«J’ai entendu mes sœurs hurler»: en France, la lente reconstruction des femmes victimes d’excision

Par Jeanne Durieux. LE FIGARO

Publié hier à 16:54, mis à jour il y a 1 heure

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Dans le monde 200 millions de femmes ont subi une excision.
Dans le monde 200 millions de femmes ont subi une excision.  YASUYOSHI CHIBA / AFP

TÉMOIGNAGES – Elles sont 125.000 femmes vivant en France à avoir été victimes d’une excision. Certaines d’entre elles cherchent à se reconstruire en s’investissant dans la lutte contre cette pratique barbare.

L’émotion mêlée aux regrets enroue la voix de Rhama*, quand elle se rappelle cet après-midi. «Je suis rentrée chez moi après m’être absentée trente minutes. Ma fille était sur la table, elle saignait, et ma mère m’a dit: “C’est comme ça, elle doit y passer aussi”.» Rhama vient de Djibouti. À l’âge de 5 ans, elle a été excisée par les femmes de son quartier.

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Alors, quand Rhama est devenue mère, elle a quitté son pays pour la France, où elle espérait ainsi pouvoir éviter ce sort à sa propre fille. Dans l’Hexagone, les mutilations génitales féminines sont passibles de 10 ans d’emprisonnement et de 150.000 euros d’amende. C’était sans compter ce bref séjour passé avec sa fille à Djibouti chez sa mère, traditionaliste acharnée, qui a fait venir cet après-midi-là les exciseuses. Lauria avait 6 mois. Elle est décédée d’une infection généralisée quelques semaines plus tard.

Excision, infibulation… Lundi 6 février, une journée de lutte est consacrée à ces mutilations génitales féminines (MSF), pratiques traditionnelles très répandues en Afrique de l’Ouest, qui consistent en l’ablation partielle ou totale des organes génitaux de la femme. Elles concernent actuellement 125.000 femmes en France*, et 200 millions de femmes dans le monde**, majoritairement originaires de cette partie du continent africain, où la quasi-totalité des pays interdisent la pratique. Aujourd’hui, leur parcours de reconstruction après le traumatisme de l’excision reste difficile et semé d’embûches.

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«J’ai été mutilée, à vif»

En Guinée, 97% des femmes âgées de 15 à 49 ans ont subi des mutilations génitales. Le pays les a pourtant abolies en 2001. Une épreuve vécue par Anita Traoré. Originaire de Guinée, la jeune femme de 32 ans vit aujourd’hui à Tours. Elle a été excisée à l’âge de 8 ans. «À Conakry, la capitale, précise-t-elle. Et pas dans un village reculé, contrairement à ce que l’on croit aujourd’hui.»

«Mon père était professeur de philosophie, et ma mère journaliste: les deux s’opposaient à ce que moi et mes sœurs soyons excisées», raconte Anita. Dans sa famille, les membres les plus traditionalistes ne sont pas de cet avis. Preuve que la protection des parents, quand ils sont opposés à la pratique, n’est pas suffisante, Anita et ses sœurs seront quand même excisées. «On était chez mes grands-parents en vacances scolaires, et mes tantes nous ont invitées à une fête d’anniversaire qui avait lieu le lendemain.» À peine arrivées à la fête, Anita et ses sœurs sont poussées vers une pièce sombre par les femmes qui organisent la réception. «J’étais la dernière, se souvient Anita. J’ai entendu mes sœurs hurler, puis je les ai vues sortir de cette pièce sombre, à moitié évanouies.» Vient ensuite le tour d’Anita. Dans la pénombre de la maison, la petite fille est immobilisée par quatre personnes, tandis qu’une cinquième s’approche avec un rasoir. «J’ai été mutilée, à vif.» Sous le choc, les quatre sœurs sont ensuite emmenées dans une maison où elles resteront quarante jours. Là, des visiteurs viennent leur offrir argent et présents. «Il fallait être heureuse, parce que tout le monde nous félicitait», se souvient Anita, bouleversée.

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De cette opération barbare, réalisée sans anesthésie et dans des conditions d’hygiène approximatives, les femmes, une fois adultes, conservent de nombreux maux physiques ressentis lors de rapports sexuels mais aussi pendant l’accouchement. Alors, pour dépasser la douleur et le traumatisme, beaucoup d’entre elles s’engagent dans la lutte contre l’excision.

Petite, j’attendais mon excision comme on attend le jour de Noël, en ne voyant que les cadeaux, sans l’opérationMartha

Anita est devenue présidente et fondatrice de l’association «Chance et protection pour tous», qui possède entre autres une antenne en France et une en Guinée. En France, elle intervient en milieu scolaire pour sensibiliser les jeunes filles. Ses efforts s’intensifient surtout à l’approche des vacances, «le moment où les petites filles rentrent au pays voir leur famille».

En France, de plus en plus de centres proposent aux femmes qui le souhaitent une écoute, des informations, et la reconstruction chirurgicale pour celles qui l’envisagent. «C’est l’une des violences sexuelles les plus graves», déplore Ghada Hatem, gynécologue obstétricienne à la Maison des femmes de Saint-Denis, dédiée entre autres à la reconstruction de celles qui ont subi une excision. «Assez de mortes, assez de traumatisées à vie», abonde de son côté Anita.

Originaire d’un village au nord de la Côte d’Ivoire, Martha, 48 ans, qui descend d’une longue lignée d’exciseuses, a elle aussi choisi de passer du côté de la lutte. «Petite, j’attendais mon excision comme on attend Noël», se souvient-elle«C’est une grande fête, on reçoit à ce moment les secrets de la vie par les matrones”». Ces exciseuses, qui se transmettent la pratique de mère en fille, sont considérées comme des personnalités essentielles du village dans le passage de la jeune fille à l’âge adulte.

Poids de la tradition

Martha, qui travaille dans une association de lutte contre l’excision basée à Rennes, «Azca», souligne en revanche l’importance de comprendre le poids de la tradition dans une telle pratique: «On ne peut arriver dans un village africain en mettant le panneau “Excision interdite”, puis repartir. Ça ne marche pas comme ça !». Et de marteler: «Si on ne comprend pas l’aspect communautaire, on ne peut pas lutter».

Selon elle, la lutte contre les MSF doit s’adapter à chaque région, voire à chaque village. «Il faut prendre les matrones dans la boucle, leur montrer les parcours de reconversion, assène-t-elle. Et mettre en avant le fait qu’on peut maintenir ces rites de transition à l’âge adulte tout en abolissant les mutilations.» Son association, qui travaille en Côte d’Ivoire depuis quinze ans, a obtenu la reconversion de trente-cinq exciseuses. «C’est déjà une grande victoire, vu l’ancrage millénaire de l’excision dans nos pratiques africaines», se réjouit-elle.

D’autres choisissent de s’exiler. Rokhya, qui vient d’un village près de Bamako, au Mali, est arrivée en France en 2019, sa petite fille dans les bras. «Rester au pays, c’était garantir son excision», affirme-t-elle. Alors, la jeune femme et son mari ont formulé une demande d’asile au motif de la menace d’excision qui pesait sur leur enfant. Ils l’ont obtenue et vivent désormais à Maisons-Alfort, sans aucun contact avec leur famille. Pour eux, couper les ponts était la seule solution. «C’est difficile, témoigne Rokhya. Mais quand je suis partieune amie venait de perdre son enfant, morte d’infection après avoir été mutilée. Je ne pouvais pas accepter ça pour ma fille.»

*Estimation du Bulletin épidémiologique hebdomadaire datée de 15 février 2019.

**Bilan de l’Unicef 2022

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