
« Macron en Chine ou la destruction de toute ambition nationale française à l’international »
Par Pierre Lellouche , ancien ministre, président de l’association « Les Chantiers de la Liberté ». Membre émérite du Conseil de la NTI (Washington)
MARIANNE, Publié le 04/04/2023
Le chef de l’État français entamera mercredi 5 avril son voyage en Chine. Mais pas seul, en compagnie d’Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne. Faut-il voir dans ce duo la fin de la singularité gaulliste en matière de politique étrangère ou la concrétisation d’une « souveraineté européenne » ?
Comme Tintin dans Le Lotus Bleu, Emmanuel Macron s’est cru obligé d’emmener à Pékin, début avril, sa capitaine Haddock à lui, l’ineffable Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne. On ne sait si Milou, je veux dire Josep Borrell, le « ministre des Affaires étrangères de l’Union européenne », sera lui aussi dans les bagages présidentiels pour cette expédition sans précédent. Mais l’événement, car c’en est un, mérite qu’on s’y arrête. Jusqu’ici, en effet, on avait cru naïvement que la France, puissance nucléaire et membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, était encore capable de conduire souverainement sa politique étrangère comme jadis un certain général de Gaulle, qui avait, le 27 janvier 1964, reconnu la République populaire de Chine, présidée à l’époque par Mao Tsé-toung. Avec ces mots : « En vérité, il est clair que la France doit pouvoir entendre directement la Chine, et aussi s’en faire écouter ».
L’affaire avait fait grand bruit à l’époque. Les deux pays avaient accédé à l’arme atomique à peu près au même moment, au début des années 1960, l’un pour s’émanciper de la tutelle anglo-saxonne, l’autre pour marquer son indépendance à l’égard de l’URSS. Mais l’heure n’est plus, côté français en tout cas, à l’ambition d’une voix « singulière », et encore moins d’un « rang » pour la France dans les grandes affaires du monde : Macron, en militant européiste convaincu, tout autant qu’en activiste de la mondialisation heureuse où il excella jadis comme banquier, a depuis longtemps troqué l’ambition nationale pour une imaginaire « souveraineté européenne ». L’invitation de la Commission européenne et de sa présidente à une visite bilatérale de grande importance avec la première puissance de la planète procède de cette conviction.
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Elle n’en signale pas moins cependant une étape clé dans la destruction de toute ambition nationale française à l’international. D’autant qu’on avait cru comprendre que ni la Commission européenne, ni sa présidente, nommés par les États, ne disposaient de la moindre légitimité pour conduire la diplomatie, et encore moins la guerre, à la place des États démocratiquement élus, quels que soient les efforts médiatiques autant que bureaucratiques déployés inlassablement en ce sens par l’infatigable Ursula von der Leyen, à l’occasion du conflit ukrainien. On avait cru noter aussi que ladite Commission européenne ne s’était pas fait remarquer récemment pour ses bonnes manières à l’égard de la France, infligeant au contraire défaite sur défaite aux tentatives françaises de peser sur la fixation du prix de l’électricité ou sur le financement du nucléaire dans « la taxonomie » verte de l’Union. À croire que, contrairement à sa réputation, le Président français, finalement, n’est pas si rancunier que cela… Mais au-delà des caprices de Jupiter, ce curieux tandem Pékinois est aussi le révélateur d’un déclassement plus grave encore de notre pays.
L’HOMME MALADE DE L’EUROPE
La France, est bel et bien devenue l’homme malade de l’Europe, avec ses manifestations de masse contre la réforme des retraites, ses 3 000 milliards d’euros de dette, son déficit extérieur record à 160 milliards dont un quart avec la Chine (39,6 milliards d’euros en 2021), ses millions de pauvres et de chômeurs ou ceux qui survivent au RSA ou à l’aide alimentaire, son immigration incontrôlée (320 000 premiers titres de séjour et 150 000 demandeurs d’asile en 2022), sa désindustrialisation au profit de la Chine notamment, la panne de ses centrales nucléaires et de ses hôpitaux. Cette France-là, de toute évidence, ne se sent plus assez forte pour parler seule, d’égale à égale, avec la Chine. Elle cherche des appuis.
« On se demande dès lors jusqu’où Emmanuel Macron poussera l’abaissement international de la France. »
En novembre 2022 déjà, Emmanuel Macron avait tenté, mais en vain, de s’inviter au voyage officiel du chancelier Olaf Scholz à Pékin, avec l’argument que l’Europe est « plus forte quand elle parle unie » à la Chine. Le problème est que l’Allemagne n’est pas partageuse. Elle est omniprésente en Chine avec 5 200 de ses entreprises présentes, à commencer par le conglomérat BASF qui vient d’investir 10 milliards d’euros dans ce pays, avec la moitié des ventes de Volkswagen, sans parler de l’achat de 30 % du port de Hambourg par l’armateur chinois Cosco. Olaf Scholz, lui, on le comprend, n’a besoin de personne et préfère parler seul avec Xi Jinping. Privé de la compagnie du chancelier allemand, le président français s’est donc rabattu sur la présidente de la Commission européenne afin de tenter de peser un peu plus sur l’écran radar des Chinois.
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Mais quel triste aveu du déclassement de la France ! Qui va de pair avec son expulsion de l’indo-pacifique par nos alliés américains en septembre 2021 : l’AUKUS se fera sans nous, avec en prime, l’humiliation subie dans l’affaire des sous-marins australiens. Suivie en 2022 de l’autre expulsion d’Afrique, cette fois par les Russes de Wagner. Autant de revers qu’aggrave un peu plus l’échec des maladroites tentatives françaises de médiation dans le conflit ukrainien, où, après avoir beaucoup téléphoné à Vladimir Poutine, Emmanuel Macron s’est finalement résolu à sauter dans le wagon européen et atlantiste, abandonnant toute velléité de peser sur le cours de la guerre. L’ambition d’une voix française « singulière » a désormais définitivement disparu, au milieu des sarcasmes cruels des Polonais, Baltes et autres Ukrainiens, qui ont même inventé le verbe « macronner », signifiant « parler pour ne rien dire ».
N’EST PAS DE GAULLE QUI VEUT
On se demande dès lors jusqu’où Emmanuel Macron poussera l’abaissement international de la France. Lui qui s’est donné comme objectif de détruire notre appareil diplomatique, n’a pas tiré la moindre conséquence sérieuse de la guerre en Ukraine sur le format et le financement de nos armées, lesquelles, malgré les annonces tonitruantes d’une nouvelle loi de programmation militaire, resteront cantonnées à l’existant, ou à peu près, soit 1,9 % du PIB. Loin, très loin, du réarmement des Polonais, des Baltes, de l’Allemagne, et bien sûr des États-Unis.
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À la recherche d’un rôle, et faute d’avoir réussi à imposer la France comme médiateur dans le conflit ukrainien, Emmanuel Macron va donc s’évertuer à convaincre la Chine, de devenir, elle, la faiseuse de paix sur le continent européen. Cela tombe bien, c’est exactement cela que Xi Jinping entend faire : après s’être imposé comme le maître d’œuvre spectaculaire de la réconciliation entre l’Arabie saoudite et l’Iran au Moyen-Orient, après avoir proclamé à Moscou son amitié avec la Russie contre l’Occident et les États-Unis, il sera sans doute demain le seul en position de régler le conflit en Ukraine. Ce qui infligerait ainsi une claque historique aux États-Unis et à l’Otan, qui eux écartent toujours toute solution diplomatique avec un président russe qualifié de « tueur », désormais inculpé, sur leur insistance, par la Cour pénale internationale. Entre-temps, en prime, Xi Jinping aura réussi à enfoncer un coin entre les Américains résolus à confronter la puissance chinoise, et les Européens qui chercheront à s’en accommoder tant bien que mal. En 1964, de Gaulle avait eu raison de chercher à fissurer le duopole américano-soviétique en se rapprochant de la Chine. Soixante ans plus tard, il n’est pas sûr que le rôle le plus sage et le plus pertinent pour la France, soit de servir de marchepied à la Chine dans sa quête d’hégémonie sur le monde de demain. Mais n’est pas de Gaulle qui veut.
Par Pierre Lellouche