Marine Le Pen : «Le bloc islamo-gauchiste prône la disparition de l’ensemble de nos libertés»

LE FIGARO. 16 juin 2024

Par Jim JarrasséPaul Laubacher et Vincent Trémolet de Villers

GRAND ENTRETIEN – L’ancienne candidate à la présidentielle assure qu’«il est évident que l’abomination pour le pays, c’est la Nupes II».

LE FIGARO. – Au lendemain de la dissolution, on assiste à l’émergence de trois blocs : une gauche unie, un centre macroniste affaibli et l’alliance entre le Rassemblement national et Éric Ciotti. Avez-vous pris la place de la droite dans le paysage politique français ?

MARINE LE PEN. – Je ne crois pas qu’il y ait un retour du clivage gauche-droite. L’existence d’une alliance avec une partie de LR ne fait pas du RN un parti de droite. Le RN est un parti patriote dont l’objectif est de ne pas se laisser enfermer dans une catégorie, qu’elle soit de droite ou de gauche. Nous restons donc sur un combat entre les nationaux, c’est-à-dire ceux qui considèrent que la nation est essentielle dans toutes ses prérogatives, et puis les internationalo-mondialistes. Les deux autres blocs de gauche et macroniste ont une vision que j’appelle post-nationale : les uns, parce qu’ils considèrent qu’il ne doit pas exister de frontières, que le monde entier doit pouvoir venir en France et bénéficier de notre système, et de l’autre côté, un mouvement qui aspire la substance même de la souveraineté nationale par l’intermédiaire d’une structure supranationale.

Quel est votre principal adversaire entre Macron et Mélenchon ?

Je ne mets pas les deux blocs sur un pied d’égalité. Il est évident que l’abomination pour le pays, c’est la Nupes II qui est pire que la Nupes I. C’est l’islamo-gauchisme qui prône de manière presque assumée la disparition de l’ensemble de nos libertés. La première d’entre elles étant la liberté d’être français et d’en tirer quelques bénéfices : la liberté de posséder, la liberté de manifester, la liberté d’expression. Ils souhaitent le désarmement physique et moral de la police, sont pour la mise à bas de notre structuration constitutionnelle et républicaine.

La destruction opérée par Macron est plus subtile. Lui nous laisse un pays en ruine où l’ensemble des moyens des services publics est détruit. L’immigration est hors de contrôle, l’insécurité détruit la paix civile. Les deux sont dangereux, mais il est évident que la lutte prioritaire, qui nécessite que tout le monde se rassemble, est contre le bloc islamo-gauchiste.

En 2017, vous avez appelé les électeurs de Jean-Luc Mélenchon à vous rejoindre. Vous avez eu des mots très durs à propos de LR. Qu’est-ce qui a changé ?

Nous avons toujours été conscients qu’il y avait au sein de LR, et particulièrement chez les électeurs de LR et certains cadres de terrain, une proximité qui permettait d’envisager des choses avec eux. Mais il existait un fossé entre la base et la direction de LR. Éric Ciotti a mis un coup de pied dans la fourmilière, mais il n’a fait que crever l’abcès des divergences idéologiques profondes qui existent à la tête de LR.

Reste donc le ventre mou de LR, qui serait d’accord pour une alliance, mais qui, en réalité, est tétanisé par les LR «canal hystérique». J’ai été frappée de voir les termes utilisés par les caciques LR contre Éric Ciotti, qui sont les termes de l’extrême gauche. Cette outrance verbale est étonnante, surtout pour aller derrière faire un accord avec la Macronie de manière secrète. Ils vont faire croire aux électeurs que ce n’est que par le plus grand des hasards qu’en face d’un candidat LR, il n’y a pas de candidat macroniste, alors qu’en réalité, tout ça est négocié. C’est une escroquerie.

On assiste à un moment absolument historique où l’ensemble des digues absurdes qui ont été posées dans les 40 dernières années sont en train de sauter. Il fallait le premier coup de pioche dans ce «mur de Berlin», la première faille dans le barrage. Éric Ciotti a eu le courage de le faire. Face au programme du Front populaire, qui provoquerait la disparition de notre pays en l’espace de quelques mois, et à l’urgence de la situation, les forces nationales ont l’obligation de se rassembler.

Envisagez-vous le scénario d’une assemblée ingouvernable, sans aucune majorité claire, qui ouvrirait une forme de crise de régime ?

Le général de Gaulle avait réussi à construire une architecture constitutionnelle d’une incroyable solidité dont on pensait que rien ne pouvait permettre le blocage, mais Emmanuel Macron a réussi à trouver un trou de souris pour mettre en place les conditions d’un blocage total du fonctionnement démocratique de notre pays. Dans ce cas, la Constitution ne laisse plus qu’un seul choix : la démission.

Appellerez-vous à la démission du président, en cas de large victoire de votre camp ?

Non, je suis respectueuse des institutions, je n’appelle pas au chaos institutionnel. Il y aura simplement une cohabitation.

Dans ce cas-là Jordan Bardella serait à Matignon, mais quelle serait votre place ?

Je serai la présidente du groupe majoritaire d’un gouvernement de cohabitation. Ce n’est pas exactement la même chose que d’être à la tête d’un groupe de la même famille que le président, à qui le ministre, à la demande de l’Élysée, demande de voter des lois. Je suis là où il est utile que je sois. Présider un groupe majoritaire en période de cohabitation, sachant que ça va être dur, c’est ma place.

Si vous gagnez, craignez-vous des troubles à l’ordre public ?

Oui, mais là encore, qui est responsable ? C’est le président de la République. Cela fait des années que l’extrême gauche fait œuvre de violence en toutes circonstances, pourrit toutes les manifestations sociales, toutes les manifestations politiques, le mouvement des «gilets jaunes», en toute impunité. Emmanuel Macron disait : «C’est moi ou le chaos». Mais le chaos, c’est lui. C’était le chaos social, le chaos sécuritaire, le chaos migratoire et maintenant, c’est le chaos institutionnel. Nous, nous incarnons l’ordre et la tranquillité. Le RN n’a jamais organisé une manifestation contre le résultat des élections, jamais empêché la tenue du meeting d’un adversaire, jamais transformé l’Assemblée nationale en ZAD…

Vous souhaitez un gouvernement d’union nationale. Sur qui pouvez-vous compter pour le composer ? Cette question fait-elle partie de l’accord négocié avec Éric Ciotti ?

Non. Nous avons une charte qui s’appelle Union pour la France qui a vocation à déboucher sur un gouvernement d’union nationale qui peut ne pas obligatoirement se limiter à des composantes politiques. Face à la situation de crise budgétaire, migratoire, sécuritaire, le peuple français a la capacité de faire émerger des gens compétents et de bonne volonté, quelle que soit leur couleur politique. Je suis épatée par le nombre de hauts fonctionnaires, de diplomates, qui me disent qu’ils sont tout à fait prêts à travailler avec le RN. Nous n’aurons aucune difficulté à constituer un gouvernement.

Après l’annonce de la dissolution, les marchés ont brutalement chuté. Sentez-vous une défiance des forces économiques vis-à-vis d’une éventuelle cohabitation avec le RN ?

Les marchés détestent l’incertitude. Ce n’est pas tant la victoire du RN qui a inquiété les marchés que la dissolution en elle-même. L’incertitude, elle est également le fait de la situation économique du pays et parce qu’Emmanuel Macron a fait 1000 milliards de dettes en sept ans.

Enfin, il y a une forme de méconnaissance des marchés financiers du projet du RN. C’est vrai aussi pour le milieu économique. Ils n’ont entendu de notre projet que la caricature qui en est faite. Quand ils en prennent connaissance, ils trouvent cela plutôt raisonnable.

Si vous arrivez au pouvoir, est-ce le programme du RN qui sera mis en place ou un programme négocié avec LR ?

Non, il n’y a pas eu de programme négocié. Il y a une assemblée nationale, où Éric Ciotti aura son groupe de députés. Et s’il est nécessaire qu’il y ait des discussions sur un texte, on les engagera pour assurer au vote de ce texte une majorité.

Quels engagements de votre programme de 2022 conservez-vous ?

Ce n’est ni tout ni rien. Toutes les mesures que nous proposons sont des bonnes mesures. Après, il y a la question de la priorité de leur mise en œuvre. Comme l’a dit Jordan Bardella, il y a des mesures qui sont prioritaires, urgentes, très importantes. Il y en a d’autres qui sont des bonnes mesures, mais qui peuvent intervenir plus tard dans le mandat en fonction des marges de manœuvre qu’on aura réussi à dégager.

Quelles marges ?

Il y a quand même un éléphant dans le couloir des dépenses publiques. Il s’appelle l’immigration. Tout le monde fait semblant de ne pas voir ce qu’il pèse comme poids dans les finances publiques. Quand vous faites entrer 500.000 personnes légalement par an, il faut 4000 lits d’hôpitaux supplémentaires. Non seulement on ne les ouvre pas, mais on en ferme, et l’hôpital s’effondre. Il faut aussi instruire leurs enfants. Il faut aussi les loger. Et oui, il y a une pénurie de logement. Tout le monde dit : on a besoin de plus de policiers, parce qu’il y a plus d’insécurité. Mais l’insécurité, c’est aussi lié à l’immigration massive, dérégulée.

Vous voyez, c’est l’éléphant. Ce n’est pas seulement le poids financier, c’est aussi le fait que nous n’avons pas les marges de manœuvre pour, en réalité, accueillir correctement ces gens. Donc, les services publics s’effondrent sur eux-mêmes.

Dans votre programme, il y a la réforme des retraites, la suppression de l’IFI ou encore une réforme des droits de succession. Ces mesures vont-elles être appliquées tout de suite, ou plus tard ?

Jordan Bardella a dit : Il y a les urgences. Et l’urgence, tout de suite, c’est le pouvoir d’achat, la sécurité et l’immigration. Ensuite, il y a le temps des réformes. À ce moment-là, il y aura la réforme des retraites, mais pas seulement.

Sur l’IFI, nous voulons en effet le supprimer mais comme nous avons des besoins de financement pour certaines politiques qui nous paraissent fondamentales, je pense par exemple à la politique familiale, nous le remplacerons par un «impôt sur la fortune financière». Emmanuel Macron a mis en place l’impôt du déracinement. Plus vous êtes déraciné et moins vous êtes taxé. Nous voulons faire exactement l’inverse. Dans la même logique, nous voulons faire sortir la résidence principale (ou unique, résidence dont vous êtes propriétaire mais qui n’est pas votre principale), de la succession.

Vous parlez de stabilisation des finances publiques. Comment voulez-vous faire pour y arriver ?

Tout cela va être précédé d’une grande commission d’audit des comptes publics, pour deux raisons essentielles. D’abord, nous voulons donner la vérité aux gens et je pense que nous allons soulever quelques tapis et trouver quelques moutons, quelques dépenses honteuses cachées. Nous ne pouvons pas prendre le pouvoir, détenu pendant 30 ans par les mêmes, sans avoir une vision extrêmement claire de la situation. Nous devons être les candidats et les élus de la vérité. Nous allons peut-être nous apercevoir que la réforme des retraites de monsieur François Fillon, par exemple, n’a pas fait gagner d’argent…

Il y a une coalition électorale qui propose l’abrogation de la réforme des retraites et le SMIC à 1600 euros. C’est le Nouveau front populaire…

Cela fait des années qu’ils proposent ça et les classes populaires ne votent pas pour eux. Il faut arrêter de penser que les gens ne sont pas lucides sur la situation du pays. Ils savent très bien que la France est dans une situation extrêmement périlleuse. Mais là, pour le coup, voter NUPES, c’est voter FMI. C’est un programme de gens qui, en réalité, envisagent de ne pas être au pouvoir. Que ce soit ça ou leurs mesures sur l’immigration, ce sera le chaos généralisé, la ruine et le FMI en l’espace de trois mois, ou même deux.

Vous êtes attendue sur la sécurité et l’immigration. Que pouvez-vous faire en cohabitation ?

Toutes les mesures que l’on peut mettre en œuvre. Et c’est ce qu’on fera : la suppression du droit du sol, la suppression des allocations familiales pour les parents d’enfants délinquants, la suppression des peines aménagées et des réductions de peines pour les atteintes aux personnes condamnées à plus de six mois de prison ferme. C’est le retour de la sacralisation de l’intégrité physique. Il y a aussi des textes qui existent déjà et qui ne sont pas appliqués, parce qu’il n’y a pas la volonté politique de les appliquer.

Il y a une politique dissuasive d’immigration à mettre en œuvre. Par exemple, nous allons voir quelle est l’intégralité des éléments de prestation non contributifs qui peuvent être, comme le RSA, soumis à un certain nombre de conditions.

L’absence de résultats immédiats ne risque-t-elle pas de limiter vos chances pour la prochaine élection présidentielle ?

Les Français et ceux qui nous font confiance savent que les résultats mettront du temps. Les Français n’attendent pas de baguette magique. Ils savent très bien que la situation est extrêmement obérée, mais ils veulent que nous allions dans le bon sens. Ils sont conscients que le gouvernement est allé très loin dans les erreurs qui ont été commises.

À la rentrée, vous serez jugée dans l’affaire des assistants parlementaires européens. Est-ce que vous imaginez une peine d’inéligibilité, qui vous empêcherait de vous présenter à l’élection présidentielle ?

Non, rien ne m’empêchera de me présenter à l’élection présidentielle./.

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