Gabrielle Cluzel 5 avril 2023 BOULEVARD VOLTAIRE

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Clément Weill-Raynal est journaliste, spécialiste des affaires judiciaires. Il est bien connu des lecteurs de BV pour avoir révélé l’affaire du Mur des cons, dont il a fait un livre : Le fusillé du mur des Cons. Il vient de publier Rue Copernic L’enquête sabotée 1980-2023 (éditions L’Artilleur). Il y brosse plus de 40 ans d’errements et de diversion politique. À l’occasion de l’ouverture du procès – avec un box des accusés vide ! -, Clément Weill-Raynal revient sur le traitement lunaire de l’une plus grandes affaires de terrorisme que la France a connue.
Gabrielle Cluzel : Clément Weill-Raynal, le procès de la rue Copernic – qui rappelons-le a fait quatre morts – s’est ouvert le 3 avril… mais sans l’accusé. Pensez-vous que la France va enfin savoir la vérité sur cette affaire ?
Clément Weill-Raynal : On peut raisonnablement espérer qu’une vérité judiciaire va être établie à l’issue de ce procès. Les débats devant la Cour d’assises spéciale de Paris permettront de rendre public les éléments du dossier. On saura de manière claire ce qu’il y a dans ce dossier et ce qui a justifié – après autant d’atermoiements – le renvoi de M. Hassan Diab devant une juridiction criminelle compétente en matière de terrorisme. Il bénéficie bien entendu du principe de la présomption d’innocence, comme tout justiciable, mais permettez-moi de vous assurer que les charges à son encontre sont plus que sérieuses, contrairement à ce qu’on a pu lire ici et là. Mon livre apporte à ce sujet plus d’une révélation, puisées aux meilleures sources. C’est à la suite d’une enquête exceptionnelle que les policiers et les magistrats qui se sont succédé dans ce dossier ont identifié ce ressortissant libanais qui a refait sa vie au Canada où il est devenu professeur d’université. C’est sur le fondement d’indices, de charges et de témoignages très précis et concordants que Hassan Diab a été accusé d’avoir appartenu à une ramification du groupe terroriste palestinien FPLP et d’avoir posé la bombe devant la synagogue de la rue Copernic, le 3 octobre 1980.
G.C. : Mais alors pourquoi Hassan Diab sera-t-il absent de son procès ?
C.W.-R. : Parce qu’il a été libéré de la prison française où il se trouvait ! Cette libération s’est déroulée dans des circonstances quelque peu étranges… Compte tenu des très lourdes charges retrouvées par les enquêteurs, les autorités canadiennes avaient accepté en 2014 d’extrader Hassan Diab vers la France où il a été incarcéré. Il faut quand même souligner que dès qu’il a été présenté à un juge d’instruction, il a protesté de son innocence tout en invoquant « le droit au silence » et qu’il a refusé de répondre à la moindre question du magistrat. Puis deux ans plus tard, quand un nouveau juge est arrivé dans le dossier, il a déclaré qu’il était prêt à parler. Ses explications alambiquées tiennent largement de l’esquive. Mais surtout, il a produit les témoignages de cinq anciens étudiants de la fac de Beyrouth affirmant se souvenir – à trente-six ans de distance ! – de la présence de Hassan Diab dans les locaux de l’université le jour de l’attentat. Leurs témoignages sont très fragiles, parfois même contradictoires, et ne sont étayés par aucun document écrit. Les nouveaux juges ont néanmoins estimé que ces témoignages étaient « probants » et ont accordé un non-lieu à Hassan Diab qui a pu quitter sa cellule et regagner le Canada par le premier avion.
G.C. : Le parquet a fait appel de ce non-lieu…
C.W.-R. : Oui, et cet appel est resté en carafe durant trois ans devant la chambre de l’instruction sans que rien ne se passe. En janvier 2021, la Cour d’appel s’est enfin prononcée. Elle a annulé le non-lieu, ce qui constitue une première en matière d’anti-terrorisme, et a renvoyé Hassan Diab devant la Cour d’assises. Mais ce dernier est désormais hors d’atteinte, rien ne l’oblige à se présenter devant la justice française. En cas de condamnation, il n’est pas sûr que les autorités canadiennes consentent à une seconde extradition.
G.C.: Dans votre livre, vous évoquez, je cite, « quarante ans de lâcheté et de compromission », comment expliquer cela, sachant que cet attentat avait bouleversé la France et fait la une de l’actualité durant de longues semaines ?
C.W.-R. : Le cas Hassan Diab n’est pas isolé. Il y a eu des précédents. L’histoire politico-judiciaire de ces cinquante dernières années en est jalonnée. En 1977, le chef terroriste palestinien Abou Daoud, organisateur de l’attentat des Jeux Olympiques de Munich, avait été honteusement exfiltré de France pour éviter des poursuites. En 1992, la venue à Paris du fondateur du FPLP Georges Habbache avait aussi suscité un scandale avant qu’il ne soit lui aussi invité à quitter le territoire. On le sait aujourd’hui, les autorités françaises ont passé un « pacte de non-agression » avec un autre terroriste, le sinistre Abou Nidal, dont les émissaires avait été reçus lors d’un mémorable dîner au Lido avec des policiers de la DST. Comme l’a très justement relevé le juge Marc Trévidic qui est à l’origine de l’identification de Hassan Diab « il n’a jamais été très porteur, en France, de monter un dossier sur une piste palestinienne. C’est le domaine de la politique et du renseignement, mais la justice n’y met pas souvent les pieds… ».
G.C. : Vous faites le parallèle avec l’affaire Merah, en 2012, car « même si le terrorisme palestinien d’il y a 40 ans et le djihadisme d’aujourd’hui fonctionnent sur des schémas différents, à plus de trente ans d’intervalle, les mêmes réactions de déni sont mises en place, les mêmes réflexes conditionnés sont enclenchés. Déni face au terrorisme arabo-musulman, Volonté d’allumer un contre-feu, de dresser un rideau de fumée, en organisant une vaste et vaine traque au nazi ». La ficelle ne devient-elle pas, quand même, de plus en plus grosse ?
C.W.-R. : L’attentat de la rue Copernic a été marqué dès son origine du sceau de la manipulation de l’opinion publique. Dès les premiers jours, une folle rumeur a accusé de fantasmatiques groupes néo-nazis alors que les enquêteurs avaient identifié la piste moyen-orientale. Il faut se souvenir du climat de délire politique qui a perduré durant de longs mois. Cette fake-news, comme on dit aujourd’hui, ne relevait pas seulement de la surenchère médiatique. En 1980 déjà, il s’agissait d’égarer l’opinion et de la détourner des dangers réels menaçant la société française.
