Par Pierre Lellouche
8 février 2023 LE FIGARO
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Pierre Lellouche, en 2019. Martin BUREAU / AFP
FIGAROVOX/TRIBUNE – Pour l’ancien président de l’Assemblée parlementaire de l’Otan, nous entrons dans une nouvelle phase du conflit au cours de laquelle d’immenses pertes humaines sont plausibles. Et l’absence totale de débats dans nos sociétés sur la stratégie à adopter pourrait avoir de lourdes conséquences, alerte-t-il.
Pierre Lellouche a présidé l’Assemblée parlementaire de l’Otan.
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À l’approche du sinistre anniversaire de la première année de guerre en Ukraine, les deux camps se préparent activement au troisième acte, peut-être décisif, du conflit. Les deux premiers auront été autant d’échecs humiliants pour l’agresseur : la Russie de Poutine. En mars, l’armée Russe, défaite devant Kiev, a dû se replier avec des pertes considérables vers le Donbass. Exit «l’opération spéciale» qui devait amener en trois jours la capitulation du régime de Kiev, opinion ironiquement partagée par Washington au départ… En perdant cette première manche, la Russie a dû renoncer à son principal objectif stratégique : annexer l’Ukraine tout entière, ou à tout le moins en reprendre totalement le contrôle en décapitant le pouvoir en place, pour le remplacer par un régime fantoche aux ordres du Kremlin.
Non seulement la Russie ne peut plus espérer conquérir militairement l’Ukraine, mais ce pays a trouvé dans l’épreuve son unité en tant que nation et son ancrage définitif en Europe. Mais ce premier acte, calamiteux pour Moscou, en annonçait un second tout aussi désastreux. À la fin de l’été, puissamment réarmée à partir du mois d’avril par les États-Unis, notamment au moyen de drones, d’armes anti-char et anti-aériennes modernes, et d’une artillerie de longue portée de très haute précision. L’armée ukrainienne a pu réussir une brillante double offensive. La contre-attaque, préparée par «des jeux de guerre» au Pentagone, conduisit là encore, à une cuisante défaite pour l’armée russe, contrainte de se replier au nord comme au sud d’une ligne front d’un millier de kilomètres. La Russie a ainsi échoué à Kharkiv et cédé des villes clés telles que Izium, Lyman et même Kherson, réduisant comme peau de chagrin les quatre provinces pourtant «annexées» en grande pompe par Poutine, lors d’une célébration le 30 septembre à la salle Saint Georges du Kremlin.
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L’espoir changeait alors de camp, et Zelensky, qui en mars paraissait prêt à négocier en abandonnant même toute idée d’adhérer à l’Otan, se mit à parler de «victoire» et de reconquête des territoires occupés, y compris la Crimée. On évoquait même à Kiev, une nouvelle offensive ukrainienne rapide, vers le corridor sud et la péninsule de Crimée. Mais en ce mois de février, l’horizon semble s’obscurcir à nouveau. Sur le terrain, l’armée ukrainienne souffre : ses pertes atteindraient plus d’une centaine de milliers de soldats tués ou blessés (mais l’Ukraine c’est 40 millions d’habitants, contre 140 millions de Russes). Elle a dû surseoir à l’offensive qu’elle souhaitait mener sans délai vers la Criméeau début de l’hiver. Au lieu de cela, elle est contrainte de mobiliser des forces considérables pour contrer, avec difficulté, la poussée russe sur Bakhmout, alimentée par la mobilisation de 300.000 soldats décrétée par Poutine, auxquels pourraient s’ajouter, dit-on, un demi-million d’hommes supplémentaires.
Les stocks sont à sec en Europe, après 30 années de désarmement budgétaire au nom des « dividendes de la paix », et commencent à poser problème aux États-Unis eux-mêmes.Pierre Lellouche
Car, malgré les multiples dysfonctionnements de son armée, et la succession d’humiliations subies, du naufrage du Khourks en passant par l’attaque du pont de Crimée où de bases aériennes en territoire russe, malgré d’énormes pertes en matériels et en hommes (200.000 soldats tués ou blessés), le «Tsar» n’a renoncé à aucun de ses objectifs : a minima, conserver le Donbass et la Crimée, et plutôt que de perdre l’Ukraine, la détruire méthodiquement comme il le fait depuis l’automne, par ses frappes aériennes meurtrières sur les populations civiles et les infrastructures. C’est que, malgré une chute importante de son PNB, et un déficit de 47 milliards de dollars en 2022, l’économie russe résiste au choc des sanctions : le gaz et le pétrole, perdus pour l’Occident, ont trouvé des preneurs avides en Chine, en Inde et même en Arabie saoudite. L’opinion publique semble résignée ou convaincue par la propagande du Kremlin («la Russie agressée par la totalité du monde occidental»), les anti-guerre étant en prison ou contraints d’émigrer. Conforté par ailleurs par l’attitude du «Grand sud», qui refuse de rejoindre les condamnations et sanctions occidentales en se cantonnant dans une prudente neutralité (Chine, Inde, Indonésie, Afrique, États du Golfe où d’Amérique Latine). Poutine se prépare donc à une guerre longue, enterrant ses armées sur plusieurs lignes défensives tout au long de la ligne de front, et attendant que l’usure fasse sentir ses effets de l’autre côté.
De l’autre côté, justement, on commence à comprendre que le temps ne joue pas nécessairement en faveur de l’Ukraine. Avec une chute de plus de 35% de son PNB, ses infrastructures industrielles lourdement endommagées ou détruites, l’Ukraine a besoin chaque mois de 5 milliards d’euros qu’apportent depuis près d’un an les alliés américains et européens, hors armements… Mais pour combien de temps encore, et avec quelles conséquences ? Les armes doivent être renouvelées à un rythme effréné, sans précédent depuis la seconde guerre mondiale. Or les stocks sont à sec en Europe, après 30 années de désarmement budgétaire au nom des «dividendes de la paix», et commencent à poser problème aux États-Unis eux-mêmes. Or, l’industrie de défense tarde à se mettre en mode «économie de guerre», même avec les 850 milliards de dollars votés pour le Pentagone en 2023, et il faut de toute façon deux ans pour fabriquer un lance-missiles HIMARS, ou un canon Caesar… Reste «l’arrière», c’est-à-dire l’essentiel : le consentement politique des démocraties de continuer à payer, comme le dit le président Macron, «le prix de la liberté». Aux États-Unis, le soutien financier à l’Ukraine a été sécurisé au moins jusqu’au 1er octobre, terme de l’année fiscale en cours. Juste avant de céder la place à la (courte) majorité Républicaine élue en novembre, la précédente Chambre des représentants avait, à la demande de Joe Biden, alloué 45 milliards d’aide à l’Ukraine pour 2023, en plus des 50 milliards alloués en 2022. Cinq milliards d’armes supplémentaires viennent d’être allouées en janvier.
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Au-delà, le contexte politique s’annonce moins favorable : il ne sera pas évident de faire voter un nouveau paquet d’aides de plusieurs dizaines de milliards de dollars dans les mois à venir, alors que la taille de la dette (28.000 milliards de dollars !) devient un enjeu central du débat politique au Capitole, et qu’une minorité de nouveaux élus Républicains trumpistes/isolationnistes a déjà annoncé qu’ils entendaient revenir sur cette politique du «chèque en blanc». Le renouvellement d’autres lignes de crédit sera de toute façon impacté par le début de la campagne présidentielle et les premières déclarations de candidatures. Jusqu’à présent, il est important de le noter, l’Ukraine n’a strictement joué aucun rôle dans les élections de mi-mandat, pas plus que dans le débat politique intérieur américain dominé par l’avortement, l’économie et la très forte polarisation autour de questions sociétales. Malgré la mobilisation des grands médias américains en faveur de l’Ukraine, l’opinion publique est restée, contrairement à l’Europe, très éloignée voire indifférente au conflit.
La situation de ce côté-ci de l’Atlantique est autrement plus problématique, malgré l’unanimisme apparent quant à la poursuite de l’engagement européen au côté de l’Ukraine, tel que le proclame à chaque occasion l’omniprésente présidente de la Commission, qui a profité des circonstances pour se poser en cheffe de guerre autoproclamée de l’Europe (pourtant sans la moindre légitimité pour ce faire). Car si les États-Unis sont objectivement les grands gagnants du conflit, ayant regagné leur leadership incontesté sur l’Alliance six mois après leur piteux fiasco afghan, et trouvé en Europe un immense marché pour leur gaz naturel liquéfié ainsi que leurs industries d’armements, les économies européennes sont, elles, dans une tout autre situation. Frappée de plein fouet depuis l’été par la fermeture du robinet de gaz russe bon marché, par son embargo sur le pétrole russe en décembre, deux événements majeurs, aggravés par ses propres choix idéologiques anti-nucléaires, l’Europe subit désormais de plein fouet l’explosion des coûts de l’énergie que ne connaissent pas les Américains. Explosion des coûts qui génère en cascade une inflation considérable, y compris sur les produits alimentaires de base (11% en moyenne et 9% dans la zone euro) ; une chute brutale de la croissance ; et la fermeture de nombreuses entreprises, donc la remontée du chômage, avec en perspective pour 2023 et au-delà, une possible entrée en récession.
Les alliés derrière les États-Unis ont donc décidé de prendre le risque de glisser irrémédiablement vers l’engrenage de la cobelligérance, ouvrant la voie à d’éventuels dérapages…Pierre Lellouche
Face à la souffrance sociale qui en découle, les gouvernements multiplient les chèques et autres rustines financés (sauf en Allemagne) par la dette, ce alors même que les taux d’intérêt remontent, la BCE, après la FED, s’efforçant de juguler l’inflation. En bref, les Européens, même s’ils ne l’articulent pas tous ainsi, sont entrés dans le dur : dans l’économie de guerre. Une perspective certes soutenue en Pologne ou dans les États Baltes, convaincus qu’il faut définitivement en finir avec l’impérialisme russe. Mais bien moins évidente ailleurs à mesure que les difficultés économiques et sociales s’éterniseront. D’où l’urgence d’en finir au plus vite avec la guerre d’usure qui s’installe, et de reprendre l’initiative par une offensive aussi massive que possible dans les tout prochains mois, probablement au sortir de l’hiver.
C’est ce troisième tournant, articulé en janvier par deux anciens ministres américains de renom, Condoleezza Rice et Robert Gates, qui vient d’être décidé. Après une intense activité diplomatique entre Kiev et ses alliés, la visite du chef de la CIA, William Burns à Kiev, celle du chef d’État-Major du Pentagone en Pologne, culminant avec la huitième réunion du «Groupe de contact» des 50 pays alliés de l’Ukraine, autour du Secrétaire à la Défense Lloyd Austin, sur la base américaine de Ramstein, en Allemagne, le 20 janvier. Impulsé par l’administration Biden, aiguillonnée en permanence par Zelensky, le plan, annoncé comme tel par le Pentagone, prévoit de donner à l’Ukraine tous les moyens dont elle va avoir besoin pour réussir son offensive, «percer les lignes de défense russes» et forcer ainsi la fin de la guerre par la victoire sur le terrain.
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C’est ainsi qu’ont été présentées, ce mois de janvier, des livraisons d’armes toujours plus impressionnantes : plus d’artillerie, des bombes à guidage laser, des centaines de véhicules. Il s’agit aussi, au-delà des batteries antiaériennes Patriot dont les Ukrainiens seront (c’est une première) formés sur le territoire américain (sur la base de Fort Sill, dans l’Oklahoma), de livrer des blindés moyens, mais aussi et surtout, bientôt, des chars lourds ; challengers britanniques et surtout léopards II allemands qui seront prélevés sur les stocks polonais, finlandais, espagnols, et même allemands. Tandis que parallèlement l’armée américaine accueillera en Allemagne des unités ukrainiennes, pour les former aux techniques d’emploi combiné des armes.
Au grand dam de ses partenaires, le Chancelier allemand Olaf Scholz a longtemps résisté à la pression, refusant d’autoriser le transfert de chars lourds à l’Ukraine, afin d’éviter de franchir une étape potentiellement dangereuse dans l’escalade avec la Russie. Il n’a cédé qu’à la toute fin janvier, qu’après avoir reçu l’assurance de la livraison d’une trentaine de chars Abrams par Washington, confirmant de ce fait que ce conflit est piloté par l’Amérique et elle seule, le «couple franco-allemand» pourtant célébré trois jours plus tôt à Paris par Macron et Scholz, ne jouant littéralement aucun rôle dans ce conflit. Confrontés au risque du pourrissement du conflit, sans vrai vainqueur ni vaincu, mais avec une guerre larvée qui s’installerait dans la durée – l’Ukraine tout entière devenant alors une sorte d’immense «conflit gelé» sur le continent – risque de voir s’effriter au fil du temps le soutien à l’Ukraine. Les alliés derrière les États-Unis ont donc décidé de prendre le risque de glisser irrémédiablement vers l’engrenage de la cobelligérance, et une confrontation de plus en plus directe avec les forces russes, ouvrant la voie à d’éventuels dérapages… «Nous devons creuser d’avantage» a dit solennellement le Secrétaire américain à la Défense devant les 50 délégations réunies à Ramstein. «Le peuple ukrainien nous regarde, le Kremlin nous regarde, l’Histoire nous regarde.
Face à de tels risques, l’absence totale de débats dans nos sociétés, sauf en Allemagne, mais particulièrement chez nous en France, est proprement effarante.Pierre Lellouche
Une telle option que personne, hormis Scholz parmi les dirigeants occidentaux, n’a osé remettre en cause, recèle pourtant au moins trois dangers sérieux, qu’on résumera ainsi par ordre croissant de gravité :
Le premier est que l’offensive échoue, ou à tout le moins qu’elle ne parvienne pas, même avec une ou deux centaines de chars occidentaux, à bouter les armées russes hors du Donbass et de la Crimée. Risque que le Général Milley, pour la deuxième fois, a osé formuler publiquement à Ramstein : «d’un point de vue militaire, je maintiens qu’il sera très difficile d’expulser les forces russes de toutes les zones de l’Ukraine occupées cette année». Auquel cas, à moins d’un nouveau «surge» du côté occidental et donc du franchissement d’un nouveau barreau dans l’escalade (des chasseurs F16 réclamés par Kiev ?), les Russes s’en trouveraient renforcés et confortés dans leur volonté de continuer la guerre jusqu’à ce que l’Ukraine affaiblie et poussée par ses alliés, finisse par accepter un règlement territorial qui ne lui serait pas favorable.
Le second est inverse : que l’offensive menace de réussir. Voyant ses défenses sur le point d’être emportées grâce aux moyens livrés par l’Otan, le Kremlin pourrait alors considérer de frapper en territoire polonais notamment, les concentrations d’armes occidentales livrées à l’Ukraine. Ce qui déclencherait l’article V de l’Otan, et le risque très réel d’un conflit ouvert. Le troisième danger est le degré suivant de l’escalade : que la percée réussisse et que la Russie soit sur le point de perdre la Crimée, territoire qu’elle considère comme le sien, le Kremlin pourrait alors décider de franchir le seuil des armes non conventionnelles, comme le prévoit sa doctrine militaire, et comme l’ont clairement indiqué ses dirigeants. Dans les trois cas, d’immenses pertes humaines sont prévisibles. Face à de tels risques, l’absence totale de débats dans nos sociétés, sauf en Allemagne, mais particulièrement chez nous en France, est proprement effarante.
La presse unanime, comme les commentateurs et autres géopoliticiens de salon, nous serine chaque jour que la victoire est au bout du missile HIMAR et que jamais les Russes n’oseront passer à l’emploi d’armes nucléaires. En revanche, nous répète-t-on, l’Ukraine nous donne une «leçon de courage», qu’elle «ne se bat pas seulement pour son indépendance, mais aussi pour la liberté de l’Europe et des États-Unis» (P. Bruckner), que «la victoire de l’Ukraine doit être totale, sans appel»(BHL), que «d’herbivores», nous devons devenir «carnivores» (Pierre Sergent), et que mieux encore, il faut profiter de cette guerre pour débarrasser une bonne fois pour toutes la planète de tous ces dictateurs, de «Pékin à Moscou, de Téhéran à Bakou, sans oublier Ankara, Caracas, La Havane et quelques autres». Vaste programme, comme disait de Gaulle… Bref, un vrai climat d’été 1914 !
Toute opinion autre que le soutien inconditionnel de l’Ukraine « jusqu’à la victoire », rend son auteur immédiatement coupable de Poutinisme et de haute trahison.Pierre Lellouche
Quant à Macron, ses allers et retours sur le sujet n’en finissent pas d’agacer (comment être Chamberlain et Churchill «en même temps») ; tout au plus trouve-t-il grâce ces temps-ci aux yeux de nos moralistes, pour avoir impulsé les livraisons de chars à l’Ukraine en décidant l’envoi de quelques vieux AMX10 RC… Entre enlisement et escalade, l’option de tenter d’en finir au plus vite par une victoire sur le terrain peut certes se justifier, à condition toutefois qu’elle n’aggrave pas la situation… et qu’on énonce enfin clairement quels sont les buts de cette guerre. L’Ukraine veut la «victoire». Fort bien. Et nous répétons, dans chaque chancellerie occidentale le mantra que, oui, «nous accompagnerons l’Ukraine» jusqu’au bout, «jusqu’à la victoire». Mais laquelle ? Le retrait des forces russes aux frontières du 23 février 2022, ou à celles de 1991, Crimée comprise donc ?
Ou comme le réclament certains autour de Zelensky ou dans les capitales Baltes et polonaise, jusqu’à la capitulation de la Russie ? Au renversement de Poutine, suivi de son jugement devant un tribunal international ? Sommes-nous vraiment sûrs que ces buts de guerre soient partagés par tous, ou qu’ils sont même atteignables par la poursuite, voire l’intensification des combats ? À tout le moins aurait-on pu espérer que ces questions, comme les options qui en découlent, fussent débattues au Parlement, ou dans la presse, et pas seulement dans le secret des chancelleries. Or rien de tel ne se passe, et pour cause : toute opinion autre que le soutien inconditionnel de l’Ukraine «jusqu’à la victoire», selon la formule magique désormais consacrée, rend son auteur immédiatement coupable de Poutinisme et de haute trahison.
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Comme le note fort lucidement Edgar Morin (100 ans) dans un ouvrage récent : «Parler de cessez-le-feu, de négociations, est dénoncé comme une ignominieuse capitulation par les belliqueux, qui encouragent la guerre qu’ils veulent à tout prix éviter chez eux». Il n’y aurait donc qu’une seule vérité, que chacun est sommé de partager. Le moindre questionnement devenant immédiatement immoral, donc intolérable. À se demander si, avec la guerre en Ukraine, le wokisme n’aurait pas gagné la géopolitique… Pourtant, après un an de guerre et des centaines de milliers de victimes, face à la force effroyablement destructrice des armes de haute technologie qui transforment les combattants en «viande hachée», selon leurs propres témoignages, n’est-il pas temps de s’interroger sur une sortie de cette guerre qui soit autre chose que la poursuite de cette boucherie ?
Il est fort intéressant de constater qu’avant la conférence de Ramstein, le général Mark Milley, le patron du Pentagone, avait eu le courage de dire publiquement que cette guerre ne serait gagnée par personne, sous entendant qu’il serait grand temps de l’arrêter. Et c’est Henry Kissinger, (100 ans comme Morin) qui courageusement, vient de rappeler comment pendant la première guerre mondiale, devant les effroyables dégâts causés par les armes modernes de l’époque (dont les dirigeants ne prirent conscience qu’après les hécatombes de 1915-16), des tentatives de médiations, vaines il est vrai, furent tentées. Pourquoi ce débat est il totalement absent chez nous, y compris à gauche ?
Dommage qu’Emmanuel Macron qui parlait-il n’y a pas si longtemps de la France comme « puissance d’équilibre » ait semblé l’oublier, en s’embarquant sans réserves dans les fourgons américains…Pierre Lellouche
De Gaulle était obsédé par le risque de voir la France, et la France nucléaire surtout, entraînée dans une escalade qu’elle ne serait plus en mesure de contrôler. D’où le retrait du Commandement intégré de l’Otan, et surtout du Groupe de planification nucléaire (NPG), piloté par les seuls Américains. Quelle pudeur atlantiste nous amène aujourd’hui à taire tout débat sur le risque non négligeable d’un engrenage ? Avons-nous oublié que cette guerre en Ukraine voit s’affronter, par Ukrainiens interposés, pas moins de quatre puissances nucléaires, dont nous, et qu’elle engage aussi notre sécurité ? Faut-il se résigner, sans réagir, à laisser le conflit d’Ukraine se transformer en une guerre non déclarée, par procuration, entre les États-Unis et derrière eux l’Otan, et la Russie ? S’il faut assurément soutenir l’Ukraine et l’aider dans sa lutte pour recouvrer son intégrité territoriale, faut-il vraiment le faire en risquant à tout moment un engrenage funeste, comme en 1914, avec dans l’intervalle, le risque de compromettre nos économies et nos consensus sociaux, ou bien rechercher les voies d’une sortie de crise par la négociation ?
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Une négociation dont les grandes lignes seraient : le retrait des forces russes aux frontières du 23 février dernier, des référendums sous contrôle de l’ONU à l’Est, des garanties de sécurité aux deux belligérants accompagnés d’un plan de reconstruction de l’Ukraine financé pour partie par la Russie. Dommage qu’Emmanuel Macron qui parlait-il n’y a pas si longtemps de la France comme «puissance d’équilibre» ait semblé l’oublier, en s’embarquant sans réserves dans les fourgons américains… Il y a quelques semaines à peine, au milieu de tous ces préparatifs militaro-diplomatiques, en vue de l’offensive des prochains mois ou semaines, Zelensky a obtenu sur l’insistance de l’acteur Sean Penn de s’exprimer lors de la 80eme cérémonie de remise des oscars du Golden Globe à Beverley Hills, Zelensky a voulu rassurer son auditoire: «non, rassurez-vous, il n’y aura pas de troisième guerre mondiale».
Souhaitons qu’il ait raison… N’est-il pas supposé bien connaître les Russes, lui qui jusqu’à la dernière minute refusait de croire à une invasion russe, alors même que Washington ne cessait de la lui annoncer comme imminente, l’exhortant à préparer de toute urgence la défense de son pays ?