À Paris, ces drôles d’écolos qui défendent les rats

Par Stéphane Kovacs

LE FIGARO, 23 Mars 2023

Avec l’accumulation de déchets alimentaires dans les rues, la prolifération des rongeurs pourrait rapidement devenir très difficile à contenir. La descendance théorique d’un couple de rats peut atteindre 1000 petits en seulement une année. François BOUCHON/Le Figaro

ENQUÊTE – À Paris, les défenseurs des «surmulots» s’épouvantent de leur «stigmatisation», des méthodes létales employées et prônent «une cohabitation pacifique».

Saviez-vous que les rats rient quand on les chatouille? «Brisons les clichés sur les rats!», apostrophent les affiches de l’association Paris animaux zoopolis (PAZ)«Émotions, intelligence, altruisme, vie sociale, souffrance… nous partageons l’essentiel», proclament-elles, en rose, sous deux frimousses moustachues. À moins de 500 jours des Jeux olympiques, et alors que les poubelles éventrées jonchent les trottoirs de la capitale, allons-nous devoir «partager l’espace urbain entre humains et animaux non-humains de façon pacifique», comme le recommande PAZ?

«Il n’y a jamais eu autant de rats en surface, affirme Romain Lasseur, docteur en toxicologie animale. On vient de boucler une étude avec les professionnels de la dératisation: le nombre d’interventions a bondi de 35 % en France, en un an! Paris, Marseille, Lyon, Bordeaux et maintenant Nantes… Toutes les grandes métropoles sont touchées. Les villes où l’exécutif, sous la pression des écologistes, a baissé les bras…» Du rat au «surmulot», assure Douchka Markovic, conseillère de Paris et coprésidente du Parti animaliste, «c’est, plus que de la sémantique, un sujet politique!».

À Paris, cela fait des années que l’on «cohabite», plus ou moins pacifiquement, avec les «surmulots» – selon le vocable préconisé par le Parti animaliste pour «ne pas stigmatiser» les rats. Puisqu’ils sont «nos auxiliaires de la maîtrise des déchets» , souligne Douchka Markovic, ne faudrait-il pas «mieux les connaître» plutôt que les tuer? «On estime que les rats mangent plusieurs tonnes de déchets par jour, détaille l’élue. Contrairement aux idées reçues, ils sont des atouts plutôt que des problèmes pour maintenir efficacement l’hygiène des métropoles. Nous devons changer de paradigme. Nous interroger sur les surmulots et leur manière de vivre, afin de trouver des méthodes efficaces et éthiques.»

Alternatives non létales

Porter «un autre regard sur les animaux liminaires», ni domestiques ni sauvages, c’est aussi ce que prône l’association PAZ. «Aujourd’hui, dans sa conception, l’espace urbain est exclusivement réservé aux humains. Nous devons en finir avec cette conception anthropocentrée, assène-t-elle. La politique séparatiste, conduite par la mairie de Paris à l’égard des rats, entre le dessus (les espaces verts) et le dessous (les égouts) est injuste. De quel droit privons-nous certains animaux de tout accès à la lumière du jour?» Faute d’étude scientifique, déplore-t-elle, l’évolution du nombre de rats à Paris n’est pas connue. «On ne veut pas se donner les moyens!, s’indigne Amandine Sanvisens, cofondatrice de PAZ. La mairie de Paris recourt, pour diminuer la population de rats, à l’empoisonnement massif et généralisé. Sont utilisés des anticoagulants, qui provoquent des hémorragies internes, et des pièges à alcool dans lesquels les rats se noient. Cette politique, à court terme, ne peut aboutir qu’à l’apparition de rats particulièrement résistants aux anticoagulants, dont il sera de plus en plus difficile de “venir à bout”. Nous sommes favorables à la limitation des populations, si cela est nécessaire, mais nous nous opposons fermement aux méthodes létales. Aujourd’hui, il y a des méthodes contraceptives par voie orale qui fonctionnent! On pourrait aussi déployer des poubelles hermétiques.»

L’association a écrit, voilà plus d’un an, avec d’autres défenseurs des animaux, à Anne Hidalgo, pour demander la création d’un groupe de travail sur des alternatives non létales. «À ce jour, nous n’avons reçu aucune réponse, constate Amandine Sanvisens. Quant aux Verts, pour des raisons politiciennes, ils ont voté contre le vœu de la droite sur ce groupe de travail ; ça m’écœure.»

Il y a beaucoup de sectarisme à l’Hôtel de Ville : pour ne pas fâcher le parti animaliste, on ne s’empare pas du sujet, alors que ça devrait être une prioritéGeoffroy Boulard, maire (LR) du 17e arrondissement,

La mairie de Paris n’a pas non plus répondu au Figaro. Déployé en 2017, son «plan d’action à grande échelle» comporte deux axes: une lutte directe pour réduire la population (pièges, raticides…) et des actions pour limiter les «voies de passage», les possibilités de nichage, et l’accès aux déchets (nouveaux conteneurs, campagne de sensibilisation auprès du public). Sans oublier la sanction des personnes qui jettent de la nourriture dans les rues: 438 verbalisations ont été dressées en 2020 pour ce motif. Financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) et porté par le Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), l’Institut Pasteur, VetAgro Sup et Sorbonne Université, en partenariat avec la ville de Paris, un projet, baptisé Armaguedon, a été lancé en 2021, «pour une gestion plus éthique et efficace». Avec trois objectifs: «Décrire la biologie et l’écologie des rats de Paris»«comprendre les risques de transmissions de maladies»«lutter contre les préjugés pour aider les Parisiens à mieux cohabiter avec les rats». Mais impossible d’en savoir davantage: «Ce projet est un peu en pause en ce moment», bredouille-t-on au MNHN.

«Entre le bien-être du rat d’égout et la santé publique, faut-il choisir?», s’exclamait en juillet dernier, dans un communiqué, l’Académie nationale de médecine. «Qu’on le nomme Rattus norvegicus, rat brun ou surmulot, c’est la plus nuisible des espèces commensales de l’homme en raison de ses grandes capacités d’adaptation, de ses exigences alimentaires, de son intense prolificité et, surtout, des zoonoses bactériennes, virales et parasitaires dont il peut être vecteur, martelait-elle. Face à l’ingénuité (des propos de certains défenseurs de la condition animale, NDLR), il importe de rappeler que le rat reste une menace pour la santé humaine en raison des nombreuses zoonoses transmissibles par ses exoparasites, ses déjections, ses morsures ou ses griffures. Les urines du rat peuvent contaminer l’environnement par des leptospires ; il est le principal réservoir mondial de la leptospirose, maladie redoutable pour les personnes exposées professionnellement (égoutiers)». Et de préconiser «de vigoureuses campagnes de dératisation» et «un plan de propreté urbaine pérenne» pour supprimer l’accès des déchets alimentaires aux rongeurs.

Des pièges connectés

Depuis 2018, ce sont près de 7000 rats qui ont été signalés, morts ou vivants, sur le site Signalerunrat.paris. Contraint à l’époque de fermer, pendant deux mois, un square, deux crèches et une cour d’école envahis par les rongeurs, le maire LR du 17e arrondissement, Geoffroy Boulard, avait créé cette plateforme de signalement en temps réel. Bientôt doublée d’une brigade citoyenne bénévole. «J’ai proposé à la mairie de Paris d’étendre le système à toute la capitale, explique-t-il. Mais il y a beaucoup de sectarisme à l’hôtel de ville: pour ne pas fâcher le parti animaliste, on ne s’empare pas du sujet, alors que ça devrait être une priorité. Aujourd’hui, il y a moins de dix personnes pour gérer les problématiques d’hygiène publique, et les moyens matériels ne suivent pasMettre des boîtes noires dans les parcs, sans anticoagulants dedans, ça sert à rien!» Les techniques? «Elles sont variées: glace carbonique, raticides, piégeage, énumère l’élu. On essaie toujours d’être à la pointe de l’innovation. On est en train d’expérimenter des pièges connectés qui ne font pas souffrir. En tout cas j’assume complètement: je ne peux pas laisser proliférer des espèces nocives pour l’homme.» Même si «les résultats sont un peu faussés actuellement avec les dépôts d’ordures», un piège connecté capture «entre 7 et 14 rongeurs par nuit» . Piégeur agréé, chef de la brigade citoyenne, Jacques d’Allemagne rappelle que, «selon une étude effectuée en 2020, 40 % des rats capturés étaient résistants aux anticoagulants classiques utilisés par la mairie de Paris»«L’intérêt de la glace carbonique, c’est que c’est un produit non toxique, qui chasse l’air dans un endroit confiné: elle tue tous les occupants d’un terrier d’un seul coup et les rats terminent en engrais, explique-t-il. Quelquefois, il y en a tellement dans les parcs, que les jardiniers exercent leur droit de retrait. On a eu des logements sociaux, dont les habitants avaient tellement peur qu’ils ne descendaient pas leurs poubelles, mais les jetaient par les fenêtres! Quand vous n’apportez pas de solution aux gens, ils se débrouillent comme ils peuvent. J’en ai vu qui essayaient des recettes trouvées sur internet: des boulettes de viande avec du verre pilé, par exemple, avec toutes les conséquences que ça peut avoir sur les animaux domestiques. Et le bruit court en ce moment que de la mort-aux-rats serait déposée près des poubelles…»

Malgré «les discours alarmistes de certains élus», qui «participent à créer une hystérie collective», la population aurait «des attentes très fortes sur la cause animale», estime Amandine Sanvisens. Selon une étude de l’Ifop réalisée en 2020, 61 % des Parisiens sont «favorables à ce que la mairie utilise une alternative non létale concernant les rats»«Un phénomène intéressant est que les jeunes ont une meilleure image des rats que les plus vieux, pointe la cofondatrice de PAZ. C’est “l’effet Ratatouille”» : ceux qui ont vu le film d’animation, qui raconte les aventures du rat Rémy, chassé par les méchants humains, sont peut-être plus disposés à «briser les clichés»

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De là à venir chatouiller les rats… «Si on croise un rat dans un parc, c’est pas la fin du monde , rétorque Amandine Sanvisens. Leur premier réflexe, c’est d’ailleurs de fuir. Ils font leur vie, on fait notre vie, il faut arriver à cohabiter sans leur déclarer la guerre.» «Non, il n’y a pas de risque sanitaire!», a abondé, sur BFMTV, Anne Souyris, adjointe chargée de la Santé publique à la mairie de Paris, questionnée sur l’hypothèse où des enfants se retrouveraient «nez à nez avec un rat». De quoi faire bondir Romain Lasseur, qui a «fait son doctorat sur la biologie du rat en ville et les liens avec les maladies infectieuses» «Va-t-on bientôt nous expliquer comment cohabiter avec les punaises de lit?» «On compte environ 700 cas par an de leptospirose en France, dont 10 % sont mortels, souligne-t-il. Il y a donc chaque semaine des gens qui meurent de cette maladie du rat”. Et une récente étude américaine révèle que de nouveaux variants pourraient émerger à cause de rats porteurs du Covid-19! Les associations comme PAZ ont aussi fait avancer les choses, en faisant prendre conscience de la souffrance des animaux. Donc le rat est un animal sensible, et puis maintenant on fait quoi?» Avec l’accumulation de déchets alimentaires dans les rues, la prolifération des rongeurs pourrait rapidement devenir très difficile à contenir: «Il est plus que temps d’identifier des solutions, certainement pas de mieux comprendre le rat!, alerte Romain Lasseur. Car il régule sa natalité en fonction de la disponibilité de la nourriture. Si les femelles sont bien nourries, on va constater un pic de natalité dans trois à quatre semaines.» Maturité sexuelle à 3 mois, 24 jours de gestation, 7 petits par portée, un minimum de 5 portées par an… À ce rythme, la descendance théorique d’un couple de rats peut atteindre 1000 petits rats en seulement une année.

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