« Politique de la ville » : un aveuglement systémique de la Ve République

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Emmanuel Macron et Gérald Darmanin lors d'une visite dans les Hauts-de-France, à l'hôtel de ville de Denain, le 11 avril 2022.

Instaurée dans les années 1970, la « politique de la ville » n’a pas permis d’enrayer les problèmes rencontrés dans les banlieues.

Xavier Raufer CAUSEUR. 13 mars 2023

« Aux Aubiers, le nouveau préfet tâte le terrain » dit le quotidien local début février. « Quartier de reconquête républicaine » depuis 2018, Les Aubiers – 1 300 logements, 4 000 habitants – est l’une des plus lugubres zones hors-contrôle de Bordeaux où, de maire libéral-techno en maire écolo-bobo, une criminalité explosive a succédé à une douce quiétude.

« Tâter le terrain », pour le nouveau préfet, c’est ceci : « Quartier le plus pauvre de la ré­gion Nouvelle-Aquitaine… améliorer la vie des personnes… faire revenir les services pu­blics… Des milliers d’habitants ont besoin que les pouvoirs publics fassent des choses utiles pour eux… ». Au préfet succèdent les usuelles pleureuses : ah lala ! La vie est dure… Tous ces « jeunes désco­larisés difficiles à approcher… Des mineurs avec des comportements d’ado­lescents qui trou­blent un peu la tranquillité du voisinage »… Quartier déstabilisé depuis la mort du petit Lio­nel (tué par qui ?) et l’incendie du bureau de poste (brûlé par qui ?). Mais tout s’arrange ! Ba­guette magique : la rénovation urbaine… 100 millions d’euros… Plus de cent opérations-loge­ment… Restructuration des espaces extérieurs… Construction d’un groupe scolaire… Nouveau centre d’animation…. Salle polyvalente et jardins familiaux…

Misérabilisme plus projets pharaoniques : ce discours vous dit quelque chose ? Bien sûr : par­tout en France, on l’a déjà entendu mille fois, depuis 1983 (pile qua­rante ans…), quand le pré­sident Mitterrand arrivait aux Minguettes à Vénissieux. Déjà et toujours ensuite, revient le sempiternel discours du socialiste Gilbert Bonnemaison : jamais depuis, sous la Ve République, nul n’a récusé l’initial projet. Sans trêve après coup, MM Chirac, Sarkozy, Fillon etc. ont remis une pièce dans la boîte à musique, pour la même ritournelle ; la facture totale (côté pharao­nique) dépassant depuis lors les 100 milliards d’euros.

Dès l’arrivée de M. Bonnemaison dans le paysage, le projet politique était clair : récupérer les « quartiers perdus » dans le giron républicain et (alors) liquider l’émergent Front national. En 1981-83, les pires zones de non-droit étaient une ving­taine ; à Marseille, certaines déjà jugées « en sécession » – mot terrible – par des élus socialistes locaux. Quarante ans après (dit le Ren­seignement territorial), les pires de ces quartiers sont plus de deux cents. Voici peu encore, une émeute éclatait aux Min­guettes, cité sur laquelle, en quarante ans, a plu tout ce que le préfet précité pro­met aux Aubiers, pour un résultat final strictement sem­blable.

Un échec aussi colossal et abject est sans exemple sous toute la Ve République.

Résultat prévisible : il adviendra, comme lucidement décrit voici peu par un journaliste de La Provence, à pro­pos du coupe-gorge de La Bricarde. Lisons-le de près, tout y est dit en quatre lignes : « Christine a observé la dégradation pro­gres­sive de son cadre de vie. En première loge, elle a assisté aux déménagements des anciens ou­vriers accédant aux classes moyennes… Les associations et militants se sont épuisés, assé­chés par les autorités. Le chô­mage a galopé ; le trafic, pris ses aises ; puis les trafiquants, le pou­voir ». Seule amélioration du cadre de vie : grâce à des préfets comme celui de Bordeaux, ces trafiquants habitent désor­mais de rutilantes résidences. Mais côté crime, homicides ou stupéfiants, tout pareil.

M. le préfet ignore – comment le saurait-t-il, des sujets si vulgaires et périlleux n’ac­cédant pas aux nobles programmes de l’ENA ou analogue – que dans une zone hors-con­trôle comme les Aubiers, la Bricarde ou Les Minguettes, la vie des habitants est régie par la loi du plus fort ; la vie économique, par les trafics, stupéfiants en tête. Les fortunes amassées par ce trafic y cor­rompent le social, le culturel et la vie des familles. Les caïds – vraies puissances lo­cales – y « sé­duisent » désormais aisément des élus locaux hypnotisés par le fric et la pro­chaine élection.

Des quartiers privés de tout, où la misère génère le crime ? Sur le terrain, tous – policiers et ma­gistrats en tête – s’amusent du piteux bo­bard. Voici Lyon, sa zone hors-contrôle de La Du­chère, 12 500 habitants, et ses supermarchés de la drogue, « Barre Sakharov » en tête. On y trouve des espaces verts… Le Parc du Vallon… Des transports en commun… Des crèches, écoles et collèges… Une bibliothèque… Des stades… Une pis­cine, l’été. Lisons la presse locale : « Beaucoup de barres [d’immeubles] ont disparu, pourtant la sécurité ne s’y est pas améliorée, loin de là »… 1 700 logements sociaux démolis de 2003 à 2015… Réhabiliter une seule barre coûte 19 millions d’euros.

À Reims, ville de droite libérale, la « Politique de la ville » échoit à un dirigeant de l’Ar­mée du salut : autant confier l’antimafia sicilienne à un garde-champêtre. Le brave homme ne sait où se fourrer : « On vit dans un quartier où il y a de nombreux jeunes, où il y a de la vie… » Hélas ! Le coupe gorge a une image « un peu négative à cause des écarts de com­portement qui peu­vent arriver ». L’intéressé parle d’un secteur où naguère, un journaliste est laissé à demi-mort (avec lourdes séquelles) par un criminel clandestin et où, en dé­cembre 2022 encore, éclate une guerre entre gangs (Orgeval contre Croix-Rouge) avec incen­dies et tirs de mortiers sur la po­lice. Là aussi, piscine rénovée… gros travaux au stade… Mais à La Duchère, Orgeval ou à Croix-Rouge, toujours pas de sécurité pour les habitants.

Enfin, cette question pour le préfet de Bordeaux : dans la Creuse, dans les Ardennes ou dans le Cantal, combien de villes de 12 500 habitants jouissent d’un tel luxe de services ? Et dans cette France profonde, tire-t-on à l’arme de guerre sur la police ? S’y vend-il des tonnes de cocaïne ? Y fomente-t-on des émeutes ?

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Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l’Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans.

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