tous les moyens pour contrôler l’islam en France. Dominer l’Islam pour dominer la France et exercer une pression auprès de la société civile, des élus et des décideurs politiques. Erdogan a infiltré la société française. Le CFCM compte aujourd’hui parmi ses dirigeants l’ancien «patron» du Milli Gorus, Fatih Sarikir, qui dirige l’islam radical turc. Le président du CFCM de 2017 à 2019, Ahmet Ogras, turc d’origine, avait affiché son soutien à Erdogan en indiquant sur son compte Twitter : «Nous sommes tous des soldats d’Erdogan».
Erdogan donne l’impression de tout oser, mais l’histoire récente montre qu’il rétropédale quand il fait face à de la résistance…
Oui, Erdogan nous teste en permanence. Il teste la France lorsqu’il nomme en 2015 Ismail Hakki Musa, au poste d’ambassadeur de Turquie en France. Rappelons qu’il était numéro du MIT, les services secrets turcs, en charge des opérations spéciales et qu’il est soupçonné d’avoir organisé l’assassinat de trois militantes kurdes à Paris en janvier 2013. Sa nomination est une provocation.
Le président turc ne comprend que le rapport de force. La seule manière de se faire respecter est de répondre avec force.Franck Papazian
Erdogan est encouragé par la faiblesse de la réponse des Européens. Lorsqu’il insulte le Président de la République française, Emmanuel Macron, l’invitant à«aller faire des examens de santé mentale», ajoutant que «Macron a besoin de se faire soigner», la réponse de la France est extrêmement faible et absolument pas à la hauteur de la situation. Ce dérapage du président turc fait suite à une déclaration d’Emmanuel Macron promettant de «ne pas renoncer aux caricatures». Lorsqu’il appelle les Français à ne pas voter pour Emmanuel Macron, quoi qu’on puisse penser du Président de la République, c’est une ingérence inacceptable. Lorsqu’il menace en déclarant : «Demain, aucun Européen ne pourra faire un pas dans la rue en sécurité», il ne reçoit aucune réponse à la hauteur de la menace. Lorsqu’il lance un appel au boycott des produits français, nous attendons toujours la réponse appropriée du gouvernement français. Il a également exercé un ignoble chantage aux migrants. Alors que l’Europe a fait un chèque de trois milliards de dollars pour que la Turquie accueille les migrants de Syrie et crée les conditions pour qu’ils restent en Turquie, Erdogan, a déclaré:«Depuis que nous avons ouvert nos frontières, le nombre de ceux qui se sont dirigés vers l’Europe a atteint des centaines de milliers. Bientôt ce nombre s’exprimera en millions.» Une provocation de plus à l’encontre des Européens… qui ne réagiront pas. Erdogan est un homme fort, un dirigeant puissant. Il a construit une Turquie autoritaire à l’intérieur, impérialiste à l’extérieur. Le néo-ottomanisme d’Erdogan est extrêmement dangereux.
Le président turc ne comprend que le rapport de force. La seule manière de se faire respecter est de répondre avec force. La France aurait été inspirée d’expulser l’ambassadeur de Turquie à Paris. Il serait également temps de contrôler les associations qu’il soutient en France, tracer les flux financiers de ces organisations et auditer les comptes en banque de leurs dirigeants. Il faut fermer les mosquées radicales qui font du prosélytisme antirépublicain au profit de l’islamisme radical. Il faut surveiller les discours de haine des Imams et les sanctionner. Car c‘est la population française qui est en danger aujourd’hui.
Erdogan a posé une bombe à retardement en France. Si le gouvernement français ne la désamorce pas, elle explosera. Le régime Erdogan est une menace pour la France et les Français. Il faut réagir. J’ai pris un risque important en écrivant ce livre. Mais il faut appréhender la situation avec force et détermination mais également avec courage. C’est le courage politique qui doit prévaloir aujourd’hui et qui doit diriger les décisions du gouvernement français. J’ai mis le cas Erdogan sur la table. Personne ne pourra dire qu’on ne savait pas.
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