Par David Lisnard. LE FIGARO
21 avril 2023
TRIBUNE – Aujourd’hui, le militantisme prend le masque de la liberté artistique pour réclamer le confort absolu: fustiger les principes républicains avec l’argent du contribuable, s’inquiètent la vice-présidente à la Culture du conseil départemental du Val-de-Marne Déborah Münzer et David Lisnard, le maire de Cannes**.
* Déborah Münzer est maire adjointe de Nogent-sur-Marne. **David Lisnard est président de Nouvelle Énergie. Il a notamment publié «La culture nous sauvera» (L’Observatoire, 2021) et «Le Réveil de la droite» (Télémaque, 2023).
Après l’appel d’une députée à retirer un tableau jugé choquant exposé au Palais de Tokyo, des directeurs de grands musées viennent de publier une tribune dans Le Monde en faveur de la liberté artistique (donc d’expression) dans leurs établissements, qu’ils concluent ainsi: «Plus encore que la censure, nous devons craindre l’autocensure.» C’est bien le défi qu’il nous faut relever. Car la situation est critique et les attaques contre les œuvres sont aussi souvent l’expression de ceux qui se réclament d’un «progressisme sociétal» ou de la lutte contre les discriminations.
Nos guichets locaux, qui accompagnent la création artistique et les politiques culturelles (trois quarts des financements publics dans la culture viennent des collectivités), sont sursollicités par des propositions aux motifs sociétaux ou identitaires qui vont jusqu’à dissimuler les ambitions artistiques. La course au message militant fait que l’argent public se retrouve occasionnelle-ment à financer, donc à encourager, des projets dont les idéologies ne sont pas compatibles avec nos valeurs universelles et principes républicains.
Depuis quelques saisons, une version d’Antigone veut «donner à voir et à entendre une jeunesse des quartiers populaires qui ne se résout pas au fatalisme, ni aux spirales du sacrifice, malgré les destins conditionnés auxquels les structures sociales l’assignent». Antigone y est une jeune fille voilée qui se bat contre un Créon proviseur «laïc». L’héroïne souhaite enterrer son frère terroriste mort avec les mêmes honneurs que son autre frère, victime de violences policières. La pièce fut coproduite et aidée par plusieurs organismes et théâtres publics, dont un centre dramatique national (CDN).
Libre à chacun de créer et de proposer des formes artistiques qui se fondent sur telle ou telle identité, qui soient « documentées », « performatives » ou « explicatives ». Mais sans argent des contribuablesDéborah Münzer et David Lisnard.
Le Festival d’Automne 2022, dont une carte blanche est confiée aux «Chichas de la pensée», donne lieu à une conférence sur les «loups musulmans»: les musulmans seraient comme des loups indomesticables par l’État français, la chasse aux loups dans les Pyrénées comparable à de l’islamophobie, la lutte contre l’islamophobie devrait donc converger avec l’antispécisme.
Une metteuse en scène propose «avec fierté et sans fausse pudeur»de «désoccidentaliser les esprits et déplier une pensée militante et régénératrice». Sur sa page Facebook, le jour d’une représentation dans un centre dramatique national de l’Est parisien, elle écrivait «c’est complet», mais en précisant «si t’es une meuf noire, tu rentreras, c’est sûr».
Libre à chacun de créer et de proposer des formes artistiques qui se fondent sur telle ou telle identité, qui soient «documentées», «performatives» ou «explicatives». Mais sans argent des contribuables. Oui, libre aux créations artistiques d’être «décolonisées», «désoccidentalisées», «dépatriarcalisées», «désexisées», «dégenrées». Mais si elles induisent un racisme, un antisémitisme, un séparatisme, un prosélytisme, un refus de la laïcité ou une haine des institutions, contraires à nos principes, alors c’est non. Et, a fortiori, les subventions publiques n’ont pas à les soutenir.
L’idéologie qui sous-tend le plus souvent ces créations est celle qui incite à faire annuler, à déboulonner et à déconstruire les artistes d’hier, pour mieux faire table rase et installer sa vision.
Cette « cancel culture » est non seulement contre-productive pour faire accéder à l’art, mais aussi une trahison culturelleDéborah Münzer et David Lisnard.
C’est pourquoi nous prenons la parole en tant qu’élus, contre cette dérive. Car les dossiers administratifs à remplir pour trouver des financements publics se sont ajustés à ces biais identitaires et intègrent maintenant parfaitement leurs codes.
Telle institution souhaite «évaluer l’éligibilité des projets selon les pistes suivantes: la présence de femmes et/ou de personnes non binaires et/ou de personnes perçues comme non blanches au plateau artistique et/ou dans l’équipe technique et/ou dans la programmation est-elle prévue?»
Une convention énonce l’obligation suivante en guise de projet artistique: «(…) intègre(r) les préoccupations actuelles telles que l’écologie, l’économie, le postcolonialisme, l’état du monde. Il valorise ainsi la diversité, et met en exergue des restitutions de possibles hétérogènes portées par des personnes issues de cultures multiples…»
Si l’artiste peut traiter n’importe quel sujet, l’art doit faire sortir de soi, c’est sa mission. À l’instar de ce que Camus pensait de l’école, ce lieu «exotique», les théâtres et équipements culturels publics en France doivent répondre à ce haut objectif.
Il ne faut donc pas avoir peur de considérer que l’argent public doit être utile. Utile aux arts et aux artistes qui ont l’énergie créatrice ; pour les aider à créer sans obligation d’un quelconque formatage idéologique. On demande aux auteurs de décliner identité, origine, sexualité… et on déplace totalement les vraies questions à poser: «L’œuvre est-elle belle?» «Est-elle forte?» «Quelle esthétique défend le créateur?» «Est-ce pertinent pour le public?»
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Nous pensons que la dérive qui fait confondre les messages avec les objets provoque l’envie de certains de «réécrire» les œuvres d’hier ou de les «annuler». Cette «cancel culture» est non seulement contre-productive pour faire accéder à l’art, mais aussi une trahison culturelle. Elle est en effet très contraire à ce que notre pays véhicule depuis des siècles: une culture universelle avec des œuvres uniques qui s’adressent à tous, que nous devons respecter et qui doivent survivre à leurs auteurs, expression et condition de notre propre humanité.
Incitons, grâce à l’argent que nos collectivités engagent dans le secteur culturel, à ne pas s’enfermer dans l’esthétique morbide de cette vague d’alibis et de messages normatifs qui déferlent en étouffant la création artistique. À contre-courant, aidons les arts visuels, les créations de danse, de théâtre, de chant, pour ce qu’ils sont: des mondes possibles et ouverts grâce à la beauté, à l’imaginaire, à l’humour, à l’absurde, au jeu! C’est-à-dire grâce à la liberté, que les tyranniques de l’identité, les despotes du sociétal et autres fanatiques «wokistes» étouffent.
Le révisionnisme en matière d’œuvres d’art et de productions intellectuelles est une forme de suffisance des médiocres qui s’autorisent à corriger ce qu’ils sont souvent incapables de créer par eux-mêmes.
C’est un manque de respect pour des artistes, la grimace des niais devant les maîtres qu’ils ne peuvent pas comprendre.
C’est une destruction, sans consentement de l’auteur, une trahison.
C’est la négation de l’Histoire par des ignorants satisfaits.
C’est aussi le mensonge. Pensez aux enfants qui liront des textes dénaturés.
C’est aussi l’infantilisation de tous, incapables que nous serions de distinguer le bon grain de l’ivraie, incapables que nous serions de résister aux émotions dangereuses.
C’est aussi — et surtout — l’une des manifestations de la propagande qui nous submerge, visage de la tyrannie.
Alors pourquoi pas quelques grands noms pour empêcher cette débâcle ?
Il existe bien des académiciens, des acteurs, des chefs d’orchestre, des metteurs en scène et pourquoi pas des politiques qui pourraient unir leurs noms et dire haut et fort « Nous accusons ! »
Les intellectuels, les artistes et nous tous, autant que nous sommes… devrions unir nos voix pour refuser qu’une œuvre, un texte, un tableau, une sculpture, un film ou toute autre création puisse être modifiée, sans le consentement explicite de son l’auteur.
Cette obligation de préservation devrait être un principe de droit garanti à l’international.
Chaque œuvre devrait rester inviolable et accessible indéfiniment sauf mention expresse de son auteur et de lui seul et aucune ne devrait être censurée pour son contenu ou pour sa forme.
Notre Constitution devrait protéger les œuvres d’art et les productions intellectuelles au même titre que les archives de la nation.
Ce serai notre fierté.
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