
Comme d’habitude le Monde, organe central du parti des belles âmes dispense ses leçons de morale au bas peuple. C’est qu’elles s’inquiètent les belles âmes, et le quotidien vespéral entend relayer leurs angoisses. Dans un article du 23 janvier dernier intitulé « Les professionnels du droit inquiets de la montée d’un populisme judiciaire », le journal rapporte que ces professionnels « dénoncent un tribunal médiatique qui met en danger la présomption d’innocence ou le droit à un procès équitable ». Et on voit les professeurs de maintien à l’indignation sélective, toiser les couches populaires en faisant silence sur les dérives de la société marchande ou sur les délires liberticides de la gauche culturelle. Nous démontrant une fois de plus que la lutte des classes se niche partout.
Enfoncer des portes ouvertes
La belle affaire que ce constat qui consiste à doctement enfoncer des portes ouvertes. Parce que ce « populisme judiciaire » qui fait craindre que la foule prenne le pas sur la Justice est aussi vieux que la justice. La tentation de la loi de Lynch est toujours présente, ceux qui composent la meute, traitant ainsi l’angoisse que lui procure le crime et assouvissant la part anthropologique irréductible de la vengeance. La violence légitime dont l’État s’est attribué le monopole vise à la réparation par la punition du préjudice général fait à la collectivité par la transgression des règles communes. Mais aussi par la prise en charge de la protection des victimes, et la publicité donnée à l’acte de justice qui doit aussi dissuader les criminels. Tout ceci est bien joli, mais il ne faut pas oublier que la justice des Hommes est rendue par des Hommes et qu’elle est par conséquent souvent insatisfaisante.
Ce petit préalable « théorique » étant fait, que nous raconte l’article ? On nous offre une description du « populisme judiciaire» qui ne pointe finalement que dans une direction, celle de l’insatisfaction qui s’exprime dans les couches populaires face à la montée d’une délinquance de plus en plus violente. Et à ces vilaines couches populaires, laborieuses et par conséquent dangereuses, premières confrontées à cette montée de l’insécurité, les belles âmes vont faire la leçon. Avec évidemment de très bons arguments concernant le nécessaire respect des principes fondamentaux qui organisent la répression pénale. Mais aussi une mauvaise foi assez impressionnante.
Le « laxisme » judiciaire est une réalité
Première remarque : Le Monde tord rapidement le cou à la thèse du « laxisme » de la justice. Mais son argumentation est limitée à l’appréciation du quantum des peines, et oublie tout d’abord le caractère sélectif des procédures. On a appris en novembre 2022 que le ministère de la Justice avait produit une circulaire pour les parquets leur demandant un déstockage de leurs procédures, c’est-à-dire de multiplier les classements sans suite. Ce qui aboutit à l’abandon du traitement de près de 2 millions d’infractions avec auteurs connus par an !
L’origine de cette décision est bien évidemment la scandaleuse pauvreté du service public de la Justice, à laquelle les rodomontades d’Éric Dupond-Moretti ne mettront jamais fin. C’est également cette pauvreté qui fait que l’application des décisions rendues, quand elles le sont, sont très souvent inexécutées. Il y a aussi, mais cela relève presque du tabou, une préférence idéologique pour les populations immigrées, fait dont quiconque a l’expérience de la pratique judiciaire peut témoigner. La sociologie et les conditions de la formation du corps des magistrats l’expliquent. La lecture des textes produits par les deux principales organisations syndicales le démontre. Les condamnations des 3000 Gilets jaunes au casier vierge à des peines de prison ferme en sont un exemple éloquent. Les mêmes belles âmes qui pointent la montée de cet horrible « populisme judiciaire », n’ont pas eu d’état d’âme à appeler bruyamment à une répression féroce contre ce mouvement, certains allant même jusqu’à réclamer l’intervention de l’armée.
Ensuite, comme l’article du Monde le reconnaît d’ailleurs, ce rapport particulier à la justice, celui qui réclame la sévérité, voire l’abandon des règles, n’est absolument pas quelque chose de nouveau. Comme les tentations de l’autodéfense, ce phénomène est toujours présent.
Quiconque a un peu de mémoire se rappelle l’existence de l’association « Légitime défense », les manifestations devant les palais de justice dans les dossiers criminels les plus spectaculaires et les débats sans fin qui traversaient l’opinion. Au début des années 80, une Cour d’assises avait acquitté un agriculteur qui avait installé dans un de ses bâtiments et après douze cambriolages impunis un transistor piégé, entraînant la mort d’un des cambrioleurs. Au grand scandale des belles âmes de l’époque, Georges Marchais, alors patron du grand parti ouvrier qu’était le PCF, avait trouvé la décision justifiée.
La justice dans la société numérique
Cela étant, aujourd’hui, la nouveauté réside dans le traitement des faits divers par le système médiatique de la société numérique. Il y a bien sûr les réseaux que les élites vont pointer en ce qu’elles charrient incontestablement de pire. En oubliant d’ailleurs, bien sûr, le formidable outil de ré-information qu’elles assurent contre la doxa de ces élites. Les lynchages numériques sont une réalité, mais le problème c’est que comme pour les célèbres chasseurs des Inconnus, il y a les bons lynchages et les mauvais lynchages.
Alors, il y a aussi les chaînes de télé-poubelle, les chaînes d’information continue, mais également les grands réseaux hertziens : tous se précipitent sur des faits divers qui constituent pour eux une marchandise dont on peut viser l’exploitation avec de nouveaux moyens. La presse papier a toujours eu des pages consacrées au faits-divers et il existait même des magazines exclusivement destinés à leur traitement. La télévision a tout changé en les incorporant à la sphère médiatique où l’image règne en maîtresse et où triomphe l’immédiateté. Évidemment, les émissions de Cyril Hanouna sont particulièrement délétères dès lors qu’elles s’emparent instantanément des tragédies et s’érigent en un tribunal où règnent l’ignorance et la bêtise, protégées par le bouclier de la soi-disant « vox populi, vox dei ».
Mais les chaînes d’information ne sont pas en reste. On ne prendra que l’exemple de l’affaire « Daval », ce mari qui avait prétendu que son épouse avait disparu, avant d’en avouer le meurtre. Sans grande réaction de la part de la magistrature, l’instruction s’est faite à l’envi dans les médias. L’audience quant à elle s’est transformée en véritable foire en temps réel dans la sphère médiatique, défense et partie civile venant s’exprimer devant les caméras avant de le faire dans le prétoire, les journalistes s’érigeant alors en juges, certaines chaînes consacrant à l’affaire des soirées entières au sujet alors même que les débats – qui sont essentiels dans une affaire d’assises – étaient en cours dans le prétoire.
Le CSA est resté muet, les belles âmes fort discrètes, alors qu’il y avait là plus que de simples pressions sur le déroulement d’une procédure. Le problème, c’est bien que ce dévoiement trouve son origine dans le traitement par les grands médias, propriété pour la plupart de fortunes elles aussi grandes, de ce qui constitue pour eux une marchandise. Vincent Bolloré couvre Cyril Hanouna d’or, non parce qu’il est d’accord avec les idées que celui-ci véhicule, mais parce que cela lui rapporte de l’argent. Et c’est pareil pour Drahi, ou pour Bouygues, ou pour Niel, et les autres de suivre en s’alignant dans une saine concurrence…
Le bon « populisme judiciaire » selon Le Monde
Il y a donc le mauvais « populisme judiciaire » : celui des couches populaires qui veulent plus de sévérité pour ce qui leur pourrit la vie et leur fait peur. Et il y a le « bon ». Plutôt « les bons » d’ailleurs. Concernant celui du système médiatique que nous venons de pointer, les critiques des belles âmes relayées par Le Monde sont très mesurées et se limitent à quelques leçons de morale dès lors que les excès deviennent trop évidents, comme lors du traitement de l’affaire de la petite « Lola » par Hanouna, à heure de grande écoute.
Il y a un autre « populisme judiciaire » : celui pratiqué par les élites et la petite bourgeoisie qui les sert. Aucune remarque lorsque se déchaînent des lynchages médiatiques contre tel ou tel politique, artiste, journaliste, ou écrivain. Une accusation, parfois fantaisiste, de harcèlement sexuel, de tentative de viol, de violences conjugales, de racisme ou d’homophobie valent passeports pour l’enfer médiatique et social. La présomption d’innocence ? La charge de la preuve ? Le débat contradictoire ? Mais que veulent dire ces mots ? Ils ne font pas partie du vocabulaire des militants des « luttes intersectionnelles » que Le Monderegarde avec tendresse, et dont il relaie la moindre saillie. On ne prendra à ce titre que l’exemple de l’ex-ministre macronien Damien Abad, cloué au pilori et à la carrière brisée, alors qu’il n’est même pas pénalement poursuivi. Et il y en a tant d’autres.
Hélas, non seulement les professeurs de maintien ne disent rien, mais en général ils relaient les accusations et acceptent le piétinement des principes. On pense aussi à Assa Traoré, insultant à peu près quotidiennement l’institution judiciaire et bénéficiant pour cela de la complaisance non seulement des médias qui la reçoivent à tout propos, mais également de nos dirigeants. On se souviendra de l’exemple calamiteux de l’ancien ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, proposant l’agenouillement des policiers dans la cour de la préfecture pour faire plaisir à la militante.
Un télescopage d’actualités récentes illustre l’ampleur du mal provoqué par ce populisme-là. Il s’est déroulé le 15 décembre dernier à l’occasion d’une manifestation de féministes contre Adrien Quatennens. Les militantes brandissaient la fameuse pancarte « on vous croit » exprimant le principe que la parole de la femme est irréfragable. Et que ce que la plaignante affirme n’a pas à être établi par la preuve. Cette hérésie se fracassait pourtant ce jour-là sur une décision de la Cour de cassation annulant, vingt-quatre ans après, la condamnation pour viol de Farid El Haïry. Celui-ci a effectué quatre ans de prison et a vu sa vie brisée à la suite d’une déclaration d’une soi-disant victime qui a reconnu dix-neuf ans après les faits avoir menti. Aucun média n’a relevé cette énorme contradiction, et la couverture de la décision de la Cour de cassation fut bien discrète. Farid El Haïry, reçu sur un plateau, s’entendit même demander par la journaliste s’il avait remercié son accusatrice d’être revenue sur ses accusations lui permettant ainsi de retrouver son honneur !
Soyons clair, il ne s’agit pas de nier l’existence d’un phénomène ancien propre à nos sociétés et de faire le constat des formes nouvelles qu’il prend avec l’avènement du numérique et le développement de l’audiovisuel. Mais encore faut-il en prendre réellement la mesure, et surtout doter la justice des moyens de remplir efficacement sa mission.
Nous sommes très loin du compte.