Turquie : les Ottomans n’obéissent pas toujours aux injonctions occidentales…

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Nicolas Gauthier 16 mai 2023. BOULEVARD VOLTAIRE

 

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On connaissait les subtilités byzantines ; les finauderies ottomanes n’ont rien à leur envier, telle qu’en témoignent les dernières élections turques, groupant à la fois scrutin présidentiel et législatif.

Les résultats ? Serrés, tel que prévu. Avec un léger avantage pour le président sortant : 49,51 %, contre 44,81 pour son challenger, Kemal Kiliçadoglu, et 5,1 % de miettes étant abandonnées à l’outsider Sinan Ogan. C’est donc la première fois que, depuis presque vingt ans, Recip Tayyip Erdoğan devra affronter un second tour, hypothèse dont il accepte manifestement l’augure. Et ce dans une position qui ne lui est pas la plus défavorable, l’AKP, son parti islamo-conservateur étant dorénavant sûr de conserver la majorité au Parlement, aidé par le MHP (extrême droite kémaliste), lui assurant 322 sièges contre 213 pour l’opposition.

Comme toujours, deux données lourdes ont été oubliées par nos commentateurs hexagonaux.

La première est la désormais traditionnelle opposition entre votes des villes et des campagnes ; un peu comme en France, mais aussi tel que partout ailleurs, en Iran ou aux USA. Pour résumer, la jeunesse des villes veut du changement, alors que leurs parents de la Turquie périphérique, n’en veulent à aucun prix. À ce titre, il n’est pas incongru de voir en Erdogan une sorte d’anti-Macron, ou de Mélenchon à l’envers, puisque s’appuyant plus sur l’électorat conservateur rural que celui, progressiste, de mégapoles telles qu’Istanbul ou Ankara.

La seconde, qui échappe à la plupart de nos observateurs européens, à l’exception notoire de Jean-François Colosimo, patron des éditions du Cerf et fin connaisseur du sujet, c’est que quel que soit le résultat du second tour, rien ne changera : « L’ensemble du spectre politique turc est nationaliste, y compris chez les Kurdes. (…) Mais il y a dans la coalition d’opposition qui soutient Kemal Kiliçadoglu, des hyper-nationalistes d’extrême droite et même des dissidents de l’AKP d’Erdogan. » Mieux, poursuit-il : « Le ciment nationaliste qui lie ces partis d’opposition maintiendra la Turquie dans sa posture néo-ottomane. Que ce soit dans les Balkans avec la Bosnie, dans le Caucase avec le soutien turc à l’Azerbaïdjan face à l’Arménie, (…) ou en Méditerranée face à Chypre ou à la Grèce, vise clairement à la domination, de la Mer noire jusqu’à l’Atlantique. ». Soit ce qui est de longue date écrit sur ce site, rappelons-le malgré tout.

Et c’est là qu’il est licite de se poser quelques questions sur la personnalité de Recip Tayyip Erdoğan. Qu’il ait voulu se conduire en nouveau sultan, rien de très légitime, telles qu’en témoignent les premières années de son règne : rapprochement avec les chrétiens, apaisement vis-à-vis des alevis, musulmans chiites de l’espèce dissidente face au sunnisme majoritaire, et même main tendue aux Kurdes. Ou de l’art de se comporter en sultan, en charge d’un empire auquel il estimait devoir rendre sa grandeur. La position impériale lui imposait donc de composer avec toutes ses minorités. Mais notre homme, malgré un islamisme de façade, a fini par perpétuer l’héritage de Kemal Atatürk, et pas forcément dans ce qu’il a de meilleur, cet homme étant grand admirateur de la Révolution française.

Résultat ? L’hypothétique naissance d’une sorte de « Turc nouveau ». Pour lequel n’est vraiment « Turc » que le turcophone et sunnite, les alévis, de la bonne ethnie, mais pratiquant un islam déviant et les Kurdes, certes sunnites, mais pas de la bonne ethnie, ne sont que des Turcs de papier qu’il convient au plus tôt d’éliminer. Quant aux chrétiens et aux juifs, d’origine grecque ou arménienne ? Des minorités à vaguement préserver. En ce sens, Erdogan est plus un Robespierre à l’ancienne qu’un sultan new-look. C’est ainsi.

Nos médias ayant fait campagne contre lui seraient bien inspirés de se plonger dans le vote des Turcs de la diaspora, ces derniers ayant largement voté en faveur du maître stambouliote. Peut-être parce qu’au contact de nos sociétés progressistes, avec mariage homosexuel et féminisme devenu fou à tous les étages, ils puissent venir à nous tenir pour civilisation en état de mort cérébrale. À défaut de s’en féliciter, au moins est-il licite de les comprendre. Résultat le 28 juin.

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