Par Christophe Cornevin. LE FIGARO
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Des policiers sont mobilisés, à Paris, lors du deuxième jour de grève nationale contre la réforme des retraites, le 31 janvier. JULIEN DE ROSA/AFP
EXCLUSIF – 87% de nos concitoyens jugent que le conflit sur la réforme des retraites, jusqu’ici sans violences, peut dégénérer en heurts et en échauffourées.
Sur fond de faits divers sordides et de violence ordinaire suintant au coin des rues, les Français broient du noir et nourrissent même un sentiment pouvant parfois confiner à l’épouvante. Hantés par le spectre des attaques djihadistes, qui ont causé la mort de 271 personnes et fait près de 1200 blessés sur le territoire national depuis 2012, nos compatriotes sont en outre fouettés par le vent mauvais d’une révolte sociale qui ne faiblit pas depuis la jacquerie des «gilets jaunes». Au sortir d’une interminable pandémie, ils sont loin d’être sereins et le dernier baromètre «sécurité des Français» Fiducial/Odoxa pour Le Figaro révèle une édifiante radioscopie des peurs qui tenaillent la population en ce début d’année 2023.
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Actualité oblige, la crainte des violences dans les manifestations se hisse à un niveau inégalé dans l’échelle des inquiétudes qu’éprouvent les Français en matière de sécurité. Pas moins de 38% se disent préoccupés par ce sujet, soit à peine moins que la menace terroriste (39%). Plus qu’échaudés par les groupuscules de l’ultragauche et des casseurs radicalisés qui ne rêvent que de semer le chaos dans les cortèges, 87% de nos concitoyens jugent que le conflit sur la réforme des retraites, jusqu’ici plutôt calme, peut dégénérer en heurts et en échauffourées. Les incidents qui ont éclaté à Rennes et Nantes ont témoigné de ce péril.
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Si le projet d’allongement du départ de l’âge légal à 64 ans est considéré «comme le plus explosif», le baromètre relève que les Français appréhendent que d’autres ferments puissent embraser le pays. Ainsi, à leurs yeux, l’inflation (78%) et le prix de l’énergie (76%) pourraient, à terme, être à l’origine de nouveaux affrontements. À rebours de ce qu’énoncent les observateurs et les services spécialisés, c’est un peu moins le cas s’agissant de la suppression des aides sur le prix du carburant (50%) et presque anecdotique (29%) concernant la mise en place des pourtant très décriées zones à faibles émissions (ZFE). «Autre risque de débordement potentiel: la contestation des résultats d’une élection», relèvent les auteurs du baromètre qui, en filigrane, ont intégré le fort rejet que provoque Emmanuel Macron au sein d’une frange contestataire.
Après l’invasion du Capitole aux États-Unis, les soutiens de Jair Bolsonaro s’en sont récemment pris aux bâtiments publics brésiliens pour contester la victoire de Lula», rappellent en préambule les analystes, avant de souligner que «si cette information a fait la une de l’actualité, 44% des Français considèrent que ce risque n’est pas nul dans les cinq prochaines années dans l’Hexagone». À croire que les tentatives obsessionnelles des «gilets jaunes» de marcher sur le Palais de l’Élyséeont fini par percoler dans les esprits.
Insécurité du quotidien
Autre enseignement du baromètre: devant le tumulte des cortèges de grévistes et des gaz lacrymogènes qui risquent de monopoliser l’attention encore une partie de l’hiver, l’insécurité endurée au quotidien reste «la préoccupation majeure des Français pour les prochains mois». Près de la moitié des sondés (48%) redoutent en premier lieu les risques liés aux cambriolages, aux agressions et aux actes de délinquance qui pourrissent chaque jour la vie des administrés. Les tableaux de bord du ministère de l’Intérieur en attestent.
Ce mardi, les statisticiens de la place Beauvau ont mis en évidence que la quasi-totalité des voyants ont viré au rouge – parfois à l’écarlate – en 2022. Les coups et blessures volontaires hors du cadre familial (+ 14%) et les escroqueries (+ 8%) ont bondi nettement. Tout comme les vols par effraction dans les logements (+ 11%) ou encore les vols de véhicules (+ 9%), qui avaient fortement baissé pendant la crise sanitaire. En conséquence, près de six Français sur dix (56%) affirment se sentir souvent ou de temps en temps en insécurité. Cette fâcheuse impression serait accentuée par la décision de nombreuses villes d’éteindre l’éclairage public au nom de la sobriété énergétique: pour 69% des sondés, cette mesure génère un sentiment d’insécurité la nuit. Et cela ne semble pas près de s’arranger.
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Alors que le président de la République a promis en janvier 2022 de «doubler la présence policière sur la voie publique à horizon 2030 », la population ne voit pas assez de bleu dans la rue. «Les Français jugent majoritairement que la police et la gendarmerie ne sont pas suffisamment présentes, que ce soit dans le pays en général (54%), autour de chez eux (54%) ou encore dans les centres-villes (58%)», note le baromètre qui relève un gros point noir: «Ils sont particulièrement critiques lorsqu’il s’agit des quartiers difficiles: 83% estiment qu’elles ne sont pas suffisamment présentes dans ces quartiers, créant parfois le sentiment d’une désertion.»
Ce dernier vocable peut sembler fort, voire injuste pour les forces de l’ordre qui ont déployé des effectifs en nombre dans les quartiers dits de «reconquête républicaine». Il n’empêche! Imaginant pouvoir combler ce vide, des collectifs de voisins se sont formés çà et là, comme à Nantes pour patrouiller dans les rues ou encore à Marseille, pour occuper des halls d’immeubles, théâtres d’attroupements et de points de deal. Loin d’être choqués, nos compatriotes disent au contraire, à la quasi-unanimité (92%), comprendre ce type d’initiative. Ils sont près de six sur dix à juger que «c’est efficace pour maintenir l’ordre et la sécurité des habitants» et qu’ils seraient même prêts à «rejoindre ce genre d’action s’ils se sentaient concernés». S’ils ne souhaitent pas que ces «rondes citoyennes», qui pourraient s’apparenter à des milices, soient interdites (67%), une grande majorité (78%) d’entre eux craint néanmoins que «cela dégénère en poussant certains habitants à faire justice eux-mêmes ».
Projet de loi olympique
Si le baromètre esquisse le portrait d’une France tourmentée, la perspective d’accueillir la Coupe du monde de rugby en 2023 et les JO en 2024 n’est pas de nature à apaiser les esprits. L’opinion publique fait de plus en plus confiance à l’exécutif (+ 10% depuis juin 2022) pour organiser ces événements d’ampleur planétaire mais plus d’un Français sur deux (51%) doute encore de sa capacité à en garantir la sécurité. À dix-huit mois d’une cérémonie inaugurale XXL qui risque de virer au casse-tête sécuritaire, la Cour des comptes a exhorté, mi-novembre dernier, les organisateurs et l’État à changer de braquet pour être prêts au coup d’envoi de cet événement planétaire.
«Le plan global de sécurité (…) n’est pas à ce jour stabilisé, s’inquiètent les sages de la rue Cambon. Il est (…) impératif de rendre les décisions nécessaires et d’arrêter ce plan pour entrer en phase de planification opérationnelle.» Parmi les solutions technologiques liées à la sécurité des Jeux inscrite au cœur du projet de loi olympique adopté ce mardi par le Sénat, figure l’emploi expérimental des caméras «intelligentes»susceptibles de détecter en temps réel, par des algorithmes, des mouvements de foules. Leur déploiement dans et aux abords des stades frise le plébiscite (88% et 89%), tout comme dans les transports en commun (81%) et, dans une moindre mesure, sur la voie publique (74%).
Le recours aux scanners corporels, dispositif analogue à celui des portiques de sécurité que l’on voit dans les aéroports, est lui aussi considéré d’un œil plutôt bienveillant. Ainsi, le baromètre «sécurité des Français» Fiducial/Odoxa pour Le Figaro est formel: 84% des Français pensent que ces appareils de détection sont «plus efficaces qu’une palpation pour détecter des objets dangereux». Dans une proportion analogue (84%), nos concitoyens souhaitent même qu’ils puissent être «généralisés à l’entrée des enceintes accueillant du public (stades, salles de concert…) au-delà des Jeux olympiques».
«Recourir à l’armée»
Optimistes, les sondés se disent à 62% persuadés que les 25.000 agents de sécurité privés manquant encore à l’appel seront recrutés et formés à temps. «S’il fallait prendre des mesures spécifiques pour que la sécurité soit parfaitement assurée lors des Jeux, les Français pensent à 59% qu’il faudra en priorité recourir à l’armée pour qu’elle prenne en charge une partie de la sécurité.» Si nos soldats peuvent prêter main-forte aux opérations préventives de déminage et de lutte contre les drones malveillants, ils n’ont pas vocation à remplacer, fusils en bandoulière, les agents de sécurité manquants.
Interrogé dans la nuit de mardi à mercredi sur cette hypothèse qui circule largement en coulisses depuis plusieurs semaines au Sénat, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin a expliqué qu’il faudrait attendre «février ou mars» pour en savoir plus: «Si à la fin des fins, il manque un certain nombre de personnes, nous regarderons ce que nous pourrons faire. Mais nous pensons qu’un grand pays comme la France est capable de répondre à cet enjeu de sécurité privée», a-t-il assuré. Dans la dernière ligne droite, l’exécutif sait qu’il n’aura pas le droit à l’erreur. Le moindre accroc, sous le regard de 20.000 journalistes accrédités, se traduira sans nul doute par un effet de souffle calamiteux. Ce qui ne fera qu’accentuer le malaise qui règne dans la population.