Général Bruno Dary: «Pourquoi l’envoi de chars à l’Ukraine n’inversera pas le rapport de force»

Par Bruno Dary. LE FIGARO

Publié  le 24/02/2023

Écouter cet article

00:00/05:32

FIGAROVOX/TRIBUNE – Le choix de livrer des chars de combat à l’Ukraine ne permettra malheureusement pas à ce pays de l’emporter face à l’envahisseur russe, explique l’ancien commandant de la Légion étrangère, qui s’inquiète d’une extension du conflit.

Le Général Bruno Dary est le Président du Comité de la flamme sous l’Arc de triomphe qui ravive la flamme de la Tombe du soldat inconnu. Général d’armée (2s), il est ancien chef de corps du 2e REP et ancien commandant de la Légion étrangère.

La semaine du FigaroVoxNewsletter

Le samedi

Retrouvez les chroniques, les analyses et les tribunes qui animent le monde des idées et l’actualité. Garanti sans langue de bois.S’INSCRIRE


Récemment, plusieurs pays occidentaux ont fait le choix de livrer des chars à l’Ukraine, pour rééquilibrer la balance des forces et permettre au président Zelensky de chercher à reconquérir ses territoires perdus ! Or il est déjà possible d’affirmer que ce renforcement, au lieu d’apporter une solution à cette guerre, ne fera qu’en renforcer l’intensité ; il impliquera un peu plus les pays occidentaux, et éloignera un peu plus toute perspective de cessez-le-feu, préalable indispensable à une sortie de crise… Et il est à craindre que l’étape suivante, d’ailleurs déjà annoncée par le président Zelensky au cours de sa tournée européenne, soit la cession de missiles à longue portée qui lui manquent encore, avec son corollaire aller frapper des objectifs sur le territoire russe pour amener le président Poutine à la table des négociations.

L’histoire militaire du XXe siècle montre clairement que les chars n’apportent une victoire significative que s’ils bénéficient d’une triple surprise stratégique, en termes de lieu, de temps et de mode d’action : ce fut le cas en juin 1940 au détriment de la France, avec une offensive allemande, sans préavis malgré la «drôle de guerre», qui regroupait tous les blindés disponibles, alors que la France avait disséminé les siens, et qui contournait la ligne Maginot par les Flandres, malgré la neutralité de la Belgique. Ce fut le cas également lors de la guerre des 6 jours conduite par l’armée israélienne ! Mais l’emploi des blindés ne rencontra pas que des succès : à Bir-Hacheim, les chars de Rommel, malgré un terrain favorable, le désert, ne purent franchir les obstacles aménagés et les champs de mines posés préalablement par la 1° DFL du général Koenig. Et plus tard, que ce soit au cours de la bataille de Koursk que de la prise de Berlin, les Russes comme les Allemands perdirent au cours de chacun de ces affrontements majeurs plusieurs milliers de chars…

Aujourd’hui ce ne sont pas les quelques 200 ou 300 chars livrés à l’Ukraine, qui vont modifier profondément l’équilibre des forces. D’une part, on peut penser que les Russes n’ont pas perdu de temps pour organiser le terrain, empêchant ainsi toute contre-attaque, surtout maintenant qu’ils ont conquis les républiques du Donetsk et de Loungansk ! En outre, au vu de la transparence du champ de bataille apportée de chaque côté par le recours massif aux drones, par l’appui des images satellites et par la guerre électronique, toute attaque sera décelée avant d’être déclenchée et encore faudra-t-il que les blindés puissent atteindre sans encombre la ligne de front….

Et d’ailleurs, le président Zelensky ne s’y est pas trompé, car il a déjà demandé des avions de combat et même des missiles à longue portée : pas plus que les chars de combat, ces systèmes d’armes ne modifieront le rapport de force ; mais ils étendront ce conflit hors des frontières de l’Ukraine, avec des bases aériennes forcément hors de ce pays pour éviter toute frappe de missiles russes hyper-véloces, ou des objectifs situés sur le territoire russe pour les missiles longue portée cédés à l’Ukraine….

On peut d’ailleurs observer que cette guerre a déjà franchi les limites du seul champ de bataille : les Russes ne se sont pas privés de détruire de nombreux sites sensibles sur le sol ukrainien, qu’ils soient civils ou militaires ; les Ukrainiens ont procédé à quelques incursions sur le sol russe ; les Russes ont «perdu» leur vaisseau amiral en mer Noire en avril dernier, montrant ainsi que tout navire serait détecté et aussitôt «traité». Et actuellement, les affrontements se poursuivent surtout dans les champs immatériels : personne n’est en mesure d’évaluer les pertes humaines ou matérielles de chacun des antagonistes ! Et dans le cyberespace, comme il n’y a ni frontière, ni adversaire, on ne compte plus, ne serait-ce qu’en France, le nombre d’entreprises ou d’organismes, qui ont été durement frappés, même parmi ceux qui n’avaient aucun lien avec ce conflit ! Et la maire de Paris, en souhaitant et en disant ouvertement que les athlètes russes ne devraient pas participer aux JO de 2024, ne fait qu’élargir un peu plus ce conflit au domaine sportif, ce qui n’aura aucune conséquence sur le déroulement des opérations, mais creusera un peu plus le fossé entre les antagonistes.

S’il pouvait y avoir une solution militaire, elle ne pourrait être que terrestre… mais là encore, les adversaires ont déjà montré leurs limites : les Russes dès le début de leur «opération spéciale», dont la partie aéroportée fut un échec, comme les tentatives d’attaque de blindés au nord de Kiev ou de Kharkov et les Ukrainiens, dont les quelques succès tactiques n’effacent pas la perte de leurs deux Républiques. De plus, il ne faut pas oublier qu’en termes de tactique, une offensive pour avoir des chances certaines de succès doit être menée dans un rapport de force d’un contre trois par rapport à l’adversaire, et que ce rapport passe d’un à neuf en zone urbaine, c’est-à-dire, là où se passent aujourd’hui les combats….

Que l’on soit favorable au président Zelensky, pour son courage et son charisme ou que l’on condamne le Président Poutine, d’avoir déclenché cette guerre, ne change rien à la réalité des faits : l’envoi de blindés occidentaux ne suffira pas à inverser suffisamment le rapport de force actuel ; en revanche, il impliquera un peu plus les pays européens dans une guerre qu’ils n’ont pas voulue. La solution est donc ailleurs… Mais à l’instar de la Première Guerre Mondiale, espérons simplement qu’un événement comme «l’attentat de Sarajevo» en 1914 ne finisse pas par nous entraîner là où personne ne voudrait aller.


Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :