Par Sébastien Falletti. LE FIGARO
10 mars 2023
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Le président chinois Xi Jinping prête serment pendant la troisième session plénière de l’Assemblée nationale populaire (ANP) dans le Grand Hall du Peuple, à Pékin. POOL / REUTERS
DÉCRYPTAGE – Le président chinois a été réélu pour un troisième mandat sans partage ce vendredi, en dénonçant «l’encerclement» américain.
De notre correspondant en Asie
Finies les formules elliptiques de Sphinx rouge. Les allusions à peine voilées dénonçant «l’hégémonie» américaine, lancées avec un sourire débonnaire, par Xi Jinping.
Le président chinois a haussé le ton face à l’Amérique de Joe Biden, à l’orée d’un troisième mandat sans partage, assumant l’escalade face à la première puissance mondiale, au risque d’attiser un conflit sans retour.
Pour la première fois, le dirigeant a nommément accusé Washington d’orchestrer une stratégie «d’encerclement» visant à enrayer le retour au premier plan de la Chine, alors qu’il a été réélu vendredi pour un troisième mandat historique. «Des pays occidentaux, menés par les États-Unis, ont mis en œuvre une politique d’endiguement, et de répression contre la Chine», a déclaré Xi, durant l’Assemblée Nationale populaire (ANP), réunie en session plénière annuelle dans le Grand Hall du Peuple, à Pékin.
Comme un seul homme, la chambre d’enregistrement du régime communiste a réélu à l’unanimité le dirigeant de 69 ans, seul candidat. «Xi est digne d’être le cœur du Parti, le grand leader du Peuple. Il est digne d’être le timonier du navire du grand renouveau de la nation chinoise», s’est enthousiasmé le Quotidien du peuple dans un éditorial publié dans la foulée du vote aux allures de formalités.
Dramatisation des enjeux
Également réélu à la tête de la Commission centrale militaire, Xi entame un troisième quinquennat sans partage à la tête de la seconde puissance mondiale, tranchant avec la tradition de ses prédécesseurs Hu Jintao et Jiang Zemin, qui avaient lâché les rênes après dix ans de pouvoir. «Le 19e Congrès en 2017 avait ouvert l’entrée dans l’ère Xi. Cinq ans plus tard, il accélère, avec une nouvelle équipe gouvernementale pleinement à sa main», juge Chen Daoyin, politologue indépendant. L’assemblée élira sans coup férir samedi un nouveau premier ministre Li Qiang, un fidèle du président, sous le signe de la centralisation, et de l’affirmation décomplexée sur la scène internationale.
Désormais, le Secrétaire général du Parti ne prend plus de gants en pleine aggravation des tensions avec les États-Unis, encore exacerbées par la traversée d’un ballon «espion» chinois, abattu par l’US Air Force, début février, et qui avait torpillé la première visite en Chine d’Antony Blinken, le Secrétaire d’État américain, en quête d’une détente.
Xi dramatise les enjeux, et admet que la stratégie américaine entrave la seconde économie mondiale, dont la croissance en berne peine à rebondir au sortir du Covid, dans un climat géopolitique plombé par la guerre en Ukraine, et les tensions sur Taïwan.
Les coups de boutoir de Washington imposent des «défis sans précédents pour le développement de notre pays», a reconnu ce chantre d’une renaissance patriotique décomplexée et qui voit ses plans contrecarrés par la toile tissée par l’administration démocrate, en Asie-Pacifique.
Face à l’avalanche de sanctions américaines visant les fleurons technologiques chinois, de Huawei à Tiktok, en passant par les semi-conducteurs, le renforcement du dispositif militaire du Pentagone en Asie, illustré par l’accès à de nouvelles bases aux Philippines, Xi sonne l’heure du grand endurcissement.
Le dirigeant le plus autoritaire depuis Mao appelle la Chine à l’autosuffisance technologique, alimentaire et militaire réaffirmant la ligne nationaliste et centralisatrice imposée durant sapremière décennie de règne, douchant les espoirs d’une inflexion libérale au sortir du Covid. «Un grand pays de 1,4 milliard d’habitants ne doit compter que sur lui-même» pour assurer son autonomie agricole et manufacturière, a affirmé le dirigeant de 69 ans. «Les marchés internationaux ne peuvent pas nous protéger», a ajouté ce nostalgique du modèle soviétique. «La Chine n’a pas intérêt à un découplage, mais face à l’hostilité américaine, elle va s’engager dans la compétition à l’échelle mondiale. Et devenir plus auto suffisante», prédit Dan Wang, économiste à la Banque Hang Seng, à Shanghai.$
Pékin prétend relever le défi américain, agitant la menace voilée d’un conflit aux déflagrations planétaires.
Son nouveau ministre des affaires étrangères Qin Gang a mis solennellement en garde, l’administration Biden, mardi. «Si les États-Unis continuent de s’engager sur la mauvaise voie et ne freinent pas, aucun garde-fou ne pourra empêcher le déraillement» des relations entre les deux premières puissances mondiales, a prévenu l’ancien ambassadeur à Washington. Si cela se produit, «il y aura inévitablement un conflit et une confrontation», a enfoncé Qin.
Une flèche à l’intention de l’hôte de la Maison Blanche qui tente d’établir un dialogue au sommet afin de prévenir que la « rivalité ne vire au conflit ». Au moment où Washington met en garde Pékin de livrer une aide militaire à la Russie, Qin a tressé les louanges du «partenariat» avec Moscou. «Plus le monde devient turbulent, plus les relations Chine-Russie doivent aller de l’avant», a déclaré le diplomate, alors que le président Xi pourrait rendre visite à son «vieil ami» Vladimir Poutine dans la foulée de l’APN.
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Avant d’accuser la première puissance mondiale de violer la «souveraineté» de la Chine en livrant des armes à Taïpei, dans un parallèle osé avec l’Ukraine. «Pourquoi les États-Unis vendent des armes à Taïwan tout en demandant à la Chine de ne pas en fournir à la Russie ?», a répliqué Qin, alors que le département d’État vient d’approuver la vente de centaines de missiles pour équiper les F-16 de l’ancienne Formose, pour un total de 619 millions de dollars.
La chambre d’enregistrement du régime accouchera ce weekend d’une nouvelle équipe gouvernementale truffée d’affidés de Xi, à commencer par le probable futur premier ministre Li Qiang.
Les «hommes du président» prennent résolument les commandes de l’appareil, traduisant au niveau gouvernemental la mainmise de Xi sur le Parti, confirmé lors du triomphal 20e Congrès, en octobre.
Ils accentueront la centralisation, renforçant encore l’étatisation d’une économie dont le décollage fut porté par des entrepreneurs privés, désormais sous surveillance, à l’image de la chute de Jack Ma, le fondateur d’Alibaba.
Pékin a ainsi annoncé mardi la création de nouvelles entités administratives pour « réguler » les secteurs financiers et technologiques, et prévenir les risques de déstabilisation. «On ne peut déléguer du pouvoir sans supervision, sinon il y a un risque de détonation», a prévenu Xi, le «grand navigateur» contraint d’avancer en eaux agitées.
La pugnace détermination affichée devant les caméras camoufle l’anxiété des stratèges confrontés à des défis économiques et démographiques grandissants, dans un environnement extérieur toujours plus volatil, synonyme d’incertitude. Les coups de menton cachent le besoin tactique d’un répit pour le géant renaissant afin de combler ses lacunes technologiques et militaires, jugent certains analystes. «Le consensus à Pékin reste qu’il est dans l’intérêt de la Chine de stabiliser la relation sino-américaine afin d’assurer le développement économique pour mieux relever le bras de fer sur le long terme», juge Zhao Tong, chercheur au Carnegie-Tsinghua.
En agitant la menace d’un conflit, Pékin espère amener Washington à baisser d’un ton, tout en bombant le torse devant une opinion chinoise travaillée par la propagande.
Dans ce contexte volatile, la présidente Taiwanaise Tsai Ing-wen a choisi de rencontrer en Californie en avril, plutôt qu’à Taïpei, Kevin McCarthy, le speaker républicain de la Chambre des représentants qui préparait une visite dans l’île, aux allures de chiffon rouge pour Pékin. Échaudé par la venue de Nancy Pelosi, qui avait déclenché des manœuvres militaires chinoises de grande ampleur, en août dernier, Taïpei tente de faire baisser la température, à un an d’élections présidentielles lourdes d’enjeu pour l’avenir de l’ancienne Formose.