« Rien n’est plus faux que d’admettre les racines gréco-latines de l’Europe » : l’Histoire antique selon France Inter

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Arnaud Florac 26 janvier 2023.

 

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Rien n’arrête Radio France. Tout se passe décidément comme si ces gens avaient un agenda idéologique. Ce serait incroyable, et même complotiste peut-être… Allons donc ! Cette fois, ce n’est pas France Culture, déjà remarquée cette semaine pour son reportage sur les censeurs de livres, qui sort du lot. C’est l’incontournable, l’inénarrable France Inter, qui a sorti le 17 janvier une émission qui, malheureusement, n’a pas connu le bouche-à-oreille qu’elle aurait mérité. Que cette injustice soit ici réparée : partons à la rencontre de Florence Dupont, chercheuse ou chercheure ou chercheresse, qui a des idées assez arrêtées sur la nécessaire déconstruction de la prétendue identité gréco-latine de l’Europe.

Associée à l’historien Patrick Boucheron, bien connu pour son léger biais idéologique, Florence Dupont, qui a par ailleurs publié le livre Rome, la ville sans origine, s’attaque aux mythes fondateurs de Rome.

Énée le Troyen n’aurait pas, contrairement à ce que raconte Virgile dans l’Énéide, fondé la ville. Et Romulus n’aurait pas tracé de sillon le long du Tibre après avoir tué Remus : au contraire, la ville primitive aurait été une monarchie composée de villages d’origine étrusque. Ca alors ! Et si ces histoires étaient… des légendes ? En latin, legenda veut dire « ce qui doit être lu ». Une légende est donc une version officielle des choses, une histoire mythifiée, et ce, d’une manière totalement assumée. Patrick Boucheron a, paradoxalement, bien identifié la valeur symbolique de la légende, puisqu’il fait d’Énée le symbole d’une ville dans laquelle tout le monde vient d’ailleurs. Énée, le migrant primordial. Pas mal. Mais ce n’est pas fini.

L’identité gréco-latine, nous apprend Florence Dupont, qui poursuit son raisonnement, n’est pas spécifiquement occidentale : Rome s’est en effet étendue sur toute la Méditerranée et sa culture a servi de base à d’autres civilisations, non occidentales, qui, elles, ne s’en sont pas servies « comme nous », c’est-à-dire « à des fins idéologiques ». Enfin, assène notre chercheuse, pour cette raison, la civilisation romaine n’est pas strictement occidentale. Dans les dents, les fachos !

Bon. Voyons cela. Le dernier argument, le plus bête, revient à dire que quand on met des McDo dans le désert, on arabise la civilisation américaine. C’est évidemment l’inverse qui s’est passé pour l’Empire romain. Rome était une machine à romaniser. La légion romaine, par exemple, rendait ses soldats, quelle que soit leur origine, plus romains que s’ils fussent nés dans le Latium. Certains empereurs venus de la légion, militaires d’élite de l’empire finissant, comme Septime Sévère par exemple, étaient tout sauf latins. Rome débarquait avec ses monuments, sa mythologie, ses lois, ses mœurs. C’était une culture venue du Latium, et qui s’imprimait avec force sur les peuples conquis, comme les Gaulois, qui deviendront des Gallo-Romains.

Rome était un agglomérat de villages étrusques, dit encore Florence Dupont. Certes. Mais les Romains, depuis le (peut-être mythique, lui aussi) suicide de Lucrèce, et depuis la fin de la monarchie des Tarquins, se sont construit contre les Étrusques. Florence Dupont dit en revanche que les Romains se sont inspirés de la culture grecque « pour mieux s’en différencier ». On pourrait plutôt dire qu’ils ont adapté la mythologie grecque et la culture athénienne à leur propre cadre, et que le recrutement par les grandes familles patriciennes d’esclaves cultivés, les graeculi, avait pour but de s’approprier le raffinement culturel et le savoir grecs, non de s’en différencier.

Pour finir sur l’identité romaine, c’est justement quand Rome commença d’être « tolérante », pour le dire avec notre vocabulaire, c’est-à-dire au moment des « régularisations massives » de l’édit de Caracalla, en 212, que son prestige décrut. Si tous les habitants de l’Empire pouvaient devenir automatiquement citoyens romains, la citoyenneté romaine n’avait plus rien de prestigieux ni d’enviable. C’est également à ce moment que Rome délégua la garde de sa frontière à des barbares, préparant l’écroulement de 476.

Être romain, c’est donc s’appuyer sur des mythes communs, pour que, d’où que l’on vienne, on défende la ville sacrée et les moeurs des anciens, celles du mos majorum. C’est être assimilationniste.

À l’inverse, si l’historienne de choc passe rapidement sur la question de la Grèce, c’est peut-être qu’elle sait qu’elle ne pourra pas faire de la Grèce, même en tordant très fort l’Histoire, une terre d’accueil des migrants. Chaque cité-État combat les autres, mais il y a une solidarité du monde grec, au-delà duquel on trouve les « barbares », c’est-à-dire ceux dont la langue est incompréhensible (barbaros étant une onomatopée pour imiter la langue des étrangers). Ceux qui ne sont pas de sang athénien ou spartiate ne peuvent participer à la vie politique de leurs cités respectives. Le fait d’être un individu qui a « changé de maison » se traduit, dans l’Athènes classique, par le mot « métèque », qui a connu une tout autre fortune par la suite. Et Aristote, au livre V de la Politique, ne va pas non plus dans le sens de l’inclusion de toutes et tous : « Une cité ne naît pas de n’importe quelle foule. C’est pourquoi les États qui ont admis des étrangers comme cofondateurs, ou ensuite comme colons, ont, pour la plupart, connu des séditions. »

Les Grecs sont donc essentialistes. Et leur culture et leurs travaux, s’ils ont en effet été conservés par la suite par d’autres civilisations (et encore : relire Aristote au mont Saint-Michel), n’ont pas été réinterprétés et n’ont pas été à la base de l’instruction des enfants pendant des siècles, ailleurs qu’en Occident.

Allez, merci Florence, merci Patrick, merci nos impôts. Plus personne n’apprend le latin ni le grec, mais il fallait encore « déconstruire » ça. La France, comme l’Europe, est de religion pagano-chrétienne et de culture gréco-latine, par toutes les fibres de son être. Les noms de lieux, les monuments, les traditions, les livres, les représentations picturales, les compositions musicales, les sculptures, les proportions, les légendes… Allez donc trouver aussi gréco-latin ailleurs….

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