
Instaurée dans les années 1970, la « politique de la ville » n’a pas permis d’enrayer les problèmes rencontrés dans les banlieues.
Xavier Raufer CAUSEUR. 13 mars 2023
« Aux Aubiers, le nouveau préfet tâte le terrain » dit le quotidien local début février. « Quartier de reconquête républicaine » depuis 2018, Les Aubiers – 1 300 logements, 4 000 habitants – est l’une des plus lugubres zones hors-contrôle de Bordeaux où, de maire libéral-techno en maire écolo-bobo, une criminalité explosive a succédé à une douce quiétude.
« Tâter le terrain », pour le nouveau préfet, c’est ceci : « Quartier le plus pauvre de la région Nouvelle-Aquitaine… améliorer la vie des personnes… faire revenir les services publics… Des milliers d’habitants ont besoin que les pouvoirs publics fassent des choses utiles pour eux… ». Au préfet succèdent les usuelles pleureuses : ah lala ! La vie est dure… Tous ces « jeunes déscolarisés difficiles à approcher… Des mineurs avec des comportements d’adolescents qui troublent un peu la tranquillité du voisinage »… Quartier déstabilisé depuis la mort du petit Lionel (tué par qui ?) et l’incendie du bureau de poste (brûlé par qui ?). Mais tout s’arrange ! Baguette magique : la rénovation urbaine… 100 millions d’euros… Plus de cent opérations-logement… Restructuration des espaces extérieurs… Construction d’un groupe scolaire… Nouveau centre d’animation…. Salle polyvalente et jardins familiaux…
Misérabilisme plus projets pharaoniques : ce discours vous dit quelque chose ? Bien sûr : partout en France, on l’a déjà entendu mille fois, depuis 1983 (pile quarante ans…), quand le président Mitterrand arrivait aux Minguettes à Vénissieux. Déjà et toujours ensuite, revient le sempiternel discours du socialiste Gilbert Bonnemaison : jamais depuis, sous la Ve République, nul n’a récusé l’initial projet. Sans trêve après coup, MM Chirac, Sarkozy, Fillon etc. ont remis une pièce dans la boîte à musique, pour la même ritournelle ; la facture totale (côté pharaonique) dépassant depuis lors les 100 milliards d’euros.
Dès l’arrivée de M. Bonnemaison dans le paysage, le projet politique était clair : récupérer les « quartiers perdus » dans le giron républicain et (alors) liquider l’émergent Front national. En 1981-83, les pires zones de non-droit étaient une vingtaine ; à Marseille, certaines déjà jugées « en sécession » – mot terrible – par des élus socialistes locaux. Quarante ans après (dit le Renseignement territorial), les pires de ces quartiers sont plus de deux cents. Voici peu encore, une émeute éclatait aux Minguettes, cité sur laquelle, en quarante ans, a plu tout ce que le préfet précité promet aux Aubiers, pour un résultat final strictement semblable.
Un échec aussi colossal et abject est sans exemple sous toute la Ve République.
Résultat prévisible : il adviendra, comme lucidement décrit voici peu par un journaliste de La Provence, à propos du coupe-gorge de La Bricarde. Lisons-le de près, tout y est dit en quatre lignes : « Christine a observé la dégradation progressive de son cadre de vie. En première loge, elle a assisté aux déménagements des anciens ouvriers accédant aux classes moyennes… Les associations et militants se sont épuisés, asséchés par les autorités. Le chômage a galopé ; le trafic, pris ses aises ; puis les trafiquants, le pouvoir ». Seule amélioration du cadre de vie : grâce à des préfets comme celui de Bordeaux, ces trafiquants habitent désormais de rutilantes résidences. Mais côté crime, homicides ou stupéfiants, tout pareil.
M. le préfet ignore – comment le saurait-t-il, des sujets si vulgaires et périlleux n’accédant pas aux nobles programmes de l’ENA ou analogue – que dans une zone hors-contrôle comme les Aubiers, la Bricarde ou Les Minguettes, la vie des habitants est régie par la loi du plus fort ; la vie économique, par les trafics, stupéfiants en tête. Les fortunes amassées par ce trafic y corrompent le social, le culturel et la vie des familles. Les caïds – vraies puissances locales – y « séduisent » désormais aisément des élus locaux hypnotisés par le fric et la prochaine élection.
Des quartiers privés de tout, où la misère génère le crime ? Sur le terrain, tous – policiers et magistrats en tête – s’amusent du piteux bobard. Voici Lyon, sa zone hors-contrôle de La Duchère, 12 500 habitants, et ses supermarchés de la drogue, « Barre Sakharov » en tête. On y trouve des espaces verts… Le Parc du Vallon… Des transports en commun… Des crèches, écoles et collèges… Une bibliothèque… Des stades… Une piscine, l’été. Lisons la presse locale : « Beaucoup de barres [d’immeubles] ont disparu, pourtant la sécurité ne s’y est pas améliorée, loin de là »… 1 700 logements sociaux démolis de 2003 à 2015… Réhabiliter une seule barre coûte 19 millions d’euros.
À Reims, ville de droite libérale, la « Politique de la ville » échoit à un dirigeant de l’Armée du salut : autant confier l’antimafia sicilienne à un garde-champêtre. Le brave homme ne sait où se fourrer : « On vit dans un quartier où il y a de nombreux jeunes, où il y a de la vie… » Hélas ! Le coupe gorge a une image « un peu négative à cause des écarts de comportement qui peuvent arriver ». L’intéressé parle d’un secteur où naguère, un journaliste est laissé à demi-mort (avec lourdes séquelles) par un criminel clandestin et où, en décembre 2022 encore, éclate une guerre entre gangs (Orgeval contre Croix-Rouge) avec incendies et tirs de mortiers sur la police. Là aussi, piscine rénovée… gros travaux au stade… Mais à La Duchère, Orgeval ou à Croix-Rouge, toujours pas de sécurité pour les habitants.
Enfin, cette question pour le préfet de Bordeaux : dans la Creuse, dans les Ardennes ou dans le Cantal, combien de villes de 12 500 habitants jouissent d’un tel luxe de services ? Et dans cette France profonde, tire-t-on à l’arme de guerre sur la police ? S’y vend-il des tonnes de cocaïne ? Y fomente-t-on des émeutes ?
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Xavier Raufer
Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l’Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date: La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans.