Guy TROLLIET. FRONT POPULAIRE
13/05/2023
CONTRIBUTION / OPINION. Séparatisme, recul de l’autorité publique, violence interreligieuse… Né au Liban, notre lecteur voit en France se répéter la même tragédie que dans son pays natal, même si les racines historiques sont différentes.

Il y a presque deux ans, jour pour jour, je produisais une analyse sous le titre Libanisation de la France : ce qu’il faut vraiment voir derrière cette expression, dans laquelle je déclinais le parallèle entre une série d’évènements au Liban ayant conduit à son éclatement et celle similaire en France depuis les années 1970, qui laisse craindre le même sort à notre pays à l’horizon de 10-20 ans ou, à tout le moins, une situation de grave instabilité sociale, si la tendance n’est pas rapidement et drastiquement corrigée. Il est évident que même si les échelles de temps et d’espace ne sont pas les mêmes, et que la chronologie des évènements n’est pas respectée à l’identique, leur survenance mérite que l’on y consacre une attention particulière, d’autant que des indices, clignotant depuis comme autant de signaux d’alarme, s’étalent sous nos yeux pour confirmer la progression évidente vers cette libanisation de notre pays. Ce qui amène à la présente mise à jour teintée d’une préoccupation aggravée. Mais avant de faire le lien avec l’actualité, il serait utile de préciser certaines choses.
Un pacte de coexistence rompu
À l’origine du Liban, donc, une indépendance acquise en 1943, fondée sur un pacte national, ou « pacte de coexistence », définissant, pour l’essentiel, la répartition des fonctions publiques entre les trois communautés religieuses principales : les chrétiens maronites, les musulmans sunnites et chiites.
Ce pacte a, en fait, scellé un vivre-ensemble communautaire dans le cadre d’un équilibre fragile qui sera ébranlé au fur et à mesure de l’arrivée dans le pays, dès 1947, d’un corps étranger qui deviendra facteur et instrument de son éclatement : les réfugiés palestiniens. Ceux-ci seront ghettoïsés dans des camps qui deviendront des bidons-villes autour de la capitale et autres villes du pays (plus tard on parlera de « ceinture de misère »), grossissant par vagues successives durant la trentaine d’années qui suivra, au rythme d’évènements régionaux comme la guerre des Six Jours (1967) ou Septembre noir en Jordanie (1970). Ils finiront par se transformer en agitateurs, sur la base de revendications diverses (dont le détail importe peu), ralliant à leur cause au final la gauche libanaise essentiellement musulmane. Ainsi, à partir de la fin des années 1960, le pays connaîtra des affrontements armés sporadiques entre des factions palestiniennes (aux velléités de conquête du territoire libanais, dira-t-on par la suite) et les forces de l’ordre libanaises dans un premier temps, avant que l’État ne cède le terrain, suite à des pressions extérieures de tous bords en faveur des Palestiniens entre temps érigés en victimes. Doublé d’une culpabilisation du pays, toujours par l’extérieur, le recul militaire finira par affaiblir l’autorité publique, et le vivre-ensemble volera en éclat le 13 avril 1975 suite à un incident dramatique dans un quartier chrétien où les occupants palestiniens d’un bus passant devant une église dudit quartier seront tous tués dans des circonstances qui demeurent encore vagues à ce jour.
Le pays sombrera instantanément, et de manière irréversible, dans un chaos armé opposant d’abord les palestino-progressistes en majorité musulmans à la droite conservatrice en majorité chrétienne, puis ce fut toutes les communautés confondues qui se firent la guerre, organisations palestiniennes, militaires et milices de tous bords (entraînées et armées pour la circonstance), sans parler des ingérences extérieures, armées ou pas. Pour illustrer, voici ce que rapportait L’Orient-Le Jour, le 29 mai 1976 : le chef des Kataëb, M. Pierre Gemayel, reproche aux États-Unis d’avoir empêché la Syrie de sauver le Liban. M. Gemayel déclare notamment : « Les États-Unis, sous une influence déterminée, ont œuvré pour geler l’initiative syrienne et se sont interposés pour empêcher l’opération de sauvetage qui aurait été effectuée par des moyens militaires pour arrêter les massacres. Ce qui nous étonne plus et nous peine, poursuit M. Gemayel,c’est l’attitude hésitante des États-Unis par rapport au sauvetage d’un pays ami »… Le pays ne se relèvera jamais de la quinzaine d’années d’affrontements armés, corruption et crise financière achevant son effondrement.
Ainsi, pour résumer, l’histoire du Liban est l’histoire malheureuse d’un peuple qui s’est divisé contre lui-même à partir du moment où un agent extérieur, qui s’y était greffé, réveillera et cristallisera des antagonismes menant à une guerre civile, les hommes et partis politiques ayant été incapables (ou n’ayant pas voulu ?), pour diverses raisons, d’enrayer l’engrenage dramatique qui y conduit. Voilà pour le Liban.
Une France ghettoïsée
S’agissant de la France, j’exposais que l’équivalent du corps étranger introduit dans le pays est la population immigrée, majoritairement arabo-africaine et musulmane, qui s’y est installée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, contribuant pour une part importante à la main-d’œuvre qui reconstruira le pays durant les trente glorieuses. Cette immigration croitra constamment par la suite, à l’occasion notamment du regroupement familial des années 1970 puis plus récemment en raison, entre autres, des guerres et conflits en Afrique et au Moyen-Orient. Comme au Liban, elle sera ghettoïsée, vivant dans des quartiers devenus ZUS (zones urbaines sensibles), accueillant de plus en plus d’immigrants (clandestins parfois), hébergeant des zones de non-droit où trafics illégaux et radicalisation islamiste finiront par fricoter ensemble au point que, après avoir parlé de « territoires perdus de la République », on en est venu à voter en 2021 une loi dite « contre le séparatisme ».
Dans lesdites zones, les services et autorités publiques ont quasiment disparu, et quand la police s’y aventure, elle doit souvent subir une violence inouïe et gratuite, sans pouvoir riposter afin d’éviter d’aggraver la situation — ce recul de l’autorité publique est le point commun le plus significatif entre les deux pays. Heureusement qu’à ce jour, il n’y a pas à déplorer d’incident grave qui pourrait mettre le feu aux poudres comme ce fut le cas lors des émeutes de 2005 — il faut saluer là le dévouement, le comportement et le professionnalisme de la police. Toujours est-il que les populations vivant dans ces quartiers sont devenues les victimes tant de ceux qui agressent la police, que de l’État qui était supposé leur offrir les moyens d’une intégration réussie, ce qui est évidemment loin d’être le cas (quant à l’assimilation, n’en parlons pas !).
La victimisation de ladite population, à majorité musulmane, et ainsi par ricochet de l’islam, par différents acteurs et agitateurs tant internes qu’externes, a conduit, comme au Liban, à une division de l’opinion publique sur le sujet avec, à la clé, une récupération politique : on parle ainsi aujourd’hui en France d’un islamogauchisme opposé à une droite identitaire, une cristallisation d’antagonismes latents.
Cela rappelé, qu’est-ce qui, depuis deux ans, impose cette mise à jour encore plus alarmiste ? Ça sera l’objet d’une seconde partie.
[Note de la rédaction : la seconde partie de l’analyse de Guy Trolliet sera publiée le dimanche 14 mai au matin ]