Renaud Girard: «Ryad-Téhéran, la percée diplomatique chinoise»

Par Renaud Girard. LE FIGARO

13 mars 2023

CHRONIQUE – Le Moyen-Orient était jusque-là l’apanage de la diplomatie américaine. Mais Pékin a parfaitement su saisir l’occasion qui s’offrait à elle.

Le vendredi 10 mars 2023, la Chine a pris le monde par surprise, en réussissant, chez elle, un très joli coup diplomatique. Elle a réconcilié le Royaume saoudien sunnite et la République islamique iranienne chiite qui, à Pékin, ont signé un accord de sécurité. Cela permettra aux deux plus grandes puissances riveraines du golfe Persique – qui sont aussi les deux plus gros fournisseurs d’hydrocarbures de la Chine – de reprendre leurs relations diplomatiques, interrompues depuis plus de sept ans.

La rupture s’était faite, en janvier 2016, après la mise à sac de l’ambassade saoudienne à Téhéran, par des foules furieuses iraniennes. Ces foules protestaient contre l’exécution par Ryad d’un célèbre chef religieux chiite, le cheikh Nimr Baqr al-Nimr. Vaste territoire sunnite ayant adopté le puritanisme wahhabite à la fin du XVIIIe siècle, l’Arabie saoudite a chez elle une minorité chiite représentant 10 % de sa population totale. Cette minorité, qui habite les zones côtières du Golfe où se concentrent les principales réserves pétrolières, s’estime discriminée par le régime saoudien.

À l’occasion des printemps arabes de 2011, le cheikh Nimr s’était engagé dans la contestation politique des autorités saoudiennes, tout en prônant la non-violence. Il fit peur au régime de Ryad, car il comptait de très nombreux disciples, non seulement dans la région saoudienne de Dhahran, mais aussi à Bahreïn (royaume dirigé par une famille sunnite alliée des Saoud, mais dont la population est majoritairement chiite). Il fut arrêté en juillet 2012, puis condamné à mort pour sédition par un tribunal spécial.

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La rupture s’était également produite dans un contexte de relations politiques très dégradées entre la monarchie saoudienne et la République islamique iranienne. La seconde reprochait à la première sa guerre, lancée en mars 2015, contre les houthistes yéménites de Sanaa. En conflit avec les sunnites d’Aden, les montagnards houthistes sont des chiites, aidés plus ou moins clandestinement par Téhéran. L’accord irano-saoudien de Pékin va permettre de consolider la trêve négociée par les Nations unies au Yémen en août 2022.

Cette médiation représente une percée diplomatique chinoise au Moyen-Orient, région qui était jusque-là l’apanage de la diplomatie américaine. Avec intelligence, les Chinois ont su profiter des mauvaises relations qu’entretiennent Joe Biden et MBS (Mohammed Ben Salman, le prince héritier gouvernant effectivement le royaume saoudien). Orgueilleux comme le sont souvent les princes arabes, MBS n’avait pas du tout apprécié l’engagement électoral qu’avait pris Joe Biden de le traiter «en paria». Biden avait réagi ainsi après l’assassinat clandestin, en octobre 2018, dans les locaux du consulat saoudien d’Istanbul, de Jamal Khashoggi, un journaliste saoudien opposé à la guerre au Yémen, et épisodique éditorialiste au Washington Post.

La vengeance de MBS

MBS s’est vengé de son humiliation par Biden en passant un deal pétrolier avec Poutine, alors que l’invasion de l’Ukraine avait déjà commencé. Le prince saoudien a par ailleurs refusé d’augmenter sa production de pétrole, alors que Joe Biden, toute honte bue, s’était déplacé en juillet 2022 à Jeddah pour le lui demander.

Le jeune chef de l’Arabie saoudite n’est bien sûr pas antiaméricain par nature. Il entretient d’excellentes relations avec Donald Trump, et a investi 1 milliard de dollars dans le fonds monté par son gendre, Jared Kushner. Les Américains aimeraient bien que l’Arabie saoudite adhère aux accords d’Abraham, qui ont vu trois nouveaux États de la Ligue arabe – les Émirats arabes unis, Bahreïn et le Maroc – ouvrir des relations diplomatiques avec Israël. Mais MBS n’est pas prêt à faire de cadeau à Joe Biden. Il a adopté une démarche strictement transactionnelle, demandant en échange à Washington des garanties claires de sécurité et des armements sophistiqués que ni la Maison-Blanche, ni le Congrès, ne sont prêts à lui accorder pour le moment.

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L’Iran, pour sa part, a tout intérêt à se réconcilier avec ses riches voisins sunnites du Golfe. La République islamique n’est pas en position de force, affaiblie économiquement par les sanctions américaines, et politiquement par la contestation d’une jeunesse urbaine attachée aux droits des femmes. D’une manière plus large, la population iranienne est lasse des ruineuses dépenses des pasdarans à l’étranger, visant à instaurer un axe chiite Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth-Sanaa.

La diplomatie chinoise a parfaitement su saisir l’occasion qui s’offrait à elle. Elle renforce l’image que veut donner de son pays le nouveau premier ministre Li Qiang: une Chine qui préfère le commerce à la guerre comme instrument des relations internationales et qui reproche à l’Amérique de se comporter en puissance impériale belliciste. Voilà un contexte pas inintéressant pour le président français, qui sera en visite à Pékin au début d’avril 2023…

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