Grandes illusions et petites comédies françaises (Paris-Bruxelles) 

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Le regard d’Henri Beaumont

Henri Beaumont  CAUSEUR

24 mai 2024

Grandes illusions et petites comédies françaises (Paris-Bruxelles)
Gabriel Attal en visite à Pirou dans la Manche (50), pour la foire aux bulots, le 27 avril 2024. Image : Twitter Gabriel Attal

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Ultimes sondages, passes d’armes, remontadas ! C’est la magie des printemps électoraux, la dernière journée de championnat avant l’heure de vérité en Eurovision. Pour qui l’Eurostar, la Champions League ? Qui descendra en ligue 2, sous les 5%, le 9 juin ?


Sur les écrans, tous les soirs, MMAKoh-LantaJeopardy et Questions pour des champions. Les coachs font répéter les impros, peaufinent des formules assassines. Badgée Scout de Renew Europe et Guide de France, Valérie Hayer, cherche un azimut. Après la foire aux bulots de Pirou (Manche), le Premier ministre défie Jordan Bardella en direct. Destination pacifique et Menaces sur Nouméa pour le leader de la patrouille de France. Emmanuel Bagheerason BAFA et son bagout calmeront-ils les Kanaks en pétard ? L’Élysée a programmé deux escales secrètes – Beyrouth et Moscou – pour le retour de mission. « Athos 1 » va régler le conflit israélo-Palestinien et sermonner Dark Vlador, le dénazificateur.

Ni pilote, ni avion

Des cordelles de technocrates, bateleurs, naufrageurs gloutons et insubmersibles, échangent convictions et fromages, slaloment dans la haute fonction publique, le Cac 40 et le showbiz. Au Panthéon, aux Invalides, dans la phraséologie, des gouvernements de rencontre, un Jupiter sans envergure, miment le pouvoir, l’autorité, un destin commun : vol d’ancêtres, politique du chat crevé au fil de l’eau, la France en s’ébattant… Il s’agirait de « garder le contrôle de notre destin, réunir les forces vives, libérer le potentiel français, réarmer notre pays… » (Gabriel Attal). Que d’aveux !

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Les Colbert en carton-pâte, Louvois ventriloques, modernisent la bureaucratie, changent de réforme, réforment le changement. Oublieux des enjeux anthropologiques, encalminé dans le management, les PowerPoint, l’efficiency, l’Etat se suicide en état de légitime défense : ubérisation de l’administration, wokisation du Conseil d’État, suppression des grands corps, ultimes chapitres du roman de l’aboulie nationale. Un monde sans incarnation, sans volonté ni représentation.

Le peuple français aux membres énervés, triste comme un lion mangé par la vermine, est accablé par la lâcheté des politiques, les dénis sur la gravité des maux, déficits abyssaux, déclassements, qui minent le pays. Diminuendo, comme les hommes volants de Folon à la fin des programmes d’Antenne 2 il y a cinquante ans, la France s’éteint.

Les moulins de nos cœurs

A gauche, les Augustes insoumis, franciscains d’opérette, éructent contre les clowns blancs du pouvoir. Ils pétaradent dans les surenchères, blagues de prépuces nazis. Sur France Inter, à Sciences-Po, Télérama, Rue de Grenelle, les ravis de la crèche progressiste, marmiteux de l’insoumission, écolâtres dé coloniaux, ont pris le pouvoir. « J’en ai marre – marabout – bout d’ficelle… ». L’ignorance rend hardi. Rupture dans la continuité ou continuité dans la rupture ? Baygon vert au Baygon rouge ? Nouveau Panoramix progressix, Raphaël Glucksmann transforme les anchois avariés en produits exotiques. Son truc c’est : « l’option de la puissance juste, de la solidarité, de la quête d’égalité et de la transformation écologique… La culture c’est un projet de civilisation, un projet philosophique, un projet culturel ».

Les hamsters du monde d’après pédalent dans une roue à fantasmes, se gargarisent de mots-valises citoyens, inclusifs, dans l’entre-soi, les concepts, le flou, squattent un néant aseptisé baptisé « diversité ». Sur les rezzous sociaux des sycophantes multiplient les oukases, cherchent un trou, un fromage, le buzz. La mine piteuse, ils habitent l’abîme. Envieux, quérulents, sans programme ni arguments, ils exècrent le travail, le mérite, veulent des coupables. Une pierre à la main ils guettent le sommet ; de l’autre ils font l’aumône, exigent une allocation universelle, un manga, des abayas. Ils pourchassent les mauvais esprits, les mâles, les blancs, censurent, traquent les kouffar laïcards, menacent de mort les professeurs, les poignardent à l’occasion. Les héritiers de la Bourdieuserie, déconstruisent, déboulonnent, réécrivent le passé selon leur idée de la vertu, mensonges. Le meilleur ennemi de toujours, golem maléfique, diabolus ex machina – dont le centre est partout et la circonférence nulle part -, c’est l’Extrême Droite. Un seul Maistre vous manque et tout est dépeuplé.

Au Mondial Moquette du tout à l’égo intersectionnel, tout est possible, rien ne vaut rien, tout est à vendre : GPA, épectase, excuses, concurrence victimaire. L’agenda libéral-libertaire décalque celui du capitalisme woke : ochlocratie, pléonexie, cyrénaïsme, éradication du passé et de la culture, métamorphose des jeunes générations en zombies numériques et consommateurs lotophages. « Mon intérêt seul est le but où tu cours » (Racine).

Sous perfusions, régimes spéciaux, résilient, le monde de la culture ne lâche rien. A Cannes, dans les cours d’honneur, le maquis des espaces de création, le rap, les tracts, l’intermittence, au Collège de France, sur les formes scintillantes, sur chaque main qui se tend, sur les lèvres attentives, le teint frais et la mine vermeille, ils écrivent la liberté. Ils interrogent la page blanche, auscultent les habitus, les corps dominés, les transfuges de classe, l’autofriction. Ils tissent des liens, montent des ateliers d’écriture nomade, des yourtes zéro carbone place Colette. Ils cherchent leurs mots, l’inspiration, le buzz, des sponsors.

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Les artistes alertent, dénoncent, les crispations, le nauséabond, le toxique, l’autoritarisme crypto fascistoïde, lèchent toutes les blessures du monde. Ils luttent pour la planète des femmes, la panthère longibande d’Indochine, la retraite à 50 ans, Frida Kahlo, Hermione, Esther, l’imminente dignité des pauvres. Ils combattent la précarité menstruelle, du Bellay (identitaire nostalgique de la France mère des arts, des armes et des lois), Pyrrhus, Landru, Eric Zemmour, le masculinisme, l’argent, l’injuste puissance qui laisse le crime en paix et poursuit l’innocence. Au creux des lits, ils font des rêves. Sifflez, compagnons, dans la nuit la Liberté vous écoute.

Au royaume des idées, les faits n’ont pas d’importance. Le Grand-Guignol hexagonal, la méthode couarde, La France irréelle (Berl), arrivent à échéance. Faire toujours la même chose et attendre un résultat différent, c’est suicidaire.

Et pourtant, elle coule…

Sur l’essentiel, les enjeux civilisationnels, la nature arraisonnée par la technique, la crétinisation numérique, l’emprise totalitaire de l’IA, les transgressions généalogiques, les choreutes cabriolent dans le nudge, les sophismes, ânonnent deux mantras : « transition écologique », « mix énergétique », « trottinettes à hydrogène ». Ils fantasment une Europe Assistance – couteau sans lame auquel il manque un manche – plus protectrice et puissante que la Madonna del Parto de Piero della Francesca.

L’abstentionnisme, le poujadisme, la désespérance ne sont pas les fruits amers d’un discours churchillien de vérité, jamais tenu, mais la résultante de mensonges séculaires. Pas de salut sans courage de dire les vérités déplaisantes, sans mesures impopulaires, sans tempêtes ni sacrifices.

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La France partage un secret avec Maître Cornille (Lettres de mon moulin). Fini les farandoles et sérénades. Le « modèle français », « l’exception culturelle », la Voie française font éclater de rire à l’étranger. Marianne a vendu sa croix d’or, ses sacs de farine sont remplis de plâtre. Elle a mis son histoire, sa culture, son Etat, sa langue au mont-de-piété. L’avenir est plombé, les fantasmes, fantômes, fantoches ressurgissent. Les crises d’indignation, de haine, la guerre des races, des genres, de tous contre tous, l’abêtissement général, finiront par accoucher de la tyrannie.

Quelle résistance opposer à cet alignement des désastres ? Quel horizon, ligne de fuite ? Port Royal, l’immigration intérieure, les regrets et les pleurs, des sarcasmes mouchetés de mélancolie ? L’exercice d’une lucidité condamnée n’interdit pas d’allumer des pétards sous les pieds des Tartuffe.

« Nous savons qu’ils mentent, ils savent aussi qu’ils mentent, ils savent que nous savons qu’ils mentent, nous savons aussi qu’ils savent que nous savons, et pourtant ils continuent à mentir » (Alexandre Soljenitsyne).

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