Nicolas Gauthier 25 avril 2023. BOULEVARD VOLTAIRE
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En interrogeant Lu Shaye, ambassadeur chinois en France, le journaliste de TF1 Darius Rochebin espérait-il accéder au fameux « quart d’heure de célébrité » jadis théorisé par Andy Warhol ? C’est à croire. Ainsi lui a-t-il demandé à plusieurs reprises de faire acte de repentance quant aux crimes de masse autrefois perpétrés par le Grand Timonier. En vain, évidemment.
Mais à quoi pouvait s’attendre cet Iranien d’origine devenu helvète ? Que le représentant de la deuxième puissance économique au monde – en attendant d’en devenir la première – crache sur son propre pays ? À question provocatrice, réponse provocatrice : ce sont, pour le Chinois, « des racontars ». Autrefois, les Iraniens faisaient preuve d’un peu plus de subtilité et les Suisses d’au moins autant de neutralité.
Il n’y a certes pas de mal à se faire du bien. Mais après ? Après, ce qui est flagrant, c’est l’arrogance de ce journaliste. Oserait-il faire preuve du même aplomb en exigeant de l’ambassadeur américain en France des comptes sur cet autre fait historique avéré : les USA se sont aussi construits sur les massacres de masse de ces allogènes pour lequel le Grand Remplacement n’était pas que vue de l’esprit ? Quant aux famines et aux guerres d’extermination organisées par les Anglais contre les Irlandais, il serait parfaitement incongru de les évoquer devant le nouveau roi, Charles III. De même, on pourrait retourner la question à nos dirigeants hexagonaux : notre république droit-de-l’hommesque, régime instauré par la violence et d’autres massacres de masse, s’étant maintenue au pouvoir par la tyrannie avant d’aboutir à la dictature napoléonienne serait-elle exempte de tous reproches ?
Pis : sans la Révolution française et ses théoriciens, il n’y aurait peut-être pas eu de Lénine, de Staline, de Trotski, de Pol Pot et de Mao. Les dirigeants chinois, qui ont le sens de la mémoire longue, savent tout cela. Tout comme Lu Shaye n’ignore pas que le maoïsme ne fut pas qu’un chemin de roses. Mais, en bon patriote, il assume son propre roman national, tout comme nous étions encore naguère capables de le faire, en y incluant Saint-Just, Robespierre et même Jules Ferry.
En revanche, devant des journalistes plus courtois et respectueux des usages diplomatiques, ceux d’Éléments en février dernier, par exemple, le même Lu Shaye peut lui aussi faire preuve de lucidité. En cette occasion, il n’est pas là pour remuer les monceaux de cadavres du passé, préférant évoquer le présent tout en tentant d’anticiper l’avenir. À propos de la martiale déclaration de l’amiral Charles Richard, commandant stratégique du Pentagone, « la grande guerre arrive », celle de moins en moins larvée, que les USA mènent contre l’empire du Milieu, il a cette réponse à méditer : « Ces propos sont dangereux et trahissent surtout la pensée profonde des élites américaines de vouloir créer des troubles, des conflits et des guerres partout dans le monde. Plus il y a de guerres, plus les Américains se sentent en sécurité ! Jamais chez eux, toujours chez les autres ! »
Une illustration de la politique chinoise visant à l’avènement d’un monde multipolaire qui ne serait plus à la botte américaine, par ailleurs en voie de délitement. Est-il faux de penser que les les USA entendent nous entraîner dans un conflit contre la Chine, qui serait « l’ennemi systémique de l’Europe » – ce qu’Emmanuel Macron a par ailleurs noté, dans un de ses moments de lucidité ? Et Lu Shaye a-t-il tort quand il dit « l’Amérique n’est pas l’alliée de la France, c’est plutôt elle, votre rival systémique » ?
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain
MEMORABILIA 