Par Luc Lenoir. LE FIGARO
3 février 2023
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En 2020, 8 % des peines d’emprisonnement restaient inappliquées, cinq ans après leur prononcé, soit théoriquement environ 10.000 peines chaque année. Adobe Stock
EXCLUSIF – Dans un rapport que Le Figaro a pu consulter, l’Institut pour la Justice quantifie le recours aux aménagements de peines. Et dénonce le vocabulaire trompeur du discours officiel sur l’exécution des peines.
C’est le triomphe d’un oxymore contemporain : celui de la «prison en milieu ouvert». Selon une étude de l’Institut pour la Justice, transmise en exclusivité au Figaro, l’industrialisation des aménagements de peine de prison ferme atteint des niveaux inédits, suscitant l’incompréhension d’une société en recherche de fermeté judiciaire.
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À partir des chiffres des condamnations et des incarcérations de 2016 à 2020 issus du ministère de la Justice, l’association conservatrice a abouti à un chiffre clé : seulement 59 % des condamnés à une peine de prison ferme mettraient réellement les pieds en prison. Pour arriver à ce pourcentage, l’Institut a comparé les peines avec les entrées effectives en détention. Un calcul forcément approximatif, car ne prenant pas en compte les détentions provisoires, les différés d’application… Mais qui, sur plusieurs années, donne un vrai indice de l’effectivité réelle de la prison ferme en France. Contactée, la chancellerie ne se montre pas surprise par ce pourcentage, qu’elle juge «cohérent» : «cela correspond à la part d’aménagement de peine, qui regroupe la semi-liberté, les placements extérieurs ou l’usage du bracelet électronique, apparu en 1997 sous Chirac et Jospin, et qui a connu son essor sous Nicolas Sarkozy», retrace-t-elle, reconnaissant une augmentation continue de ces alternatives depuis vingt ans.
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«Depuis 30 ans, les gouvernements ont choisi, par idéologie et par manque de places en prison, de dédaigner la peine de prison. Le principal obstacle à cette diminution du poids de la prison est la réticence de la population qui, elle, réclame unanimement des sanctions plus sévères. Alors, pour diminuer le recours à la prison, tout en contournant ce que réclame la population, c’est-à-dire une Justice ferme, ils ont décidé d’avancer masqués», dénonce en retour le directeur de l’IPJ, Pierre-Marie Sève. Si les sanctions prononcées donnent un certain message, l’exécution effective des peines constitue une réalité tout autre.
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L’IPJ souligne que le système est en opposition avec la société : en juillet dernier, un sondage avançait que les Français sont 65% à estimer que les juges ne sont «pas assez sévères». Le public, s’il ne suit pas l’application des peines dans chaque dossier, voit en effet se multiplier les faits divers impliquant des multirécidivistes souvent sortis bien avant terme de leur incarcération. La note cite ainsi un procureur qui remarquait au sujet d’une personne ayant renversé et gravement blessé une douanière : «cinq bracelets électroniques, un sursis libre, une libération conditionnelle, autant d’aménagements qui ont pour but la réinsertion […] et voilà le résultat : une douanière qui aurait pu être tuée !». Un «sentiment d’inapplication» sur lequel l’IPJ met enfin un chiffre.
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La marque d’un laxisme idéologique chez les magistrats, comme nombre de concitoyens le pensent, ou d’une fuite en avant des gouvernants ? L’Institut pour la Justice ne rentre pas dans le débat, mais souligne ainsi que les juges d’application des peines sont parfois prisonniers de la loi. Car c’est bien la loi qui organise cet écart béant. Pour les peines de moins d’un an, l’aménagement «ab initio» est le principe, selon l’article 132-25 du Code pénal.En 1999, 55.000 années de prison ferme étaient prononcées en France, contre 93.000 années en 2019, soit une hausse de 70%.
«Le délai négociable était de deux ans auparavant. La politique pénale actuelle va dans le sens d’une plus grande fermeté», plaide-t-on place Vendôme, ajoutant que la moyenne des peines ferme prononcées en 2017 était de 6,8 mois, contre 9 mois en 2022. Avec mécaniquement plus d’incarcérations. De même cite-t-elle un chiffre vertigineux : en 1999, 55.000 années de prison ferme étaient prononcées en France, contre 93.000 années en 2019, soit une hausse de 70%. Pour autant, la Justice ne «croit pas au constat d’une société beaucoup plus violente qu’avant», malgré «des actes d’ultraviolence il est vrai plus nombreux».
8% de peines toujours inexécutées cinq ans après
Au-delà de la volonté des juges ou du législateur, se pose aussi le problème administratif de l’engorgement judiciaire. Sur ce sujet, l’IPJ cite aussi un angle mort peu connu de la justice : celui des peines de prison tout simplement inexécutées. En 2020, 8 % des peines d’emprisonnement restaient inappliquées, cinq ans après leur prononcé, soit théoriquement environ 10.000 peines chaque année. La chancellerie précise au Figaro que ce chiffre est en baisse à 5% depuis l’année dernière et qu’il correspond au roulement des dossiers en cours de traitement chez le Juge d’application des peines (JAP), et aux personnes en fuite. Cela touche essentiellement les peines courtes, bien sûr, mais ce phénomène renvoie plus généralement une image désastreuse, pour le condamné lui-même, mais aussi pour les parties civiles et la société.
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«Ecroués», «Détenus»… Un lexique trompeur
L’IPJ déplore enfin une «volonté de cacher ces aménagements de peine, car trop impopulaires». Une volonté de manipulation ? Oui, pour l’Institut, qui souligne l’utilisation d’un lexique trompeur : «les termes employés par la communication ministérielle signifient souvent l’inverse de leur définition en français courant». Ainsi, dans un rapport statistique récent, la Justice admet dans les définitions que «la personne écrouée peut être hébergée au sein d’un établissement pénitentiaire ou non», l’écrou étant un acte administratif «par lequel est établie la prise en charge par l’administration pénitentiaire des personnes placées en détention provisoire ou condamnées à une peine privative de liberté»… Si le Larousse donne bien cette définition du mot, le sens commun ne l’entend pas de cette manière, et la justice s’abstient souvent de le préciser.
Les personnes vivant derrière les barreaux sont-elles donc les «détenus»? Là encore, non : un détenu peut être en régime de semi-liberté voire en placement à l’extérieur hébergé. La «perpétuité» dans le langage des magistrats ? Elle est assortie d’une période de sûreté de 18, 22 voire 30 ans, mais n’est «sans limite» que dans de très rares cas. Le ministère nie toute manipulation mais réplique en évoquant… «la simple différence entre emprisonnement et incarcération». Reconnaissant à mi-mots une forme d’hypocrisie, il ajoute toutefois que «les juges peuvent depuis peu prononcer tout de suite une peine de détention à domicile sous surveillance électronique».