Mathieu Bock-Côté: «Une crise de régime qui ne dit pas son nom»

LE FIGARO 19 mars 2023

CHRONIQUE – Le pays ne serait pas aussi inflammable s’il n’était engagé dans une crise de régime de longue durée et que la plupart des commentateurs refusent d’envisager sérieusement.

Les scènes de violence qui ont suivi jeudi 16 mars l’adoption du projet de loi sur les retraites par 49.3 étaient prévisibles, et probablement inévitables. Non pas d’abord à cause des tensions extrêmes qui traversent la France, mais parce que l’ultragauche allait chercher à profiter des événements pour les radicaliser, et pousser le pays vers un chaos d’apparence qu’elle croit susceptible d’ouvrir une brèche révolutionnaire, dans laquelle elle rêve de s’engouffrer. Cette ultragauche de casseurs hypnotisés par la rixe a la psychologie et le comportement des sections d’assaut et n’est pas loin d’érotiser la violence révolutionnaire.

Dans une société apaisée, cette mouvance est contenue dans les marges, et attire essentiellement des ratés et des éléments antisociaux qui trouvent dans le fanatisme idéologique le prétexte pour justifier leur passion de la destruction. Dans une société en crise, elle croit sa chance venue. C’est la lie de la société qui cherche à incendier Paris. Et ceux qui brûlent en effigie le président de la République et ses ministres confessent une pulsion morbide qu’il faut prendre au sérieux et dénoncer sans nuances. Cette ultragauche a toutefois la capacité d’entraîner une partie du mouvement social avec elle, surtout sa frange tentée par ce qu’on aurait appelé autrefois un baroud d’honneur.

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Car le pays ne serait pas aussi inflammable s’il n’était engagé dans une crise de régime de longue durée, qui n’ose dire son nom, et que la plupart des commentateurs refusent d’envisager sérieusement. Elle se dessine depuis trente ans, et culmine dans la situation présente, où la classe politique autorisée semble de plus en plus se barricader dans les institutions de la République. Ce qui n’est pas sans lien avec son isolement sociologique, la macronie semblant se confondre davantage avec une classe sociale qu’avec un courant politique.

Quant aux représentants des catégories populaires présents à l’Assemblée, il n’est pas permis de les considérer, puisqu’ils se trouvent de l’autre côté du cordon sanitaire, auquel s’accroche désespérément la classe dirigeante, en laissant croire que la mouvance populiste est un rassemblement de factieux, de fascistes et de faquins. Le régime ne pardonne pas toutefois à ces «populistes» d’avoir respecté les usages parlementaires et d’avoir refusé l’appel à la rue: ils sont accusés de porter un masque républicain pour mieux dissimuler leur vraie nature. Quant à la gauche radicale parlementaire, elle a beau zadifier l’Assemblée, elle conserve ses titres républicains. Ce n’est pas un détail de rappeler que la gauche modérée s’est reconstituée dans la rue, à travers la figure de Laurent Berger, véritable leader de l’opposition à la réforme, ayant réussi, jusqu’à jeudi soir, à ce qu’elle ne dérape pas.Le système politique français ne parvient plus à produire une adhésion populaire profonde

Emmanuel Macron, à la dernière élection présidentielle, n’a obtenu, au deuxième tour, qu’une majorité par défaut, qui fonde une légitimité essentiellement négative. Le système politique français ne parvient plus à produire une adhésion populaire profonde. Cela n’est pas sans lien avec l’incapacité du pouvoir à mener cette réforme et à la faire adopter par l’Assemblée. Il se tourne alors vers la rhétorique de la nécessité, les grands chefs sachant apparemment dans l’histoire défier leur peuple rétif au nom de l’intérêt supérieur du pays. Mais dans un pays où la légalité se découple de plus en plus de la légitimité, cela n’est pas sans risque.

On a rappelé avec raison qu’un tel projet, à l’échelle de l’Europe, est une réforme mineure, presque technique et se justifie selon les exigences de la raison comptable. On pourrait ajouter que le désir de sauvegarder à tout prix un régime de retraite par répartition relève aujourd’hui de l’anachronisme politique et témoigne de la force d’inertie d’un socialisme encastré dans l’organisation du pays, dont il faudrait enfin s’extraire, pour libérer ses énergies. Autant la social-bureaucratie se déploie presque naturellement, en poussant à l’assistanat, et en décourageant le travail, autant il est difficile de la faire refluer.

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Mais c’est moins le projet du gouvernement qui fut au centre de la bataille des dernières semaines qu’un profond malaise qui ne peut s’éteindre dans les circonstances actuelles. Il se pourrait que la France s’apaise néanmoins dans les prochaines semaines. Un pays ne peut pas toujours vivre dans l’exaltation révolutionnaire, même si on gratifie sa population du beau titre de «peuple politique». Il se pourrait aussi qu’il soit pris de convulsions plus ou moins violentes. Dans les deux cas, toutefois, le pourrissement de la vie collective va se poursuivre. Le pouvoir devrait se demander pourquoi il ne comprend tout simplement plus son peuple, avec ses grandeurs et ses misères.

Cela impliquerait toutefois de savoir ce qu’est un peuple, de comprendre les passions qui le meuvent, les craintes qui le braquent.

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