LE FIGARO, 14 février 2023
La nouvelle offensive russe a peut-être déjà commencé sur le terrain. Sur la ligne de front, la pression s’accroît. Si les alliés veulent donner un espoir à l’Ukraine de remporter des victoires, ils devront accroître encore la cadence des livraisons d’armes et de munitions. «Nous allons fournir aux Ukrainiens les moyens de tenir et d’avancer pendant la contre-offensive de printemps», a déclaré mardi le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, lors d’une réunion de l’Otan à Bruxelles. Avant la réunion, le ministre ukrainien Oleksiy Reznikov a rappelé les urgences pour son pays: la défense anti-aérienne, la livraison de chars de combat et «sécuriser un stock suffisant de munitions».
À Bruxelles, la question des munitions a donc une nouvelle fois été mise sur la table par les ministres de la Défense occidentaux pour augmenter leurs objectifs. «La guerre en Ukraine consomme une énorme quantité de munitions et épuise les stocks alliés», a prévenu le secrétaire général de l’Alliance atlantique, Jens Stoltenberg.
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«Le niveau de dépense en munitions de l’Ukraine est bien supérieur à notre capacité de production», a-t-il poursuivi en lançant une alerte: «Le niveau d’attente pour les munitions de gros calibre est passé de 12 à 28 mois». «Il faut faire monter en puissance notre production», a-t-il recommandé. Quasiment un an après le début de l’invasion russe, les Occidentaux doivent s’organiser pour tenir dans la durée, pour eux comme pour l’Ukraine.
Course de vitesse
Depuis le début du conflit, les Ukrainiens sont contraints de mener une guerre frugale. Mais la Russie commence elle aussi à être confrontée au même défi, même si les stocks initiaux étaient considérables. Les combats de l’été dernier ont consommé beaucoup de munitions, estiment les analystes militaires. «La consommation d’obus et de roquettes russes a baissé de 75 %» en début d’année, assure une source militaire française. Au plus fort des combats, en juillet, ils tiraient jusqu’à 50.000 coups par jour contre 6000 pour l’armée ukrainienne.
Mais la situation de la Russie pourrait changer dans les mois qui viennent. «J’espère que le moment ukrainien n’est pas passé», s’inquiète une source militaire française avec pessimisme. Sans pouvoir en mesurer précisément les capacités, les états-majors considèrent désormais que la Russie a basculé en économie de guerre. Vladimir Poutine a organisé son industrie de défense pour qu’elle se mette en ordre de marche pour soutenir son opération militaire malgré les sanctions économiques internationales.
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Une course de vitesse est engagée. Mais les promesses occidentales n’arriveront – au mieux – que dans plusieurs mois sur le front. Entre-temps, l’armée ukrainienne risque d’être entravée et de devoir réviser ses plans. «Il lui faudra concentrer ses efforts», explique la source militaire française. Pour tenter de conserver un avantage, Kiev devra miser sur ses capacités de réactivité et de ciblage pour prendre de vitesse l’adversaire.
L’alerte sur les stocks de munitions vise aussi les pays occidentaux, qui mettront plusieurs années à recompléter leurs stocks. Selon une étude du think-tank américain CSIS, les États-Unis ont déjà livré plus de 1 million d’obus de 155 mm alors que la capacité de production est de 240.000 par an. Pour reconstituer le stock de munitions de précision Excalibur, le délai serait d’au moins 4 ans, selon l’institut. Quasiment tous les types de munitions sont touchés par ces déficits. Pour soutenir l’effort, Washington a relancé son industrie d’armement et fait appel au soutien d’autres alliés, comme la Corée du Sud. Toutes les armées européennes sont concernées. En Allemagne, le gouvernement a signé un nouveau contrat avec Rheinmetall pour relancer la production de munitions.
L’armée de terre manque d’obus de 155 mm Le député (RN) Julien Rancoule
En France aussi, l’armée est sous tension. Les commandes de munitions en baisse ont longtemps servi de variable d’ajustement budgétaire. «L’armée de terre manque d’obus de 155 mm», explique le député (RN) Julien Rancoule, coauteur avec le député Vincent Bru (Mouvement démocrate), d’un rapport sur les stocks de munitions rendu public mercredi. Les élus y plaident pour une réévaluation des stocks d’armement pour prendre en compte l’hypothèse d’un engagement majeur. «La logique de flux tendu n’est plus adaptée au contexte», ajoute Julien Rancoule en plaidant pour la reconstitution de réserves. L’enjeu est bien saisi par les industriels comme par le ministère des Armées.
Mais les usines sont contraintes par le dimensionnement du marché, qui s’était adapté à une logique de temps de paix. La fabrication des poudres nécessaires aux explosifs est ainsi sous-dimensionnée aujourd’hui par rapport aux besoins.
«La production est à son maximum», constatait lundi le chef d’état-major de l’armée de terre, le général Schill.
Dans ce contexte, des tensions sont à prévoir entre les partisans d’un soutien à l’Ukraine et ceux qui voudront conserver leurs stocks pour leur défense nationale.
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