ATLANTICO
L’année 2022 qui s’achève a mis un terme à l’organisation du monde qui avait été définie après la chute du mur de Berlin. L’année 2023 devra inventer un nouvel équilibre et sortir les gouvernements des contradictions dans lesquelles ils sont tombés.
Jean-Marc SylvestreAJOUTER AU CLASSEURLECTURE ZEN
La guerre en Ukraine va obliger les démocraties libérales à accepter un nouvel ordre mondial
avec Jean-Marc Sylvestre ATLANTICO 26 décembre 2022
L’année 2022 aura au moins un mérite. Celui d’avoir révélé au monde entier que son organisation conçue après la deuxième guerre mondiale, puis à la fin de la guerre froide après l’effondrement du mur de Berlin, n’a pas réussi à maintenir la paix.
Le monde entier s’est trompé parce qu’il s’est illusionné sur la capacité du système défini par la Charte des Nations unies, puis par l’OMC, à garantir un équilibre de longue durée.
A la fin du 20e siècle, les grandes démocraties libérales pensaient que l’économie de marché et les principes du capitalisme mondial pourraient s’imposer à la planète toute entière et diffuser les principes de libertés individuelles comme valeurs universellesdans les principales organisations et gouvernances. Les grandes démocraties libérales se sont trompées face à deux paradoxes.
D’un côté, le développement économique n’a pas permis de diffuser les principes de liberté dans des pays qui s’inscrivaient dans une autre culture que la culture occidentale. Ils ont pris l’argent du libre échange, mais pas les responsabilités que cet argent supposait. Les pays comme la Russie et la Chine sont restés fidèles à des organisations très autoritaires et centralisées, en résistant à la tentation de libéraliser leur fonctionnement interne quitte à freiner la diffusion des effets de la prospérité économique.
Le premier paradoxe est que les pays autoritaires (comme la Russie ou la Chine) ont compris la nécessité de proposer à leur peuple une prospérité économique, sans pour autant assumer les changements de mode de vie que ça impliquait. Plus grave, beaucoup de pays émergents en Afrique, en Asie, en Amérique du Sud considèrent encore les dirigeants de la Russie ou de la Chine avec empathie.
D’un autre coté et c’est le deuxième paradoxe, les grandes démocraties libérales ont été fragilisées par les effets de la concurrence internationale à l’extérieur et par le creusement des inégalités à l’intérieur qui ont alimenté des populismes.
Le paradoxe, c’est que la Russie et la Chine espéraient que ces fragilités leur soient fatales, en réalité, ces difficultés ont fabriqué des solidarités nouvelles. L’Otan, qui était selon l’expression du président Français en état de mort cérébrale, s’est renforcée autour des États Unis. Et l’Union européenne, qui était minée par les courants identitaires et le poids d’une bureaucratie inefficace s’est redressée autour de ses principes fondateurs, à savoir la défense de ses valeurs des libertés individuelles et de respect des frontières.
La guerre en Ukraine a donc réveillé les grandes démocraties libérales pour défendre par tous les moyens ce qu’elles avaient de plus chères : la liberté.
A la surprise de beaucoup d’analystes et de gouvernants, les grandes démocraties se sont mises d’accord très rapidement pour fournir des armes et surtout pour freiner les flux financiers à destination des pays autoritaires et même bloquer l’envoi des produits hautement technologiques dont ils avaient besoin. Les efforts demandés aux démocrates ont été pour l’instant acceptés
Les sanctions économiques auxquelles personne ne croyaient ont été déterminantes pour obliger la Russie et la Chine à réfléchir aux types d’actions à mener. La Russie, par exemple, comptait sur l’appui des Chinois, mais elle s’est trompée, ce qui va l’empêcher de réussir son opération spéciale en Ukraine.
Le gouvernement de Pékin a visiblement renoncé à constituer un bloc de pays pour s’attaquer aux pays occidentaux. Pékin, plus que Moscou, ne veut pas prendre le risque de sanctions économiques et financières. Pékin, plus que Moscou, a besoin non seulement des marchés occidentaux mais surtout Pékin a besoin d’un accès à des innovations technologiques. La pandémie de Covid a mis la gouvernance chinoise dans l’impossibilité de se défendre. La Chine n’avait ni le savoir, ni les vaccins qui lui auraient évité cette paralysie du pays en appliquant la thérapie du confinement. La leçon lui a couté très cher.
Pékin a compris qu’elle ne deviendrait jamais la première puissance mondiale si elle ne devenait pas une grande puissance économique. Et elle ne pourrait pas le devenir si elle ne possédait pas les processus innovants.
Le paradoxe des paradoxes dans l’histoire de 2022 est sans doute que l’Amérique a pu se garantir quelques vingt années pendant lesquelles les Etats-Unis resteront la première puissance mondiale. Les Etats-Unis ont la technologie, les moyens de produire de l’innovation et l’ambition de se doter aujourd’hui d’un nouvel appareil industriel. L’Europe, elle, n’a pas encore intégré ce changement de paradigme.
Il faudra donc bien en 2023 que les grandes nations remettent à jour la Charte des nations unies autour de quelques grands principes qui doivent transcender les clivages idéologiques, culturels ou religieux. Si le monde entier a besoin de prospérité économique, il aura besoin de partager les innovations technologiques sans détruire les moyens qui permettraient de générer ces technologies , c’est-à-dire la concurrence, les formations et la liberté individuelle. Ça ne peut fonctionner que dans le respect des accords internationaux, des traités et des contrats.