Iris Bridier 17 mars 2023. BOULEVARD VOLTAIRE
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Il fallait une certaine dose de courage pour l’anthropologue et chercheuse au CNRS, qui savait pertinemment que « le travail d’enquête est très difficile pour deux raisons : le caractère secret de la confrérie et, déjà à l’époque, la suspicion de racisme qu’entraîne, dans la gauche majoritaire des universités, le fait de s’interroger sur les aspects problématiques de la religion des migrants ». Se défendant de toute démarche militante ou complotiste, la scientifique nous livre le fruit d’années d’observation et de réflexions nourries par de nombreux témoignages. En découle une étude de référence retraçant l’arrivée des Frères musulmans en Europe et la façon dont ils sont parvenus à appliquer leur projet. Aussi inquiétant que passionnant, son livre dévoile le plan et les méthodes du système frériste, qu’elle définit comme « l’idéologie d’un mouvement missionnaire mondialisé ».
Cet ouvrage est inédit parce qu’il est le premier à retracer l’histoire des idées de l’islamisme en Europe. Matériau riche qui devrait servir de base à un véritable débat dans notre société, il est, depuis sa publication, conspué et son auteur, Florence Bergeaud-Blackler, menacée de mort pour avoir décrit l’instauration d’une société islamique mondiale d’une part, et mis en lumière la naïveté quand ce n’est la complaisance de nos élites d’autre part. Elle prévient : « L’impact de la montée du fondamentalisme musulman n’est pas circonscrit à la population musulmane, il a modifié noc comportements, notre façon de penser en conditionnant notre expression. »
Transformation lente de notre société
Elle évoque une rencontre qui l’a marquée particulièrement : la première fois qu’elle entre dans une mosquée. C’était en 1992, à Bordeaux, et l’étudiante en licence d’ethnologie se souvient d’« avoir posé assez directement la question « Êtes-vous des Frères musulmans » et d’avoir obtenu en réponse le sourire crispé d’un de mes interlocuteurs ». Face au malaise palpable, elle comprend immédiatement et écrit : « Je ne poserai plus jamais la question. » Devenue spécialiste du sujet, elle remarque que la plupart de ses collègues sociologues « restent aveugles à la spécificité des Frères qui sont autre chose qu’un mouvement simplement politique ». Elle montre, au fil des chapitres, que ces « kamikazes au ralenti » ont en réalité une vision à long terme, ils temporisent et attendent le moment propice…
Florence Bergeaud-Blackler dépeint, au travers de ces pages, la transformation lente et perceptible de notre société irriguée par l’influence islamiste qui s’est progressivement infiltrée par capillarité « dans les institutions, les associations les entreprises ». Elle rappelle comment les Frères ont eu l’occcasion de représenter l’islam européen dans les institutions, il y a vingt ans, comment la Commission européenne « affiche son souhait de coopérer avec les acteurs modérés de l’islam » mais se révèle incapable de « se doter de critères de modération et encore moins de vérifier que les représentants qui frappent à sa porte les remplissent, elle croit sur parole ceux qui se revendiquent tels ». Et comment « le Conseil de l’Europe joue un grand rôle dans l’exportation et la propagande du concept d’islamophobie en promulguant deux recommandations : la nécessité de ne pas offenser les religions et leurs fidèles d’une part et celle de lutter contre les discours de haine sur les réseaux sociaux d’autre part ».
La France doit payer son tribut
L’auteur évoque ces associations et centres islamiques ouverts partout en France, ces champs investis de l’aide sociale ou l’aide aux devoirs, ces rappeurs reprenant « les principaux thèmes du frérisme : l’arabe, la primauté de la loi islamique, la suprématie de l’islam, l’obligation de la da’wah, la décolonisation, l’antisémitisme, l’indigénisme », mais également le développement des médias islamiques destinés à forger chez les plus jeunes une « identité islamique forte ».
On frémit à la lecture de son constat : « Le programme s’est presque déroulé comme prévu. » Et de fait, comme prévu, « une opinion publique musulmane a vu le jour, notamment dans les métropoles des pays occidentaux où les musulmans comptent de plus en plus comme force sociopolitique. Le monde a accepté très largement l’idée d’une identité et même d’une culture islamique globale par le marché halal et l’économie islamique globale. » Elle appelle à prendre très au sérieux le frérisme, à ne pas sous-estimer le danger. Elle réfute l’idée selon laquelle les musulmans mal intégrés ont trouvé refuge dans l’islam radical. Au contraire, « c’est l’islamisme, ici le frérisme, qui empêche l’intégration […] à la France de s’adapter aux musulmans, c’est le tribut qu’elle doit payer pour avoir colonisé une partie du monde musulman ». Enfin, elle livre quelques pistes pour lutter contre « ce mouvement qui s’inscrit dans une trajectoire historique et aspire à une fin programmée de l’Histoire ». Parmi elles, l’urgence de se réarmer intellectuellement et ce conseil : « Une société qui veut vaincre le frérisme doit sortir de la culpabilité, elle doit assumer ses erreurs sans cultiver la repentance. » On ne pourra pas dire qu’on ne savait pas. À lire de toute urgence pour ne pas périr par ignorance.
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Iris Bridier
Journaliste à BV