Par Aziliz Le Corre LE FIGARO
Publié le 27/01/2023
Écouter cet article
00:00/06:22
Thibault de Montbrial. JEAN LUC BERTINI/Le Figaro Magazine
ENTRETIEN – Le rapatriement des femmes et des enfants français partis combattre pour l’État islamique expose l’Hexagone à un risque d’action violente, estime l’avocat.
Thibault de Montbrial est avocat et président du Centre de réflexion sur la sécurité intérieure.
Dieu seul le saitNewsletter
Le dimanche
Religions, laïcité, spiritualité, à retrouver dans la lettre de Jean-Marie Guénois.S’INSCRIRE
LE FIGARO. – Quels problèmes de sécurité pose le rapatriement des 15 femmes et 32 enfants détenus jusqu’alors dans les camps de prisonniers djihadistes au nord-est de la Syrie?
Thibault de MONTBRIAL. – Ces rapatriements exposent notre pays à une double difficulté. Il y a d’abord un enjeu direct de sécurité, puisqu’il est établi que la majorité des femmes ayant rejoint Daech étaient déterminées, souvent plus encore que les hommes eux-mêmes, et ce, qu’elles aient ou non participé à des actes de violence. Leur retour en France expose donc tôt ou tard l’ensemble de nos citoyens à un risque d’action violente commis par l’une ou l’autre d’entre elles. Ensuite, le retour de ces femmes renforce encore le risque idéologique que constitue le prosélytisme islamiste. Une forme de prestige auréole en effet ceux qui sont partis rejoindre l’État islamique auprès d’une fraction heureusement minoritaire, mais néanmoins réelle, de la communauté musulmane.
En France comme en Europe, si le terrorisme islamiste a pour l’instant reflué en intensité avec l’effondrement de l’État islamique, l’idéologie islamiste ne cesse, elle, de progresserThibault de Montbrial
Pour ce qui est des enfants, le rapatriement reste un pari. Il faut incidemment souligner que, auprès des organismes d’aide à l’enfance, leurs dossiers sont prioritaires par rapport à des familles qui, pour certaines, attendent depuis longtemps, ce qui génère parfois de fortes incompréhensions. Sur le fond, quand on interroge les professionnels chargés de leur suivi, on comprend qu’il existe peu de certitudes sur leur devenir. Des propos tenus et des actes mimés préoccupants sont régulièrement observés. Le risque que tel ou tel enfant passe à l’acte de façon violente, parce qu’il est radicalisé ou qu’il est psychologiquement traumatisé par l’expérience personnelle vécue en Syrie, est une source d’inquiétude, par nature inquantifiable, mais bien réelle.
Quelle obligation morale la France a-t-elle envers des Françaises parties combattre pour l’État islamique?
Ma position est claire. D’un point de vue moral, la seule obligation de la République française est de protéger ses concitoyens. Il n’y a aucune raison morale de rapatrier des femmes parties activement soutenir, et parfois combattre, au nom d’une idéologie qui a pour objectif avéré et assumé la destruction de notre civilisation et des valeurs portées par notre démocratie. Par pragmatisme, je pense que le rapatriement de ces femmes n’est pas une bonne idée. Je suis conforté par mes échanges réguliers avec les professionnels de la sécurité et du renseignement, qui sont pour la plupart assez réservés.
À lire aussiLes combattants français djihadistes ne rendent pas les armes
Malgré l’augmentation significative des moyens humains et matériels de nos services de renseignement depuis 2017, et en dépit du dévouement de leurs agents, le nombre élevé de «cibles» islamistes à surveiller sur notre territoire pose des difficultés concrètes. Qui augmentent évidemment lorsqu’on rajoute des personnes à prendre en compte et, comme c’est le cas en l’espèce, avec une attention suivie. Après avoir adopté de façon plutôt sage une politique d’évaluation au cas par cas jusqu’à l’été dernier, la France a finalement cédé à l’activisme d’associations et d’avocats, ainsi que d’organisations internationales à la légitimité discutable sur ces questions. Il s’agit d’un domaine de souveraineté absolue qui aurait dû continuer à être considéré et traité comme tel.
Les enfants doivent-ils toujours être considérés comme des victimes, comme l’a déclaré la présidente de l’Unicef?
La réalité est beaucoup plus compliquée. Dans le contexte chaotique de la dernière décennie syrio-irakienne, il est impossible d’assigner automatiquement un enfant à un statut. Chaque cas est différent, en fonction de l’âge et de la nature des traumatismes vécus. Le cas d’un préadolescent qui a reçu une formation au maniement des armes dans un contexte idéologique hyperagressif ne peut être comparé à celui d’un bébé né dans un camp en 2019. Il est impossible d’être aussi réducteur.
Est-il possible de les déradicaliser?
La «déradicalisation» est à la fois un enjeu crucial et un défi très compliqué. Pour les adultes, l’État français a mis en place des programmes d’accompagnement, à la fois en prison et en milieu ouvert. Les femmes rapatriées font, dans la majorité des cas, l’objet d’une prise en charge judiciaire, avec détention provisoire ou pas. Cette judiciarisation s’accompagne de programmes dits de «déradicalisation», dont l’objectif ambitieux consiste à déconstruire les raisons qui ont suscité l’adhésion à une vision rigoriste de l’islam sunnite, et ont nourri la décision de rejoindre l’État islamique.
À lire aussiDjihadistes français: l’Hexagone assure n’avoir pas changé de doctrine
Les enfants sont évidemment pris en compte dans des programmes similaires, avec les difficultés propres à la disparité des situations déjà évoquée ainsi qu’au fait qu’ils sont placés en milieu ouvert. De fait, en dépit des moyens considérables mis en place, à juste titre, par la France pour y parvenir, il y a assez peu de cas de réussite avérée. C’est pourquoi je mets des guillemets à l’expression de «déradicalisation». Quoi de plus difficile en effet que de déconstruire une idéologie politico-religieuse profondément ancrée chez un être humain, souvent exacerbée de surcroît par la charge émotionnelle considérable des expériences vécues? On en revient à la mère de toutes les batailles, c’est-à-dire à la lutte contre l’idéologie islamiste. Or le traitement des rapatriés de Syrie s’inscrit dans un contexte beaucoup plus global.
Et, en France comme en Europe, si le terrorisme islamiste a pour l’instant reflué en intensité avec l’effondrement de l’État islamique, l’idéologie islamiste ne cesse, elle, de progresser. Notre pays est par exemple soumis depuis plusieurs mois à une offensive marquée du prosélytisme fréro-salafiste en particulier, mais pas uniquement, dans l’univers de l’enseignement: écoles, collèges, lycées, post-bac et universités. Les promoteurs de l’islamisme jouent avec beaucoup d’habileté des failles de nos sociétés, des ambiguïtés de nombreux représentants du culte musulman, de la naïveté de beaucoup de relais d’opinion transformés en idiots utiles. Pour leur plus grand bénéfice, il flotte dans l’atmosphère une sorte de relativisme, qui est l’antichambre de la lâcheté. Cette ambiance générale n’est évidemment pas la plus propice à la «déradicalisation».
* Thibault de Montbrial a publié «Osons l’autorité» (L’Observatoire, 2020) et «Le Sursaut ou le chaos» (Plon, 2015).