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Entre la guerre en Ukraine, les réponses aux menaces impérialisme des Chinois et la prise en compte des dysfonctionnements qui alimentent les courants populistes, Joe Biden va sans doute réussir à sécuriser la suprématie américaine sur le monde.
Jean-Marc Sylvestre. ATLANTICO. 27 décembre 2022
L’Amérique s’est mise en capacité de rester la première puissance économique du monde pendant les 20 prochaines années
avec Jean-Marc Sylvestre
L’Amérique du Nord, qui est depuis plus d’un demi-siècle la première puissance économique et militaire du monde, le restera encore sans doute plus de 20 ans. Joe Biden, qui a pris la succession de Donald Trump, va réussir à mettre en place toutes les conditions et dégager tous les moyens pour installer les Etats-Unis pendant près d’une génération encore en position de puissance mondiale de premier plan.
D’abord, son rôle déterminant dans la guerre en Ukraine va en faire le vrai gagnant de ce conflit qui va accélérer l’évolution de l’organisation du monde. C’est un catalyseur de changement. Joe Biden n’a pas tremblé quand il s’est agi d’aider le peuple Ukrainien à se défendre contre l’agression des Russes et protéger son indépendance. C’est-à-dire son territoire, sa culture et surtout des valeurs de la démocratie libérale auquel l’occident est très attaché. Il a donc conforté son leadership sur l’Otan renforcée et entend bien participer à la redistribution des cartes qui suivront l’après-guerre d’Ukraine.
Le président américain a d’autant moins hésité qu’il ne faisait prendre aucun risque à sa population (le théâtre des hostilités est européen) et ses services de renseignement ont très vite diagnostiqué la fragilité du système Poutinien, sa pauvreté économique, son modèle d’économie de rente dont le produit dépend essentiellement de ses clients, et en plus une population misérable, délaissée par une élite oligarchique dont la richesse n’avait pas de légitimité.
Le pouvoir de Poutine n’est encore aujourd’hui protégé que par une organisation policière, et n’a rien d’autre à offrir à sa population que la promesse de retrouver la grandeur de l’empire russe. Dans le monde d’aujourd’hui façonné par les technologies de la communication, le retour au prestige d’antan est totalement illusoire.
Le président américain savait que la guerre était perdue d’avance pour la Russie et qu’en faisant cette guerre de cette manière, Vladimir Poutine va mettre toute une génération en dehors du monde. La Russie va mettre plus de 25 ans à se reconstruire et revenir dans le jeu international.
Le président américain a aussi compris très tôt que la Chine ne viendrait pas prêter main forte aux Russes. Si l’ambition du président Xi Jinping était de hisser la Chine au premier rang des puissances mondiales dans les 15 prochaines années, toutes les analyses économiques et politiques disponibles à Washington démontrent que la promesse ne pourrait pas être tenue. D’abord parce que la Chine n’avait ni l’appareil de production, ni la technologie nécessaire. Ensuite, parce qu’il était évident qu’il ne pouvait pas gérer à la fois le développement économique et son indépendance dans la mesure où il avait besoin des marchés étrangers. Pas question de s’engager dans une guerre avec les américains et prendre le risque de perdre les marchés occidentaux. Il en a trop besoin pour donner du travail à plus d’un milliard de Chinois.
Enfin, il lui faudrait instamment libéraliser son organisation pour que ça marche, c’est-à-dire tolérer de la concurrence interne et de la liberté individuelle, moyennant quoi son pouvoir était menacé. La seule vraie préoccupation du président chinois restera à gérer plusieurs milliards d’êtres humains sans se faire déborder.
Si la Russie est « out » et si la Chine est tenue de gérer ses Chinois, l’Amérique a profité des évènements pour mettre en place les moyens de protéger son indépendance. Avec une énergie abondante et des aides fiscales colossales à l’industrialisation, les Etats-Unis vont se repositionner sur l’économie réelle en récupérant des appareils de production qui avaient été délocalisés. Sans pour autant abandonner la recherche et la quête d’innovation à d’autres.
Avec une telle fonction de production, l’Amérique va vider de son contenu revendicatif tout ce qui avait alimenté les courants populistes chers à Donald Trump.
Le grand perdant dans cette partie de Monopoly qui va se jouer dans les 10 ou 20 prochaines années, c’est évidemment l’Europe. L’Europe va sans doute sortir son industrie des zones à risques comme la Russie et ses satellites et surtout de Chine, pour des raisons de morale politique et de compétitivité, mais pour les mêmes raisons, l’Europe aura presque intérêt à investir aux USA, où l’énergie est moins chère, où la technologie est abordable et en avance et où les normes environnementales seront sans doute moins rigoureuses.
Cette nouvelle répartition des forces mettra plus de 20 ans à s’installer, le temps d’une génération nouvelle qui apparaitra en Russie et en Chine avec sans doute, une autre culture et d’autres ambitions que celles de leurs ainés.
Le pari de l’Amérique sera qu’à ce moment-là, les systèmes fondés sur les démocraties libérales seront indispensables pour générer une prospérité économique avec des élites qui seront convaincues que les systèmes de gouvernance appuyés sur des contre-pouvoirs seront plus à même de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique.