Les services antiterroristes s’alarment du profil des dernières «revenantes» de Syrie…

Par Paule Gonzalès. LE FIGARO

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Le camp d’al-Hol, situé dans le nord-est de la Syrie et qui est dirigé par les Kurdes, le 26 août dernier, lors d’une opération de sécurité menée par les forces de sécurité kurdes. DELIL SOULEIMAN/AFP

DÉCRYPTAGE – Magistrats et enquêteurs soulignent l’extrême radicalité des dernières femmes rapatriées en France, dont les 15 rentrées cette semaine au côté de 32 enfants.

Des profils lourds et alarmants, résistant aux récurrentes tentatives d’euphémisation. «Il faut en finir avec la légende des femmes qui rentrent désormais des camps du nord-est de la Syrie et qui seraient des victimes de Daech ou du choix tardif de la France à les faire rentrer», soulignent sous couvert d’anonymat enquêteurs et magistrats de l’antiterrorisme.

Leur couperet est aiguisé, huilé d’informations précises: «Celles qui rentrent le font parce qu’elles n’en peuvent certes plus des conditions de vie dans les camps, qui sont extrêmement difficiles, et parce qu’elles ne voient pas comment continuer leur combat sur zone. Pour autant, elles demeurent profondément ancrées dans leur radicalité terroriste et islamiste. Ce sont de hauts profils: principalement, désormais, les épouses d’hommes ayant eu des responsabilités au sein de l’État islamique. Pour certaines, pionnières de l’État islamique, elles ont contribué activement à le forger et à le défendre jusqu’au bout. Ce sont celles qui ne se sont pas rendues, même lors de la bataille de Baghouz, prêtes à combattre jusqu’à la mort, quitte à voir leurs enfants mourir alors qu’elles avaient la possibilité d’être exfiltrées

Vétérans de la première heure

C’est cette évolution des profils que soulignent les spécialistes de l’antiterrorisme, entre les premières vagues de rapatriement des returnees et les deux dernières: celle du 20 octobre 2022 et celle de cette semaine, qui a ramené 32 enfants et 15 femmes, âgées de 19 à 56 ans, sur le sol français. Tous insistent aussi sur le fait que le temps des retours volontaires est quasiment épuisé. Beaucoup de djihadistes ont déjà fait savoir, notamment à leur famille, qu’ils ne voulaient pas rentrer.

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Le temps est révolu des jeunes femmes un peu perdues, radicalisées en mode express sur internet et rentrées désenchantées – soit par leurs propres moyens soit par le protocole Cazeneuve, à l’orée des années 2016 et 2017, soit à l’occasion des premiers rapatriements des camps. La France a désormais affaire à des femmes endurcies, vétérans de la première heure, avec une personnalité et un tempérament qui impressionnent les enquêteurs. Des femmes constantes dans leur engagement, parties très tôt – dès les années 2013 et 2014 – restées très longtemps sur zone. Elles y ont joué un rôle structurant, pour construire l’État islamique, l’administrer, puis le prolonger dans les camps après 2019 en y instaurant une politique de terreur absolue.

Loin de se contenter d’adhérer au projet nataliste de Daech, elles ont été motrices dans le maintien de l’idéologie, surtout auprès des hommes quand ces derniers pouvaient flancher, ainsi que dans le recrutement. Leur rôle s’est aussi densifié après l’appel de l’État islamique aux femmes, en 2017. Les enquêteurs le savent, certaines ont non seulement été membres de la police islamiste mais se sont aussi entraînées au maniement des armes et ont constitué des groupes de combattantes. «On ne compte plus les dossiers où figurent ces combattantes posant avec kalachnikov et bébés dans les bras.» Enfin, certaines ont commis des actes de torture, voire pire, sur leurs esclaves domestiques. Elles ont également joué un rôle extrêmement actif dans l’éducation des «lionceaux du califat» et dans leur endoctrinement, «très précoce, par le visionnage de vidéos notamment».

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Quant aux camps du nord-est de la Syrie, ils sont administrés par des femmes qui y maintiennent l’ordre islamiste, quitte à agresser ou incendier les tentes de celles qui perdraient leurs engagements. «Nous commençons à disposer de suffisamment de matériau pour reconstituer les parcours, les rôles et les exactions qu’elles ont pu commettre», poursuit cette source. À commencer par les preuves de guerre réunies par les Américains et les autorités kurdes. Désormais nombreuses à être incarcérées dans les prisons françaises, les revenantes elles-mêmes parlent beaucoup des unes et des autres aux enquêteurs. Enfin, les témoignages des familles laissent souvent entrevoir, à travers les messages échangés, l’absence de repentir.

La question de leur suivi à l’extérieur

Les mineurs qui rentrent aujourd’hui en France inquiètent eux aussi, plus que par le passé, les autorités françaises. En 2019, la politique de la France était le rapatriement de ceux en très bas âge. Aujourd’hui, par la force des choses, les mineurs rapatriés sont plus fréquemment des adolescents et préadolescents, donc marqués par la vie au temps de Daech puis par les camps qui les ont exposés à la violence et à la radicalité islamiste. Sur la dernière vague de rapatriés, trois ont plus de 13 ans. Il en était de même pour les vagues précédentes, avec à chaque fois le risque plus élevé qu’ils soient déjà entraînés au combat. Si un seul de ces enfants a été judiciarisé au pénal, le parquet national antiterroriste, qui centralise le suivi des mineurs, porte une extrême attention à ce dossier.

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Tous ces constats posent la question de la prise en charge de ces femmes returnees, jugées mensuellement depuis cinq à six ans en correctionnelle ou aux assises à Paris. Contrairement aux premières années de retour, durant lesquelles les femmes étaient rarement judiciarisées, elles le sont désormais systématiquement – quatre autres femmes ont été mises en examen vendredi – ainsi qu’incarcérées dans les établissements d’Île-de-France – Réau, Fresnes et Fleury-Mérogis -, de Lille et de Rennes. Or il n’existe à ce jour aucun quartier dédié – comme c’est le cas pour les hommes -, seulement des «ailes réservées» ainsi qu’un quartier de prévention de la radicalisation d’une quinzaine de places, à Rennes, et un premier quartier d’évaluation de la radicalisation à Fresnes.

Selon les profils, certaines peuvent aussi être placées à l’isolement ou en détention classique. La légèreté de ce dispositif a obligé l’Administration pénitentiaire à créer des binômes mobiles d’évaluation: ils se déplacent afin d’évaluer in situ les détenues. «Forcément, c’est beaucoup moins efficace que 16 semaines d’observation, mais ces quartiers et ces évaluations sont avant tout des outils de gestion de la détention. Cela influe peu sur le fond des dossiers que travaillent les magistrats», souligne ce fin observateur de la lutte antiterroriste. Mais reste entière la question du suivi de ces femmes à l’extérieur. Pour l’heure, aucune n’a refait parler d’elle.

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De quoi appuyer les arguments des avocats spécialisés qui se battent pour leur retour et dénoncent l’impéritie de l’État et l’hypocrisie des politiques ces dernières années. «Le traitement du rapatriement par la France lui a fait perdre son magistère moral et éthique», soutient MeEmmanuel Daoud, le premier à mettre en usage les conséquences de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), en septembre dernier, pour ses procédures «arbitraires». «Nous sommes devant le Conseil d’État puisque le pouvoir exécutif refuse de répondre à nos demandes de rapatriement de la petite-fille de la famille Bruno».

Cette jeune femme fait partie des très nombreux cas de filles qui ont été emmenées mineures par leurs parents dans la zone irako-syrienne, et qui ne sauraient être assimilées à celles parties de leur propre chef avec leurs enfants. «La France n’a récemment changé de politique que sous la pression de la justice internationale – en l’occurrence celle de l’Europe -, et sous la pression du Comité contre la torture placé sous l’égide des Nations unies, insiste M Daoud. Les gouvernements successifs ont joué la montre contre l’évidence des rapatriements pour aboutir à la situation catastrophique des familles et des enfants durant des annéesAucun des autres pays européens concernés n’a eu un tel comportement». Réplique des spécialistes de la lutte antiterroriste: «Aucun autre pays européen n’a eu autant de départs de djihadistes pour la Syrie

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